lundi 29 avril 2024
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MARSEILLE ET L’EXPERIENCE DU MALHEUR Notre série d’évocations par Gabriel CHAKRA 2. Épidémies et invasions : tous à l’abri !

2.- Épidémies et invasions : tous à l’abri !

La pandémie du Covid-19 en témoigne : face à une épidémie de vaste amplitude, l’homme n’a jamais pu se prémunir par anticipation. Si, de nos jours, les Etats se dotent de planifications pour lutter efficacement contre le virus, en attendant un vaccin, dans les temps anciens ça n’était pas le cas. Il n’y avait ni médicaments, ni tests, ni respirateurs, pas de documents recensant les risques. Les masques ? Au Moyen Age et même plus tard, comme pendant la peste de 1720, on imbibait une éponge de vinaigre, de sauge ou de girofle, considéré comme désinfectant, que l’on plaçait sur le nez… Certains délaissaient la ville pour la campagne où l’air était moins vicié, d’autres ne sortaient point. Les échoppes restaient fermées, les lumières éteintes le soir, comme lors d’un siège.

C’est dire si le confinement a une longue histoire derrière lui. Aussi longue que la liste des épidémies elles-mêmes qui, à Marseille et des siècles durant, s’apparentaient d’abord à la peste. Ce fléau ancestral avait comme élu domicile dans l’espace méditerranéen. Sur une carte, le parcours du virus partait (presque) toujours de Chine, propagé par des rats noirs qui s’introduisaient furtivement dans des navires, puis de la Méditerranée orientale, gagnait Marseille.

Dans l’Antiquité, la Mer intérieure fut longtemps sillonnée par des trières phéniciennes, puis par des pentécontores grecs. Ainsi a-t-elle toujours été une voie de communication favorisant les échanges commerciaux et culturels, ainsi que les migrations des hommes, mais aussi – hélas ! – la diffusion des maladies. S’articulant autour de trois continents – l’Afrique, l’Asie et l’Europe – la Méditerranée était le carrefour de tout ce qui venait de la Chine par route, en passant notamment par Palmyre, la « Reine du désert ».

Là où circule l’homme, circule le virus…. La bactérie Yersinia pestis, du nom d’Alexandre Yersin qui l’identifia à Hongkong en 1894, suivit cette route antique venant de Chine. A partir de là, et après qu’elle eut sévi en Egypte et en Syrie en 541 et 542 de l’ère chrétienne, la Méditerranée l’a propagée sur nos côtes. Franchissant les frontières, elle toucha Rome et bientôt, Marseille fut contaminée. Dans son Histoire des Francs, Grégoire de Tours, évoque cette épidémie qui frappa à plusieurs reprises Marseille, n’épargnant d’ailleurs ni Clermont-Ferrand ni Paris. De nature récurrente, elle revint enProvence en 549, et encore en 599 et 600.

La peste noire de 1348

La fameuse et terrifiante « Peste noire » de 1348 a débuté deux ans auparavant, toujours en Chine, lors du siège par les Mongols d’un comptoir exploité par des Génois qui, pour sauver leur vie, durent enjamber des cadavres jetés à dessein devant leurs portes ; ils embarquèrent dare-dare sur leurs galères, véritable odyssée qui les conduisit miraculeusement à Gênes.

La Ligurie étant toute proche, Marseille n’échappa pas à la contamination par la mer. Du coup, Avignon fut atteinte en janvier 1348 et, par effet de propagation naturelle, la peste infecta toute l’Europe en moins de trois ans. Ce cataclysme sanitaire resta longtemps gravé dans la conscience collective de nombreux hameaux, village et villes.

Comme si elle accordait aux hommes un répit pour rependre leur souffle et trouver un antidote, le virus pestilentiel s’éclipsa avant de réapparaitre à Marseille dans le premier tiers du XVIII siècle.

Le Grand Saint-Antoine et la peste de 1720

Le lien entre Marseille et la mer est connu. C’est d’elle que la ville tire ses richesses, surtout au XVIIIe siècle quand son port est devenu mondial, mais cette mer est parfois porteuse de la mort. Surtout quand on néglige, dès le début, de prendre les mesures sanitaires et parce que l’intérêt commercial prévaut sur la protection de la population. Telle est, schématiquement, la funeste histoire de la peste de 1720, qui ravagea Marseille et l’arrière-pays.

On notera d’entrée que ce n’est pas tant l’homme qui fait pénétrer la maladie dans un lieu mais bien ce que transporte l’homme. Et cet homme est souvent un marchand de tissus, comme on va le voir.

A l’origine, un trois-mâts : le Grand Saint-Antoine. Parti de Marseille en juillet 1719 vers Saïda en Syrie. Le Levant était dans l’aire traditionnelle des échanges avec Marseille, et le Grand Saint-Antoine devait charger une précieuse cargaison : des étoffes de qualité et des ballots de tissus destinés à la foire de Beaucaire qui allait bientôt s’ouvrir. La marchandise appartenait pour une large part à Jean-Baptiste Estelle, le premier échevin de la ville, autrement dit le maire, et le reste à Jean-Baptiste Chataud, le commandant du navire.

La marchandise chargée, le Grand Saint-Antoine partit de Saïda le 31 janvier 1720, mais la peste ne se manifesta pas encore. Période d’incubation ? Toujours est-il que le navire accosta à Tripoli en Syrie, et embarqua avec lui quelques Turcs en route pour Chypre. Les patentes de ces deux ports (Saïda et Tripoli) sont formelles : le bateau était sain.

C’est sur le chemin du retour, après l’escale chypriote que se noua le drame. Un passager turc et sept matelots moururent ainsi que le chirurgien de bord. Prudent, le capitaine Chataud, fit demi-tour et rallia Chypre pour y prendre une « patente de santé », document obligatoire pour tout navire provenant d’un pays suspect d’une maladie pestilentielle. Puis il mit le cap sur Livourne en Italie. Cependant un huitième matelot tomba malade et succomba au virus. En Italie, le contrôle fut rapide, les autorités laissant le Grand Saint-Antoine partir pour Marseille.

Arrivé au Brusc, près de la Ciotat, le capitaine Chataud s’arrêta, et envoya un messager prévenir Estelle de la réalité à bord. A Marseille, l’on s’étonna. La peste, disait-on, appartient au passé ! Néanmoins Chataud retourna à Livourne où, à sa demande (et sans doute pour se couvrir) on lui remit une « patente-nette », certificat indiquant que tout va bien à bord. Manifestement, les Italiens ne voulaient pas d’ennuis et laissèrent le Grand Saint-Antoine retourner à Marseille où il entra le 25 mai. Mais, au lieu de s’arrêter à l’île Jarre, près de Riou, à l’entrée Est de la rade où l’on désinfectait les navires infestés, il alla mouiller au Frioul, plus exactement à l’île de Pomègues le 4 juin.

Quelques jours plus tard, ayant obtenu un passe-droit, l’autorisation lui fut donnée de débarquer passagers et marchandises au Canet, près de l’Estaque. L’erreur qu’il ne fallait pas commettre… Ainsi la peste entra dans la ville. Les premières victimes furent le garde mis à bord pour effectuer des vérifications ainsi que des portefaix.

En se répandant très vite, l’épidémie décima le tiers de la population, soit 39 107 personnes au total, 30 137 intra-muros, 8 970 dans le terroir, sur un total de 120 000 habitants, tout en semant la mort dans l’arrière-pays. En Provence, sur une population de 394.369 personnes, la peste occasionna le décès de 119. 811 hommes, femmes et enfants.

La postérité a retenu les noms de deux hommes qui se sont particulièrement distingués à Marseille pour sauver des vies. Mgr de Belsunce, 49 ans, évêque de Marseille, qui se dépensa matin et soir, bravant la mort, portant secours sans se soucier de sa personne. Il visitait les malades, les plus abandonnés, les plus misérables, il les approchait, les confessait, les exhortait à la patience ou à bien mourir. Pour accroître les aumônes, il se contentait, pour toute nourriture, comme le peuple, de poisson et de pain bis.

L’autre héros de cette tragédie est Nicolas Roze, dit le chevalier Roze, intendant de Santé, admirable de courage et d’abnégation. Ce personnage taillé pour l’action, assainit l’atmosphère par un coup d’éclat : à la tête d’une centaine de forçats et d’une quinzaine de « corbeaux », il fit dégager l’esplanade de la Tourette, au-dessus du Vieux-Port, où plus d’un millier de cadavres jonchaient le sol. Pendant ce temps, 178 chirurgiens aidés par des maîtres-infirmiers et quelques apothicaires, secouraient les contaminés. On notera que Marseille avait institué la fonction de « chirurgien de peste » en 1650, de même qu’Aix et Montpellier.

Aujourd’hui, une statue de Mgr de Belsunce se dresse devant la cathédrale de la Major et le chevalier Roze est honoré d’un buste en bronze, près du lieu de ses actes héroïques. Les deux survécurent à cette épidémie qui est l’une des pires épreuves que Marseille ait subie.

Quant au Grand Saint-Antoine, sur ordre du Régent, il fut brûlé à l’ile de la Jarre, près de Riou, le 26 septembre 1720.

Jean-Baptiste Estelle fut anobli par Louis XV trois ans avant sa mort en 1723.

Le capitaine Chataud fut condamné à trois ans de prison et enfermé au château d’If.

Les Barbares à nos portes : Wisigoths, Vandales, Ostrogoths…

Entre le Ve et le VIe siècle, comme pris de bougeotte, des peuples germaniques déboulaient en Europe. Sans que l’on sache trop pourquoi, les Alains, Suèves et Vandales franchissaient le Rhin et déferlaient en entrainant d’autres peuples dans leur sillage : Francs, Burgondes et Alamans implantés sur l’autre rive du Rhin, tandis que les Wisigoths venant d’Italie, fuyaient les Huns d’Attila dans une sarabande infernale.

Les terrifiantes hordes d’Attila, originaires de Hongrie, s’étaient d’abord cassé les dents en voulant, dans un premier temps, envahir la Perse en razziant au préalable Constantinople, histoire de se remplir les poches…. Aussi changèrent-elles de direction : cap sur l’ouest en visant la Gaule romaine supposée moins revêche ou plus facile à soumettre. Sur la route d’Orléans, les hordes pillèrent Metz et Reims mais furent stoppées net près de Châlons-en-Champagne, à dix lieues de Colombey-les-deux-Eglises, lors de la bataille des Champs catalauniques. Un paysage vallonné que le général de Gaulle, de son bureau d’angle à la Boisserie, voyait en méditant sur le destin de son cher et vieux pays… Attila se replia alors vers le Sud ; il entra en Italie sans coup férir, dévastant la plaine du Pô mais dut s’arrêter faute de combattants : une épidémie de peste éclaircit les rangs de ses troupes affaiblies…

Il faut dire que tous ces troubles, toutes ces migrations avaient pour origine l’affaissement de Rome. L’empire qui avait dominé le monde touchait à sa fin. Pour cause d’indiscipline, de mélanges ethniques, d’insalubrité (les bains publics pullulaient de microbes), d’un réseau d’égouts insane et malodorant, mais aussi d’une succession d’épidémies de peste, sans oublier la corruption et le favoritisme, la ville périclita : d’un million d’habitants, elle n’en comptait plus que 20 000 !

Le sac d’Alaric 1er en 410 précipita la chute de Rome qui fut pillée de fond en comble sous la conduite de ce chef wisigoth qui, enhardi par son audace et sa réussite, envahit le sud de la France, chassant les Vandales et les Suèves. Il tenta même un assaut contre Marseille en 414 mais ne parvint pas à pénétrer dans la cité. La Rome wisigothique les installa en tant que fédérés dans la Septimanie – entendez le Languedoc et le Roussillon – et en Espagne.

Comme l’explique fort bien Jean Guyon, historien et archéologue, membre de l’Académie de Marseille, les Burgondes dont le roi était Gondebaud dominaient la région lyonnaise, le Dauphiné et la Savoie. Ils traitèrent en 472 avec Alaric II pour la possession de Marseille et de la Basse-Provence, où ils entrèrent en 474. Puis les Ostrogoths pénétrèrent à leur tour en Provence : leur roi, Théodoric le Grand négocia avec les Burgondes et acquit la possession de toute cette région, y compris Marseille en 512. Théodoric nomma Marobodus gouverneur de Marseille et établit dans cette ville de vastes entrepôts de grains et de munitions.

Les événements s’enchainaient rapidement. Les Francs de Clovis qui avaient battu les Wisigoths en 507, s’avancèrent à leur tour vers la Basse-Provence. Dans ce contexte instable, soumis aux forces centrifuges, Vitigès, chef des Ostrogoths, réserva toutes ses forces contre le général byzantin Bélissaire qui occupait Rome pour le compte de l’empereur d’Orient Justinien. Courageux mais pas téméraire, Vitigès traita avec eux et leur céda toute la Provence avec Marseille en 536. « Pendant toute cette période, dit Jean Guyon, Marseille avait maintenu sa prospérité commerciale, et relativement son indépendance culturelle. Au milieu du VIe siècle, Marseille intégra le monde Franc et l’emprise de la chrétienté s’affermit. »

Effectivement, la Provence fut cédée en 536 aux Francs de Thibert 1er. Marseille déclassa Arles, jadis favorisée par Jules César. « Elle tenait la porte de la mer :

par elle et par le commerce, elle maintenait la liaison entre les royaumes barbares et ce qui subsistait au monde de civilisation », écrit l’historien Raoul Busquet.

… et Sarrasins !

On nous a appris à l’école que Charles Martel arrêta les Arabes à Poitiers en 732. Mais ce fait d’armes, fût-il mémorable, ne mit pas fin aux velléités de ceux qui, en Andalousie, eurent un jour l’idée saugrenue de prendre pied dans le sud de la France.

Quand on évoque les Sarrasins, c’est toujours la date de l’an 889 qui est mentionnée. Venant d’Espagne, une vingtaine de pirates sarrasins débarquèrent cette année-là dans le golfe de Grimaud, en catimini. Ni vus ni connus, vivant par la rapine et le meurtre, ils s’infiltrèrent subrepticement dans la forêt et, débouchant dans un village, ils massacrèrent ses habitants. Prospectant le pays en toute quiétude, Ils choisirent de s’établir au Fraxinet que certains désignent sous le nom de la Garde-Freinet.

Cet avant-poste fut rejoint par d’autres pirates qui écumaient la mer au large de Saint-Tropez. Et d’autres encore, alertés par les leurs, s’y ajoutèrent en faisant nombre… Jouissant d’une impunité totale, les Sarrasins érigèrent des châteaux et se déclarèrent bientôt maîtres du pays. Mieux : ils poussèrent leur audace jusque dans les Alpes, sans rencontrer le moindre obstacle, mais semant partout la terreur, pillant le Dauphiné, le Piémont, la Suisse, etc. « Le nombre de chrétiens qu’ils tuèrent fut si grand, dit Lieutgrand, que celui-là seul peut s’en faire une idée, qui a inscrit leurs noms dans le livre de vie. »

En écho, l’historien aixois Honoré Bouché écrit ceci en 1664 : « Les Sarrasins exerçaient partout des actes d’une inhumanité extrême, et c’est à ce temps, par tradition de père en fils, que l’on repère la démolition de tant de villes et de villages, dont on voit encore les masures en divers endroits de Provence. » Avignon, Aix, Sisteron, Fréjus, Toulon, liste non exhaustive.

Il fallut des années pour les arrêter. Trois dates à retenir : chassés du Grand-Saint-Bernard en 960, de Grenoble en 965, et définitivement de Provence, à Tourtour dans le Var, en 973.

Telle est la version la plus communément admise. En fait, les Sarrasins avaient sévi bien avant leur débarquement secret à Grimaud. Solidement implantés dans le Languedoc, c’est en 759 qu’ils décrochèrent de cette terre d’où ils menaient des raids fréquents. Des archives, il ressort que Marseille fut une des villes les plus convoitées par cette bande de pillards. Pas moins de six incursions : en 736, 739, 838, 848, 884 et 973. Dès l’alerte donnée, les Marseillais terrorisés se refugiaient dans le château Babon, sur le promontoire de Saint-Laurent, le nom Babon étant celui de l’évêque qui le construisit. La dernière attaque eut lieu en 973 : l’abbaye de Saint-Victor fut dévastée, mais le château Babon ne put être enlevé. Le réduit-forteresse reste pour la postérité le symbole de la résistance marseillaise.

Gabriel Chakra

MARSEILLE ET L’EXPERIENCE DU MALHEUR Notre série d’évocations par Gabriel CHAKRA 1. Pourquoi Jules César assiégea Marseille

Aussi loin que plonge notre regard dans le passé, et sur la très longue distance, l’élément majeur qui apparait réside dans l’étonnante capacité de Marseille à affronter les épreuves, à les endurer, puis à les surmonter. C’est un invariant historique. Toujours elle a survécu quand on la croyait définitivement déchue ou perdue, parfois même rayée de la carte. Cramponnée à la vie comme à son rivage, l’aptitude au rebond est dans son ADN. Voici des événements qui jalonnent son histoire mouvementée et qui marquent encore sa conscience collective. Ils sont développés en de larges traits, en allant à l’essentiel, ce qui est aussi une manière de raviver la mémoire.

1.- Je te fais la guerre si tu n’es pas mon ami…

Pourquoi Jules César assiégea Marseille

Dès sa fondation, Marseille tira sa richesse de la mer. La navigation lui permit de développer ses activités commerciales, de fonder des colonies – Le Brusc, Hyères, Antibes, Nice. Entre 218 et 203 avant l’ère chrétienne, le déclin de Carthage affaiblie par la Deuxième Guerre punique menée par Rome contre sa grande rivale du Sud, lui assura la primauté. Aussi rayonna-t-elle sans concurrence de Gênes aux Pyrénées et dans le golfe du Lion.

Entre Marseille et Rome, la bonne entente prévalait. Les Romains avaient besoin de la marine de commerce marseillaise et, en contrepartie, Marseille bénéficiait de la puissante protection de Rome. Et pour cause : dès leur implantation au bord du Lacydon, l’actuel Vieux-Port, les Grecs originaires de Phocée suscitèrent l’hostilité de la tribu ligure des Ségobriges, bien décidés à bouter hors de leur terre ces gens venus d’Ionie, en Asie Mineure, sur les côtes égéennes de l’actuelle Turquie.

Car cette tribu ligure, contrairement à ce qu’on croit, était rétive à une greffe étrangère sur son sol. Aussi prit-elle les armes après la mort de leur chef Nann. Un conflit échelonné sur plusieurs siècles. Régulièrement assaillis, souvent en difficulté, les Grecs de l’antique Massalia ne durent leur salut qu’à l’intervention des légions romaines en 122 avant notre ère. Les soldats de Gaius Sextius Calvinus, en garnison sur le site de la future ville d’Aix, vinrent au secours de leurs alliés, détruisant l’oppidum d’Entremont, forteresse ligure, au nom de l’amitié séculaire qui régissait les deux villes. En effet, pendant la Seconde Guerre punique opposant Rome à Carthage, les Marseillais avaient apporté aux Romains une aide décisive. Compensant les faiblesses romaines en mer, ils mirent chaque fois leurs vaisseaux au service des Romains, notamment lors de la destruction de Carthage en 146 avant Jésus-Christ.

En ce temps-là, Rome, à l’apogée de sa puissance, possédait en Espagne des richesses minières. Un trésor à protéger. Stratégiquement, l’arrière-pays marseillais – le sud de la Gaule – devint le passage obligé entre l’Italie et l’Ibérie. Et sur cet axe routier les Romains, toujours enclins à administrer et à équiper les terres conquises, créèrent la province de la Narbonnaise avec, sur la via Domitius – la toute première grande voie du pays – la ville-capitale de Narbo Martius (Narbonne) en 118 av. J.-C.

Mais dans cet empire qui visait à dominer tout l’Occident, deux hommes briguaient le pouvoir : le noble sénateur Pompée et l’ambitieux Jules César. Figure respectée par les notables, Pompée jouissait d’un grand prestige. En Espagne, il venait de mater Sertorius qui voulait y créer un Etat indépendant. Pompée y cantonna ses troupes mais, pour consolider ses positions, il partit en Orient qui était, pour reprendre la formule usitée, la « pompe à finance » de Rome. L’Anatolie, la Syrie et l’Egypte recelaient de grandes richesses, et c’est en les accaparant que Pompée, comme le fit avant lui Alexandre le Grand, pouvait subvenir aux besoins de ses soldats en Espagne d’une part, et à entretenir d’autre part son armée et sa cagnotte personnelle. Le commerce en Méditerranée servait aussi à ce type de nécessité.

A son retour, Pompée constitua avec César et Crassus le premier triumvir détenant tout pouvoir à Rome. A la mort de Crassus, Pompée fut nommé par le Sénat consul unique de Rome. Cependant il eut du mal rétablir l’ordre dans une ville énorme, la plus importante de l’univers, secouée par des troubles permanents. Et il y avait un autre motif d’inquiétude : Jules César. Se tenant en retrait, mais guettant le moment propice pour agir, César qui avait le savoir-faire expéditif et qui rêvait d’un pouvoir personnel, franchit le Rubicon – un fleuve d’Emilie-Romagne – avec ses troupes, le 17 décembre 50. Aléa jacta est – les dés en étaient jetés ! La guerre fut déclarée avec Pompée, lequel alla se réfugier en Grèce. Prompt à tirer les marrons du feu, César s’empara sans coup férir de l’Italie et fonça droit sur l’Espagne, pour rallier à sa cause les soldats de Pompée.

Cruel dilemme : Pompée ou César ?

Sur la route de l’Espagne, en 49 avant J.-C., il y avait Marseille, l’amie reconnue de Rome. La ville était dirigée par un conseil de six cents représentants des corps de métiers, les timouques, sorte d’aristocratie sensible aux formes et aux convenances. La gestion des affaires courantes incombait à quinze magistrats issus de ces corps. Les circonstances obligeaient la ville à choisir entre César et Pompée. Cruel dilemme ! En fait, ces quinze magistrats, plutôt conservateurs, eussent aimé rester fidèles à Pompée, d’autant que celui-ci, pour garder Marseille dans son giron, y envoya Domitius à la tête de plusieurs vaisseaux de guerre, preuve de son soutien aux sages notables marseillais. Mais César postulait un principe simple : où tu es mon ami et tu me suis, ou tu es mon ennemi, et je te combats… Pour lui, les Marseillais devaient suivre l’exemple des Italiens plutôt que d’obéir à Pompée.

Après des tergiversations et hésitations, Domitius, fin manœuvrier, parvient à gagner l’édilité marseillaise à la cause de Pompée. Outré, Jules César mobilisa trois légions et déclara la guerre à la Cité. Les dix mille Marseillais, ayant fait provision de vivres et de matériel, se calfeutrèrent dans leurs remparts qui couraient sur deux kilomètres, englobant le Centre Bourse, la porte d’Aix et la butte des Carmes, tandis que leur flotte mouillait au large du Frioul en prévision d’une bataille navale. La place était commandée par Apollonidès et les quinze magistrats assuraient l’ambassade auprès du QG romain.

En face, Jules César alignait vingt-cinq mille hommes supérieurement armés et d’une expérience sans commune mesure avec une population aspirant à la paix… Il confia l’armée à Trébonius et la marine à Brutus. Un moment, il eut l’idée de prendre la ville par surprise mais celle-ci, bien défendue, l’en dissuada. Depuis son poste de commandement établi sur le plateau de Saint-Charles, le « Grand Jules » fit édifier (avec le bois de centaines d’arbres abattus dans le massif de la Sainte-Baume) une tour de 10 mètres de haut pour deux raisons : résister aux brandons lancés depuis les remparts contre ses soldats, et ouvrir une brèche dans ces remparts à l’aide d’une « tortue » fonçant droit comme un lourd et puissant bélier glissant sur une rampe. Le Génie militaire romain fit des prouesses techniques, mais la cité assiégée et défendue par Apollonidès résistait vaillamment. D’autant que César, parti en Espagne, laissait la conduite des opérations à ses deux lieutenants.

Guerre d’usure

Sept mois plus tard, avec le retour du conquérant, le sort des assiégés fut scellé. Malgré leur courage à mener vaillamment assauts et contre-attaques, sur terre et sur mer, ils ne pouvaient l’emporter. La guerre d’usure leur fut fatale. Face à un tel adversaire, aux moyens largement supérieurs en logistique, en armement et en expérience, la résistance s’avéra vaine. Seize vaisseaux marseillais furent détruits au Frioul. La population, accablée par le confinement, mais aussi par la chaleur et la maladie, manquant de blé et d’eau potable, se rendit à l’évidence.

Au final, les Romains réussirent à entamer les remparts d’une large brèche, et leur flotte déclarée victorieuse au Frioul. Bien que triomphant, César la joua modeste. Il rançonna la cité, il lui enleva des colonies sauf Nice et les îles d’Hyères, mais lui laissa les prérogatives d’une ville libre. A vrai dire, il punit Marseille d’une façon détournée, en favorisant l’émergence d’Arles, la Rome des Gaules, grand emporium voué à doter Rome de blés et de… fauves dont ses gladiateurs et un public conquis raffolaient. Panem et circenses !

Gabriel Chakra

Exposition au Château Borély L’HÉRITAGE (vraiment) SURRÉALISTE DANS LA MODE par Béatrice CHAKRA

Je vous recommande particulièrement cette nouvelle exposition Mode au Château Borély car elle permet de donner libre cours à votre imagination.

L’héritage du surréalisme dans la mode est proposé au travers de 30 modèles des collections du Château Borély. Au programme, des créateurs tels qu’ Issey Miyake, Chanel, Gaultier, ou Jean-Rémy Daumas . Une signification qui n’est pas anodine puisque la mode est l’art (visuel) du prêt-à-porter.

La critique de Béatrice Chakra :moi, j’ai bien aimé”

J’ai bien aimé cette expo présentant des robes, des tenues aux « beautés convulsives », sujet d’inspiration des années 30 et revendiqué dans les années 60/70 dans un contexte de libération sexuelle. Un clin d’œil envers la mode dure d’André Breton, je trouve.

Le motif des lèvres ainsi que d’autres parties du corps, comme l’œil ou la main dessinés sur des pièces précises reviennent de manière récurrente depuis les années 60 dans l’univers de la mode. Mais la plus belle, selon moi, est celle aux effets « trompe-l’œil » de Mary Katrantzou s’appliquant sur les textiles notamment en 3D. Une merveille !

Cependant, l’exposition est trop courte. Basculée sur deux pièces du premier étage, elle se visite en moins de quinze minutes. C’est mon seul bémol !

Béatrice CHAKRA

Musée Borély – Musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode
Château Borély
134 avenue Clot-Bey
13008 Marseille

Entrée gratuite – 18 juin au 27 septembre, du mardi au dimanche de 9h à 18h.

Kiosquier, un métier en péril Par Jean-Paul BRIGHELLI

Où achetez-vous vos magazines en ce moment ?
À Marseille et Lyon, plus aucun titre national n’est disponible depuis plus d’un mois. Depuis la mise en redressement judiciaire à la mi-mai de Presstalis, principal diffuseur de la presse nationale, les antennes (SAD) des deux plus grandes villes de France après Paris ont déclaré forfait, occupées qu’elles sont par la CGT, qui sous prétexte de défendre l’outil de travail, est en train de le détruire.
Et de détruire du même coup les distributeurs de journaux, d’hebdomadaires et de mensuels, tout ce qui tisse le réseau d’information essentiel à la vie démocratique. Inutile de se plaindre de la désaffection des urnes : ce second tour des élections municipales s’est déroulé dans un trou noir de la presse papier.

Les incidences d’une telle politique jusqu’au-boutiste sont nombreuses.
D’un côté, la presse, sans débouchés commerciaux, meurt par étouffement. De plus en plus de magazines ne comptent plus que sur la diffusion en ligne pour survivre — et il y a des gens qui tenaient à lire leur journal en le tenant à la main, pas devant un écran. À le lire durant leurs trajets, en métro ou en train. À le lire le soir, tranquilles, allongés dans leur lit.
Par ailleurs, une désaffection se crée nécessairement vis-à-vis des kiosquiers, qui n’ont plus que des étalages vides à proposer à leur clientèle. En 2004, il y avait 55 kiosques à Marseille. Il en reste 20. Demain, ils seront bien moins nombreux, faute de rentrées financières. Pour le moment la Provence à Marseille ou le Progrès à Lyon ne réclament pas leur dû — mais jusqu’à quand ? Au sortir de la crise sanitaire, pendant laquelle les kiosquiers n’ont en général ouvert que le matin, ils se retrouvent obligés de pérenniser une option qui nécessairement réduit leur capacité de vente — et réduit d’autant le réflexe des clients, dépités de s’entendre répondre que non, Marianne, le Point, l’Express, Paris-Match, Valeurs Actuelles, et l’ensemble des hebdos de télé ne sont pas là. Ni aucun des quotidiens nationaux.
Enfin, cela supprime l’accès à une presse libre et diversifiée. Demain ne subsisteront que les fake news d’Internet.

Curieuse attitude que celle de la CGT, qui reste arcboutée sur des pratiques héritées du mythe ouvrier du XIXe siècle. La centrale de Philippe Martinez vit encore à l’époque de Germinal. Front contre front, sus aux patrons, faisons-leur rendre gorge.
Mais ça ne marche pas — on l’a bien vu à la SNCF. Le risque évident est l’ubérisation de tous ces services pris en otages par des syndicats irresponsables. Défendre son travail, certes — mais pas en menaçant le travail des autres.

Kiosque marseillais – photo Le Méridional

Vincent* est kiosquier près du port — et son métier, il le fait bien, un mot aimable à chacun, une science sans faille de son stock. Septuagénaire, il n’a que son kiosque pour vivre (et ce qu’il touche pour chaque exemplaire vendu est vraiment dérisoire). Depuis quatre mois, son métier est au point mort, d’abord par la faute d’un confinement radical car pensé dans l’urgence, faute d’une réflexion en amont, puis à cause du blocage de la SAD marseillaise. On hésite à lui demander avec quoi il mange. Son kiosque, c’est sa vie. Ce que le coronavirus, auquel il a échappé, n’a pas fait, la CGT s’en charge. À petit feu.

L’information est un rouage essentiel de la démocratie. Quotidiens et hebdomadaires offrent un autre son de cloche que des chaînes d’info qui imposent plus de chaînes que de vraies infos, on l’a assez vu depuis quatre mois. La CGT devrait comprendre que c’est dans une presse pluraliste qu’elle trouvera les relais médiatiques dont elle a besoin, pas dans une information monocolore, centralisée et contrôlée par de grands groupes qui font silence sur les revendications d’employés mécontents. Bloquer la distribution est le plus sûr moyen de mettre en faillite une entreprise déjà défaillante, qui sera remplacée demain par des systèmes indépendants, avec des livreurs payés au lance-pierre, juchés sur leurs vélos. Et non-syndiqués.

Jean-Paul Brighelli

(*) J’ai changé son nom, à sa demande. Il préfère ne pas s’exposer, me dit-il, aux représailles syndicales. Et il parle en connaissance de cause.

Elle a été réélue à la majorité absolue Martine Vassal : le plébiscite

C’est la politique des montagnes russes : battue à la régulière samedi aux municipales de Marseille par Michèle Rubirola, (celle qui se pose un peu là), Martine Vassal (LR) a pris sa revanche cinq jours plus tard en étant réélue présidente de la métropole Marseille-Provence avec une majorité beaucoup plus large que celle espérée par sa famille politique.

Détestée hier, adulée aujourd’hui : Martine Vassal est passée en cinq jours de l’abattement à la résurrection. Déjà majoritaire avec 109 voix dans l’hémicycle du Pharo, Mme Vassal a largement étoffé son capital naturel de suffrages puisqu’elle a été élue dès le premier tour de scrutin avec 145 voix sur 239 suffrages exprimés, soit 25 voix de plus dans son escarcelle puisqu’il suffisait de 120 voix pour obtenir la majorité absolue.

Il s’agit donc d’un véritable plébiscite puisque 25 voix de gauche se sont spontanément portées sur son nom.  Lesquelles ? Inutile de fureter et de lancer Eliott Ness ou le commissaire Maigret dans des recherches d’isoloir, elles demeureraient vaines car le vote a eu lieu à bulletins secrets. N’empêche, la claque essuyée par le communiste Gaby Charroux est éclatante : il ne réunit que 61 suffrages sur les 95 espérés et il va sans doute se demander longtemps quels sont ses amis aux humeurs printanières mais parfois versatiles qui l’ont abandonné en chemin…

Le fait est là. Charroux s’est fait empapahouté dans les grandes largeurs. On ne saurait en dire autant de Jean-Pierre Serrus, candidat de La République en Marche, ex-LR, qui a obtenu 22 voix au total, au lieu des 13 sur lesquelles il pouvait compter. Soit 9 de plus que son assiette normale. Des suffrages surnuméraires qui ne peuvent, là aussi, que venir des rangs de la Gauche, décidément très éclatée, puisque Mme Vassal et Stéphane Ravier ont chacun fait le plein de leurs voix.

Si vous ajoutez les 25 voix d’élus de Gauche qui ont choisi Vassal et les 9 voix de Gauche qui ont opté pour Serrus, vous obtenez un total faramineux de 34 élus de Gauche qui ont boycotté d’emblée leur camp. Voilà qui promet bien des tracas à Mme Rubirola, la nouvelle mairesse de Marseille, qui va devoir évoluer avec cette épée de Damoclès permanente au-dessus de la tête et cette interrogation lancinante : quels sont les 34 renégats qui nous ont fait défaut ?

La fin du « monstropole »

La métropole étant bipolaire, avec une tête à Marseille, et une tête à Aix-en-Provence, l’élection de l’excellent financier et économiste aixois Gérard Bramoullé en qualité de premier vice-président est un gage d’équilibre et de répartition équitable des ressources. Lui aussi, notez-le, a rassemblé 145 suffrages sur son nom, contre 80 votes blancs et 15 abstentions. C’est bien la première fois de sa vie que M. Bramoullé pourra s’enorgueillir d’avoir été élu par une partie de la Gauche…En tout cas, Maryse Joissains, mairesse inamovible d’Aix, sera bien présente à ses côtés pour « épauler » Martine Vassal et l’empêcher de sombrer dans les délires du « monstropole » qu’elle éreintait sous la présidence de Gaudin.

Très applaudie par sa large majorité, Mme Vassal a reconnu qu’elle ne s’attendait pas à un tel plébiscite : « mon score prouve que j’arrive à rassembler bien au-delà de ma famille politique », a-t-elle constaté sobrement. C’est le moins qu’on puisse dire. Ceux qui avaient préparé en douce un coup de Jarnac ou une nouvelle « enfillonade » en seront pour leurs frais. C’est raté.

Martine Vassal va pouvoir en toute légitimité amorcer une réforme profonde de cette institution assez lourde dont le fonctionnement a été jusqu’ici un échec. Elle va lancer sa « métropole de projets » en s’appuyant davantage sur les maires : à eux les compétences de proximité, à la métropole les compétences stratégiques relatives à l’aménagement du territoire et à la mobilité.

Martine Vassal sera la présidente de la république Marseille-Provence et les 92 maires seront ses premiers ministres qui pourront, enfin, s’occuper de ce qui les regarde. Souvent entravée par les difficultés administratives et l’inertie du « millefeuille », la métropole vient de renaître de ses cendres. Exactement comme une certaine…Martine Vassal.

José D’Arrigo

Rédacteur en chef du Méridional

Photo : extraite de la page Facebook de Martine Vassal

Martine Vassal – Bruno Gilles La double mort du Gaudinisme

Non, les Républicains ne pouvaient pas gagner cette élection municipale. Pour une raison très simple : ils étaient marqués par les stigmates de la division et l’infamie de la rue d’Aubagne, même s’ils n’en étaient pas directement responsables.

Le fameux « ticket » Gaudin-Muselier a bien fonctionné jusqu’en 2014, date à laquelle Jean-Noël Guérini n’a été battu que sur le fil grâce à un changement radical de slogan de campagne entre les deux tours de scrutin : « j’aime Marseille, je vote Gaudin ».

Cette fois, les Républicains se sont désunis d’emblée en se livrant à une pitoyable guerre des egos. Ils ont offert à l’opinion un « ticket inversé » selon les secteurs : Vassal-Gilles, Gilles-Vassal. Dans les huit secteurs de Marseille, les électeurs de droite ont été invités, à leur corps défendant, au spectacle désolant des escarmouches, des petites phrases assassines, des suspicions de fraudes sur les procurations et des procès d’intention entre les deux « bébés Gaudin » : Martine Vassal et Bruno Gilles.

Malgré les objurgations de Renaud Muselier, les deux prétendants au trône ont vite oublié que leur division ne pouvait qu’être néfaste, voire suicidaire, pour leur camp. Certes, tous deux ont eu le courage de se ressaisir et de revenir à de meilleurs sentiments : Vassal en s’effaçant in extremis au profit de Guy Teissier après son échec dans le 6/8, et Bruno Gilles en donnant ses deux voix à son ex-parti. Mais c’était bien trop tard pour réparer les pots cassés. Ils étaient devenus inaudibles.

Aucun dauphin à sa taille

Juché sur son piédestal, les mains croisés sur son embonpoint, Gaudin le rassembleur de chrysanthèmes a dû jubiler en douce et ricaner sous cape en voyant ses héritiers putatifs s’étriper à qui mieux mieux. Son vœu ultime s’ancrait ainsi dans la légende : rendre les clefs à la Gauche, aucun dauphin n’étant jugé à sa taille, comme Defferre en son temps…

L’histoire retiendra sans doute que Gaudin n’est qu’une créature de Gaston Defferre, effaré de l’ambition dévorante de Charles-Emile Loo et de son ascension en qualité de trésorier national du PS, et qui décida d’y mettre brutalement un terme aux législatives de 1978 à Marseille…en faisant voter les gros bataillons socialistes en faveur du jeune et primesautier Gaudin, incarnation d’une droite centriste jugée inoffensive.

De même, Guy Teissier l’a bien compris, Gaudin n’a pas fait tout ce qu’il pouvait faire pour conserver Marseille dans son camp politique. Il a divisé sa propre famille, puis il a assisté au désastre comme à un match de l’OM. En se frottant les mains et en comptant les points. Le jeu politique ressemble ici à un exercice de tuerie sur fond de mots doux et d’étreintes amicales. Gaudin m’avait confié un jour, alors qu’il briguait la présidence du Sénat :

« Vous savez, au Sénat aussi, on tue en douce ses adversaires, mais les moquettes du palais du Luxembourg sont si épaisses que les cadavres ne font jamais de bruit en tombant sur le sol… »

Non, décidément, la Droite ne méritait pas de gagner cette élection. Lorsque les médias socialistes se félicitent de la défaite de Stéphane Ravier (RN) dans le 13/14 et de la victoire au forceps de David Galtier (LR) au second tour, ils feignent d’ignorer que ce résultat inespéré n’a été rendu possible que par la défection volontaire de la Gauche au second tour, ce qui revient à reconnaître que le score final de Martine Vassal est aussi lié au bon vouloir de ses adversaires, et donc, sans grande signification.

Dans l’autre sens, Samia Ghali, elle aussi en panne de mémoire, fait semblant d’oublier que si Martine Vassal n’avait pas retiré de la course au second tour son candidat Moussa Maaskri (14 % des voix), elle aurait été battue à plate-couture par le Printemps marseillais de Coppola et jetée aux orties. Elue avec 5025 voix sur 47 912 inscrits, Ghali n’a recueilli « que » 10,48 % des inscrits mais elle a su faire payer très cher son petit pécule à ses nouveaux amis. Croyez-vous que ce résultat étique, squelettique, justifiait ses prétentions exorbitantes qui semblent davantage relever du caïdat politique que de la légitimité républicaine ?

Conciliabules interminables, chantage, pression, Mme Ghali aura maintenu le suspense de sa double allégeance possible jusqu’au bout du bout. Finalement, Mme Rubirola a cédé. Elle lui a tout donné pour bénéficier d’une majorité absolue de 51 voix au sein du conseil municipal : elle lui a confié un poste de deuxième adjointe, Payan étant inamovible à ses côtés, et trois autres adjoints choisis parmi les huit élus de sa liste : Roland Cazzola (11eme adjoint), Marguerite Pasquini (22eme adjointe) et Sébastien Jibrayel, le fils de son père (29 eme adjoint).

La mairesse et la traitresse

Dans l’autre camp (supposé), Mme Ghali a une sœur qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau : il s’agit de Lisette Narducci, la dame de tous les bons partis, mais surtout du sien. Voilà une élève de Guérini, qui soudain devient gaudiniste, puis qui fait campagne aux côtés du gaulliste Bruno Gilles parce qu’elle se sait barrée par Solange Biaggi dans le 2/3 et qu’elle n’a pas d’autre issue pour exister dans ce secteur. Elle réussit à battre sa rivale d’une poignée de voix au premier tour mais doit s’incliner au second tour, ce qui la condamne à être une simple conseillère municipale, poste qui ne satisfait pas ses ambitions.

Alors, elle va crier famine chez Rubirola sa voisine dans l’espoir de décrocher une prébende contre son allégeance et son vote. Et, bingo, elle décroche un poste de 26eme adjointe qui sanctionne sa piteuse félonie. Toutefois, la nouvelle mairesse de Marseille devrait se méfier des convictions versatiles de Lisette qui a été guériniste, socialiste, radicale, gaudiniste, gilliste et nouvellement rubiroliste…et se souvenir de l’avertissement de Stéphane Ravier : « nous préférons laisser entre eux les magouilleurs et les marchands de tapis ».

Cette élection marquera aussi l’échec d’une toujours possible union des droites tant espérée par les patriotes depuis des lustres :celle qu’avait réalisée de concert Jean-Claude Gaudin et Ronald Perdomo (FN) avait permis de conquérir le conseil régional en 1986 mais l’expérience n’a pas eu de suite. La double mort du gaudinisme, elle est là, aussi. Teissier et Stéphane Ravier n’ont pas réussi à s’entendre, au grand dam de leurs électeurs respectifs, ce qui remet cette entente hypothétique aux calendes grecques.

Que restera-t-il de cette échauffourée électorale empuantie par des suspicions tous azimuts de fraudes aux procurations et de bourrages d’urnes, y compris dans le secteur de Mme Ghali, ce qui pourrait conduire à une annulation du scrutin dans le 15/16, puisque seulement 386 voix séparent la nouvelle deuxième adjointe de Jean-Marc Coppola…Rien ou presque.

 Un parfum de désolation et de frustration. Comme toujours après les brusques montées de température qui rythment la vie de Marseille. Dans le secret de son cabinet, la nouvelle mairesse va devoir arbitrer entre des ambitions contradictoires dans un contexte budgétaire drastique avec l’obligation absolue pour l’ancienne hippie du Larzac et la talentueuse chanteuse de Gospel de trouver le bon tempo entre les diverses intonations de son patchwork ingouvernable.

Rubirola est bien là, mais elle devra trouver le « la ». Entre des partis qui se détestent (Verts, PS, PC), elle devra faire prendre la mayonnaise avec autant de brio qu’elle a réussi à le faire durant la campagne, c’est-à-dire en empaquetant le tout dans un concept marketing affriolant (le printemps) pour mieux masquer la flétrissure d’étiquettes vérolées. Puis, elle devra remettre à leur place ses alliées de circonstance qui marchandent le destin de la ville comme des brocanteurs du marché aux Puces. Elle aura largement le temps de se rendre compte, elle, la « technicienne de l’humain », qu’elle est entourée de techniciennes de surface politique…

Ce n’est pas Vassal, c’est elle, Rubirola, qui devra incarner « une volonté pour Marseille ». Elle semble pleine de bonne volonté, mais il n’est pas interdit de penser qu’elle finira, elle aussi, tôt ou tard, dans les bégonias. Parce que c’est ça Marseille.

José D’Arrigo

Rédacteur en Chef du Méridional

Rubirola hélas! Marseille : le printemps de Prague

Toutes les grandes escroqueries politiques sont nées sur la promesse d’un monde meilleur. La pseudo-révolution de mai 1968 en France a engendré une génération entière de dirigeants et de PDG qui épouvanterait les étudiants chahuteurs qu’ils ont été durant leur adolescence.

L’avènement de Mitterrand en 1981 a été perçue comme une libération festive par toute une jeunesse socialiste et communiste qui a été cruellement déçue par la suite. De même, l’élection de Jacques Chirac à la présidence en 1995 devait permettre l’éclosion des valeurs de la droite nationale : indépendance, liberté, ordre, responsabilité, souverainisme. Il n’en a rien été.

Avec Sarkozy, ils croyaient au karcher et ils ont eu Kouchner. Hollande et Macron n’ont été que les clones invertébrés de leur propre substance. La politique n’est souvent qu’une malédiction saluée par la liesse populaire. Les idées mirifiques s’y enlisent inexorablement dans la mélasse du quotidien…

Voilà pourquoi la victoire surprise de Michèle Rubirola me paraît du même ordre que les espoirs fous suscités en 1968 par le printemps de Prague et son fameux « socialisme à visage humain ». Le réformateur Alexander Dubcek avait cru pouvoir s’émanciper de la tutelle du parti communiste soviétique en introduisant en Tchécoslovaquie la liberté de la presse, la liberté de circulation et la démocratisation de la vie publique. Le printemps de Prague s’est soldé le 21 août 1968 par l’invasion des chars de combat et les soldats du pacte de Varsovie qui ont imposé leur « normalisation » en abandonnant toutes les réformes libérales de Dubcek. Rideau.

Les rêves idéologiques s’achèvent souvent par un réveil brutal aux réalités. Le Printemps marseillais n’échappera pas, hélas, à cette issue tragique. Tout se passe comme si le patchwork bricolé par le tandem vert et rose, Rubirola-Payan, était irisé de reflets brillants qui attirent les électeurs déboussolés. On appelle ça un « miroir aux alouettes ». C’est un leurre trompeur doté d’un emballage clinquant qui permet de piéger, en fin de cycle, ceux qui croient encore en un Marseille débarrassé pour toujours du clientélisme, du clanisme, du communautarisme, du népotisme et des guichets obligatoires sur le fronton desquels on peut lire la formule magique : « un tien pour deux tu me rendras… »

Les mêmes qui exultent aujourd’hui sur les décombres du gaudinisme auront demain la gueule de bois. Qui trop embrasse mal étreint. Les nouveaux venus veulent que « tout le peuple de Marseille s’implique dans la gouvernance de la ville » (Fortin), ils rêvent de « réconciliation entre Marseille-Nord et Marseille-Sud » (Ghali) alors que ces deux Marseille ne sont plus dos à dos mais face à face, et la nouvelle mairesse promet à ses ouailles que « le clanisme, le clientélisme et le népotisme, c’est fini ». Formidable. Génial.

La vérité, c’est que les marionnettistes du système politique vont simplement changer de titulaires. Voilà tout. Les alouettes folles de La Plaine vont s’écraser inéluctablement contre les bouts de miroir agités frénétiquement au-dessus de la Bonne Mère par les écolos, les socialos, les cocos et les gauchos. Le stratagème brillant ne fonctionnera qu’un temps, puis il s’écroulera, comme d’habitude, victime des vices de la nature humaine et des rouages d’un système implacable qui broie les plus belles intentions et saccage les âmes.

Que va-t-il se passer maintenant ? Les Marseillais qui croyaient naïvement à la légende de la pastèque (verte à l’extérieur, rouge à l’intérieur) vont probablement vivre un été caniculaire avec une crise sociale, économique et financière sans précédent. Ils vont ramer jusqu’à l’automne dans l’attente d’une embellie et verront alors avec tristesse et consternation que les arbres de Rubirola ne tiennent pas la promesse des fleurs. Les feuilles tomberont en abondance et la végétation naguère luxuriante s’étiolera. Puis viendra l’hiver, semblable à celui de novembre 1956 à Budapest au cours duquel les révoltes populaires furent écrasées sans pitié et dans le sang.

Les nouveaux « gilets jaunes » seront tabassés et emprisonnés, leurs utopies abolies. Ils comprendront alors que l’élection au rabais de Rubirola (66512 suffrages seulement pour le printemps marseillais sur un demi-million d’inscrits) n’était qu’une victoire à la Pyrrhus, obtenue au prix de promesses si lourdes et si incohérentes qu’elles compromettent d’emblée leurs chances de succès final.

Et le Printemps marseillais aura vécu ce que vivent les roses, l’espace d’un matin…

José D’Arrigo

Rédacteur en Chef du Méridional

Il a largement battu la mairesse sortante Vincent Goyet : un solide rempart pour Saint-Mitre

Vincent Goyet, 40 ans, nouveau maire de Saint-Mitre-Les-Remparts, s’est battu comme un lion durant six ans pour parvenir à convaincre une large majorité des électeurs Saint-Mitréens  du bienfondé de son projet. Le 28 juin, il les a ralliés à sa cause.

En 2014, Vincent Goyet n’avait réuni sur son nom que 24,12 % des suffrages contre 42,99 % à sa rivale Béatrice Aliphat, une mairesse qui s’est révélée être assez dirigiste et dont la gestion chaotique du personnel municipal a abouti à de nombreuses procédures judiciaires.

Très respectueux de la démocratie, considérant que Béatrice Aliphat était du même bord politique que lui, Vincent Goyet lui avait alors tendu la main pour travailler avec elle en bonne intelligence, mais il avait alors essuyé un refus dédaigneux. Alors, le pugnace Goyet s’est tourné vers ses coéquipiers et leur a dit : « nous allons nous transformer en laboureurs…»

En laboureurs politiques, évidemment. Vivant tous à Saint-Mitre et rencontrant les habitants au quotidien, ils ont tissé des liens avec eux, écouté leurs doléances et creusé patiemment le sillon de la proximité tandis que la mairesse, élue et vice-présidente de commission au conseil régional, passait le plus clair de son temps à Marseille. Présents en permanence à Saint-Mitre et bossant leurs dossiers, Goyet et ses amis ont pointé les erreurs grossières de Béatrice Aliphat, par exemple son idée saugrenue de construire 1000 logements à Saint-Mitre alors que 450 suffisent amplement aux besoins des habitants et qu’ils permettent de s’insérer dans le paysage sans porter atteinte à la beauté du site.

Pour Vincent Goyet, il n’est pas question de céder aux sirènes de l’urbanisation galopante et il sera un véritable rempart contre les jobards du gigantisme et de la bétonite aiguë. « Construire d’accord, estime Goyet, mais sans dévorer nos collines et sans rien cacher aux riverains sur certaines parcelles enclavées et peu propices à l’aménagement de logements collectifs. La forme urbaine, la hauteur et la densité des logements nouveaux doivent s’intégrer harmonieusement dans le site existant et ne pas injurier la nature ».

Nos Photos : Vincent Goyet et son équipe : un sourire rayonnant pour le renouveau de Saint-Mitre-Les-Remparts. (Photos Jean-Baptiste Raboin)

La stratégie du laboureur

La mairesse, trop préoccupée par son mandat régional et ses responsabilités à la commission « croissance verte, transition énergétique, énergie et déchets », aurait été bien inspirée de penser en priorité au développement durable de son propre village. A ceux qui osaient lui reprocher son absence, elle a laissé entendre que finalement, le cumul des mandats avait du bon et pouvait se justifier pour être plus efficace, une sornette régulièrement agitée par Jean-Claude Gaudin pour faire accepter sa double casquette marseillaise et parisienne.

Bref, la belle mairesse n’a pas senti venir la patate, tant et si bien que le 28 juin, à l’issue du second tour de scrutin, le score des deux rivaux s’est tout simplement inversé : Vincent Goyet 54,37 % des suffrages et Béatrice Aliphat 45,63 %.

Vincent Goyet, le laboureur, a gagné 632 voix en six ans tandis que sa rivale en perdait 247 durant le même laps de temps. Avec une participation de 60 % des électeurs inscrits, la victoire du jeune républicain est à la fois éclatante et indiscutable. Nul n’a d’ailleurs songé à la discuter et la mairesse sortante a reconnu sa défaite avec fair-play, souhaitant bonne chance à son successeur.

Vincent Goyet va à présent réanimer Saint-Mitre et la faire revivre. Les charges excessives de personnel seront réexaminées car la mairesse les avait augmentées de 500 000 euros environ en trente mois, le centre-ville sera revitalisé et le sens unique de circulation qui ne permet pas aux visiteurs de s’arrêter sera revu et corrigé. Saint-Mitre va changer d’ère, avec un nouveau plan local d’urbanisme plus cohérent, plus écologique et surtout plus en phase avec les vœux des habitants.

 Sept nouvelles plages seront aménagées sur le modèle de celles de Martigues avec tables de pique-nique et plantation de palmiers. Comme les eaux de l’étang de Berre sont de plus en plus pures et que les anguilles et les hippocampes sont de retour, voilà une très heureuse initiative. Le centre ancien sera restauré au fil du temps et plus personne ne pourra dire que Saint-Mitre est une cité qui dépérit.

Saint-Mitre ville dortoir, c’est fini. Cap sur l’animation, le changement, le commerce, la vie. Vincent Goyet va s’appuyer sur des gens bien, pas des idéologues sectaires, des gens de tous horizons qui ont la même ambition pour leur village et parlent donc le même langage. Ceux qui ont tenté de multiplier les attaques sordides sur l’équipe Goyet en seront pour leurs frais : on ne gagne pas en éclaboussant des torrents de boue sur ses adversaires dans les réseaux sociaux sans se discréditer soi-même. Oui, Vincent Goyet sera le vrai rempart de Saint-Mitre contre les miteurs et autres dynamiteurs de paysage qui tenteraient d’abîmer son site merveilleux.

José D’Arrigo

Rédacteur en Chef du Méridional

Carrière grecque antique de la Corderie Jean-Noël Beverini : Lettre ouverte à Jean-Claude Gaudin

Monsieur Jean-Claude Gaudin

Maire de Marseille

Cher monsieur le maire,

J’ai attendu longtemps. J’ai attendu jusqu’au dernier moment. Et mon attente longue, jusqu’au dernier moment, est restée sans réponse. Le 18 juin dernier, à l’occasion d’un déjeuner en compagnie de personnes que vous estimez, je vous ai remis personnellement une lettre. Deux feuillets et demi accompagnés d’une aquarelle d’un de nos grands artistes marseillais représentant Pythéas en couleur d’ambre, si évocatrice de son périple maritime. Pythéas se joignait symboliquement à ma lettre en raison de son objet : la carrière grecque antique dite de la Corderie.

Il y a 2600 ans, cette Grèce, par le choix de ses Phocéens, fondait notre ville. 2600 ans qui rendent unique Marseille comme première « ville » de France. Marseille n’est pas, en effet, la seconde ville de France mais en est la première grâce à ses fondateurs, nos fondateurs. Aucune autre métropole ne peut afficher une telle naissance, une telle ancienneté, une telle antériorité.

Cette unicité est à la fois un honneur et une responsabilité. Si nous perdons ce sens de la responsabilité, nous perdons par là-même le sens de l’honneur. J’ai attendu jusqu’au dernier moment… Dans ma lettre du 18 juin concernant les vestiges de la carrière grecque antique de la Corderie, je vous écrivais :

«  Nous ne pouvons laisser notre matrice fondatrice dans l’état d’abandon où elle se trouve depuis trois ans. Nous ne pouvons la laisser. Vous ne pouvez la laisser ».

Évoquant l’ancien remarquable soutien apporté par madame Jacqueline de Romilly pour la préservation et la valorisation du complexe grec du VI ° siècle avant J.-C. découvert sur le site du Collège Vieux-Port, je vous invitais respectueusement à prendre une décision ultime de sauvetage d’une partie de cette carrière grecque, mémoire originelle de notre Ville.

Il ne s’agissait même plus de sauvegarde, de protection, de valorisation mais bien de « sauvetage ». Un SOS, en quelque sorte. C’est le cas de le dire. « Save or sink ». Sous la montée des eaux d’infiltration, de résurgence, ce lieu fondateur, tel un navire en perdition, est sur le point de disparaître malgré le classement décidé par l’État. L’arrêté d’inscription au titre des monuments historiques suivit la visite de la ministre de la Culture à Marseille le 7 octobre 2017. Le Groupe Vinci, par courrier du 3 novembre 2017, s’engageait fermement : construction d’un belvédère muni d’un ascenseur, ouverture d’un chemin permettant accès, mise en valeur des vestiges, déplacement d’un « banc de taille », présentation d’éléments mobiliers remarquables, installation d’une protection en verre. (Communiqué ministère de la Culture du 8 novembre 2017).

Vue partielle des vestiges à l’issue des Fouille. Ce « Monument historique » classé, est en l’état depuis trois ans (Photo juin 2020).

À noter: Panneau planté sur le site inaccessible et mentionnant la présence d’un monument historique (Photo juin 2020)

À gauche, les bancs de taille montrant les marques laissées par les outils des carriers.À droite, les sarcophages encore en place, les « négatifs »(creux laissés dans la roche après retrait des sarcophages terminés),À l’extrême droite, les « bancs » horizontaux destinés à devenir les couvercles des sarcophages.

Photos : Jean-Noël Beverini 

Tout cela est resté lettre morte. La carrière se meurt. Sans une ultime décision la carrière est morte.

J’ai attendu. J’ai attendu longtemps. Évidemment les Services de l’État sont en première ligne. Notre ville doit-elle pour autant se sentir non concernée ? Il s’agit de NOTRE Histoire. Notre patrimoine et notre patrimoine antique sont tombés dans la plus grande ignorance. J’ose l’écrire : cet abandon est pitoyable et scandaleux. Indigne de la plus ancienne ville de France redécouvrant sa carrière fondatrice. L’immeuble élevé, la carrière peut pourrir. Quel mépris pour notre Histoire. Faut-il nous résigner à placer la Culture dans l’oubli de l’ancien monde ?

Préserver notre Histoire est aussi une question de solidarité, de solidarité entre les âges, entre les siècles. En détruisant notre Passé, nous détruisons notre âme. Comment s’étonner ensuite de l’émergence d’une société sans âme ?

Je vous parle, cher monsieur le maire, avec une totale franchise, tout en sachant l’attachement immodéré que vous portez à Marseille. C’est précisément sur le fondement de cet attachement que nul ne saurait mettre en doute que je vous adresse ce dernier courrier.

Je vous prie de bien vouloir recevoir, à nouveau, l’assurance de mes francs et respectueux sentiments.

Jean-Noël Beverini

Marseille : les clefs d’une élection souterraine

Incroyable ironie de l’histoire : Guy Teissier pourrait être sacré maire de Marseille ce samedi 3 juillet 2020 au bénéfice de l’âge (75 ans) par l’homme qui l’exècre le plus au monde, Jean-Claude Gaudin. Il faut savoir que depuis cinquante ans, Claude Bertrand l’éminence grise du maire, et Jean-Claude Gaudin lui-même, ont juré que cet ancien parachutiste, friand d’ordre, de responsabilité et de justice sociale, ne serait jamais élu maire de Marseille.

Le duo machiavélique a-t-il conspiré en secret contre son propre camp pour convaincre certains de leurs conseillers municipaux amis de voter pour l’extrême-gauche ou de s’abstenir à seule fin de mettre un terme définitif aux ambitions de leur éternel rival ? Les deux compères sont-ils à l’origine de l’extravagante sortie de Lionel Royer-Perreaut, réélu maire du 9/10, qui a décidé de se présenter contre son mentor en politique, celui qui lui a tout apporté après la mort tragique de Yann Piat dont il était l’attaché parlementaire ?

On serait tenté de le croire lorsqu’on considère les arguments de Lionel Royer-Perreaut pour justifier son choix : un, Teissier aurait passé des accords occultes avec le Rassemblement national pour bénéficier de leurs neuf suffrages, deux, Martine Vassal n’aurait consulté personne pour désigner Guy Teissier à sa place et seulement parce que c’est le doyen des conseillers, trois, l’électorat marseillais a décidé, par la nature de son vote ambiguë, de ne pas trancher entre l’extrême gauche et la droite républicaine, obligeant ainsi les élus des deux camps à s’entendre en vue d’une nouvelle « gouvernance partagée », naguère assurée par Teissier lui-même à la tête de la communauté urbaine.

Sur ce troisième argument, on ne saurait donner tort à Lionel Royer-Perreaut car les scores enregistrés par l’extrême-gauche et la droite républicaine sont beaucoup plus serrés que ne l’indiquent les médias socialistes. Au premier tour de scrutin, le « Printemps marseillais » a en effet totalisé 6735 voix de plus que Martine Vassal (LR) sur 507 412 électeurs inscrits, et au second tour, lorsque Martine Vassal et Bruno Gilles mêlent leurs suffrages, cet écart se réduit à 2232 voix, c’est-à-dire une poignée de figues au regard du demi-million d’inscrits sur les listes électorales. C’est là qu’on comprend que la Gauche n’a pas vraiment gagné cette élection, elle a profité des divisions de la droite qui s’est en quelque sorte « auto-flinguée »…

Teissier-Royer-Perreaut : une animosité ancienne

En revanche, les autres arguments de Royer-Perreaut sont fallacieux. Ils cachent une réalité plus prosaïque. Souvenez-vous de la préparation des élections municipales en 2019 : il avait fallu que Martine Vassal se déplace elle-même à Mazargues pour éteindre l’incendie entre Teissier et Royer Perreaut, tous deux candidats au même poste de maire. Teissier avait fini par s’effacer pour sauvegarder les intérêts de son camp mais tout le monde avait compris qu’il y avait désormais de l’eau dans le gaz entre l’élève et son maître.

Nous pouvons même vous confier que ce conflit larvé a failli dégénérer en bagarre judiciaire, tant la tension était vive entre ces deux-là. Finalement, tout s’est arrangé en surface avec grands sourires et embrassades en face des caméras. Mais les arrières pensées vindicatives viennent d’éclater au grand jour : entre le député et le maire du 9/10 c’est la détestation cordiale. Et si Royer-Perreaut s’est précipité pour briser la dynamique impulsée par Martine Vassal, c’est parce qu’il sait fort bien que si Teissier est élu, lui, l’élève très indocile, ne tardera pas à finir à la trappe…

La défection de Lionel-Perreaut et sa stratégie du « tout sauf Teissier » peuvent-elles empêcher Teissier d’être élu à la majorité absolue ? Certes oui. Pour que Teissier recueille les 51 voix nécessaires (sur 101 conseillers), il faut qu’il table sur les trois conseillers de Bruno Gilles – ça, c’est fait, en principe -, ce qui porte le score à 42 élus partout entre l’extrême gauche et la droite républicaine. A partir de là, si Teissier parvient à convaincre quelques élus du Rassemblement National et de Samia Ghali de voter pour lui, il peut flirter avec les 51 voix de la majorité absolue, mais il devra décompter de son total la précieuse voix de son ex-ami Royer-Perreaut qui fera défaut à son camp.

Vous voyez qu’on n’est pas sorti de l’auberge. D’autant moins que les voix de Samia Ghali, femme de gauche qui aimerait avoir l’appui de la Droite, n’iront certainement pas toutes au Printemps marseillais qui peut mathématiquement espérer obtenir 50 voix avec cet appui providentiel des savoureux chichis-fregis de « Ma-Ghali » à l’Estaque.

Seulement voilà, Ghali est clairement enférocé contre le Printemps marseillais qui a voulu l’évincer du champ politique en maintenant contre elle la candidature de Jean-Marc Coppola alors que le RN était bien placé pour l’emporter. Ghali sait parfaitement que si Coppola l’avait emporté – ça s’est joué à 386 voix seulement ! -, elle serait aujourd’hui confortablement installée dans les poubelles de l’histoire politique de la gauche marseillaise. La pasionaria de l’Estaque sera donc tentée de rendre à l’extrême gauche la monnaie de sa pièce, peut-être en faisant à son tour la courte échelle à Martine Vassal qui l’a puissamment aidée à vaincre en retirant son candidat du 15/16.

« Une personne de confiance »

En outre, Olivia Fortin, la tombeuse de Martine Vassal dans le 6/8, ne s’est pas gênée pour affirmer sur les ondes qu’il n’était pas question de nommer Samia Ghali en qualité de première adjointe de Mme Rubirola. « Il faut désigner une personne de confiance issue de nos rangs », a-t-elle tranché. Une « personne de confiance » en marseillais, ça signifie qu’on ne peut pas nommer n’importe qui à un poste clef. Bonjour l’ambiance.

Pour corser un peu cet imbroglio municipal, on s’aperçoit, en lisant les noms des neuf élus du Rassemblement national, que six d’entre eux sont « Teissier-compatibles ». Bernard Marandat, Franck Allisio, Eléonore Bez, Sophie Grech, Cédric Dudieuzère et Stéphane Ravier lui-même auraient du mal à accepter en effet que Marseille soit gouvernée par des zozos de l’extrême gauche, un camp qu’ils ont toujours ardemment combattu. Ils seraient assez favorables à un « pacte marseillais »pour faire barrage au péril rouge.

Par ailleurs, qui peut avancer avec certitude que le camp Ghali est monolithique ? Personne. Qui peut soutenir que Roland Cazzola, Sébastien Jibrayel (le fils d’Henri), Marguerite Pasquini, Nadia Boulainseur et Samia Ghali elle-même vont célébrer en grandes pompes leurs épousailles avec leurs tueurs présumés ?

Enfin, tous les conseillers de l’extrême gauche voteront-ils comme un seul homme pour Mme Rubirola ? Nul ne le sait. Réponse samedi à bulletins secrets dans les urnes, et au troisième tour à la majorité relative. Mais si Guy Teissier réalise enfin son rêve d’enfant, celui de devenir maire de Marseille, lui l’enfant pauvre des quartiers nord, on ne saura jamais à qui il devra son écharpe. A Samia Ghali ? A Stéphane Ravier ? A Martine Vassal ? Ou bien aux trois partiellement réunis ? Mais certainement pas à son éternel rival : le rancunier Jean-Claude Gaudin.

José D’Arrigo

Rédacteur en Chef du Méridional