Présidentielle 2022 – Renaud Muselier : « Le parti des Républicains est victime d’une mort programmée et d’un suicide collectif »

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Renaud Muselier, président du Conseil régional du sud, ancien ministre de Jacques Chirac, ancien député à maintes reprises des Bouches-du-Rhône, ex-député européen, ancien président des régions de France, ex-Premier adjoint de Jean-Claude Gaudin à la municipalité de Marseille et initiateur de l’Union pour un Mouvement Populaire dans laquelle se sont fondus l’UDF et le RPR, est sans conteste l’un des hommes politiques les plus huppés de notre région. L’interview de Guy Teissier pour Le Méridional dans laquelle le député LR estimait que le naufrage de son parti était « injuste » a fait bondir Renaud Muselier qui n’est pas tendre avec ses anciens amis.

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Titulaire de tous les mandats de la République, M. Muselier a reçu Le Méridional dans son fief de l’Hôtel de la Région Sud à Marseille pour une interview-choc. Il nous confie que, selon lui, la défaite cinglante des Républicains était « prévisible » : « Il s’agit, dit-il, d’une mort programmée : c’est le suicide collectif d’une secte désemparée et sans tête. Les dirigeants des Républicains se sont aveuglés sur leur prétendue puissance, ils ont été incapables de s’additionner et de s’ouvrir comme je l’ai fait moi-même avec succès à la tête de la Région Sud, ils ont été inaptes à se remettre en question et la seule solution qu’ils ont trouvée pour masquer leurs insuffisances, c’est de traiter leurs anciens compagnons de route de « traîtres » ou d’autres noms d’oiseaux et de passer leur temps à éreinter Emmanuel Macron ! »

Le Méridional : M. Muselier, avez-vous conscience de l’immense déception qu’a pu susciter dans les rangs de votre ancien parti votre départ des LR ?

Renaud Muselier : Bien sûr que oui. Les militants et amis du parti ne s’imaginent pas à quel point mon départ a été dur et difficile après plus de quarante ans de fidélité à nos couleurs. Je suis un Chiraquien historique, un membre fondateur de l’UMP et des LR, j’ai été à la tête d’une des plus importantes fédérations de France et lorsque j’en suis parti nous comptions plus de 7 000 adhérents. J’ai longtemps réfléchi mais j’étais obligé de partir. Pour une raison simple : les dirigeants actuels m’ont écarté, ils m’ont marginalisé et mis dehors. J’étais membre du bureau national et je participais à la commission nationale d’investiture. Les LR, c’était ma famille. Je n’ai jamais renoncé à ma liberté d’expression et je n’ai jamais accepté la moindre porosité avec le Front national puis avec le RN car c’est pour moi une faute morale et politique. Ceux qui ont fait le choix inverse ont toujours perdu dans les urnes.

L.M : Est-ce votre stratégie de rassemblement tous azimuts qui n’a pas été acceptée par Christian Jacob lors des dernières régionales ?

R.M : Exactement. Je me suis rendu compte que si je ne me mariais pas avec d’autres mouvements, ma base électorale était insuffisante. Et il n’était pas question que je laisse le champ libre au Rassemblement national. Je me suis dit : si tu n’additionnes pas les forces en présence et les huit tendances différentes qui participent à la gouvernance de cette région, tu es foutu. C’est ce que j’ai fait et les dirigeants des LR ont multiplié les obstacles à mon encontre avec Teissier, Ciotti, Aubert et d’autres qui ont carrément fait campagne contre moi !

« je suis un chiraquien historique, un membre fondateur de l’ump et des lr »

L.M : Donc vous avez fait une large place aux Marcheurs de Macron ?

R.M : Pas du tout, c’est faux. J’ai gagné l’élection avec 57 % des suffrages et je suis le président de Conseil régional le mieux élu de France. Et savez-vous combien je compte de marcheurs parmi les 84 conseillers régionaux de ma majorité ? J’en ai cinq ! Dont trois sont d’anciens LR !

L.M : Pourquoi avez-vous soutenu Xavier Bertrand lors de la primaire des Républicains ?

R.M : Parce qu’il a toujours été clairement opposé au Front national. Lui, il a toujours gagné contre le Front. L’ennui, c’est que Bertrand a refusé mon soutien et j’ai essuyé le rejet de tous les candidats. J’ai tiré la leçon de cet ostracisme, comme MM. Estrosi et Falco, et j’ai démissionné.

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L.M : Vous avez déjà annoncé que vous refuseriez un poste de ministre lors de la composition du nouveau gouvernement en juin. Pourquoi ?

R.M : Parce ce que c’est ma région d’abord. Je ne vais pas m’éparpiller. Je suis le garant de l’unité de cette région et je vais m’y consacrer totalement. J’ai pour la région sud une ambition puissante. Je veux qu’elle devienne la plus belle région d’Europe en œuvrant pour son développement économique, environnemental, sanitaire et sportif. Je vais tout faire aussi pour que les Provençaux bénéficient de la meilleure qualité de vie possible dans une région bénie des dieux.

L.M : Que pensez-vous de la position officielle de M. Jacob qui a déclaré : « Les Républicains ne sont fongibles ni dans le macronisme ni dans le lepénisme » ?

R.M : Je ne suis pas sûr de comprendre ce qu’il veut dire. Christian Jacob est un ami et il le restera mais il devient un adepte du grand écart. Moi je suis d’accord avec Pécresse et Larcher qui ont clairement appelé à voter Macron contre le Rassemblement national. Je vois bien qu’il essaie de tenir debout une famille très divisée. Lorsque vous avez des Républicains qui sont sur la même ligne que Zemmour ou Le Pen et que d’autres appellent à titre individuel à voter Macron et que le mouvement en arrive à résoudre ce grand écart en prônant le « nini », vous êtes amenés à penser que vous n’êtes plus rien du tout et vous ne pouvez plus gagner la moindre élection.

L.M : Pourtant, à vos débuts au RPR, vous aviez des convictions très ancrées en matière de lutte contre l’insécurité ou l’immigration de masse. N’avez-vous pas l’impression de vous déjuger en donnant l’impression d’épouser l’idéologie socialiste de M. Macron ?

R.M : Je n’ai rien changé de mes convictions initiales au RPR. J’estime que c’est au gouvernement de faire prévaloir le régalien, la Défense, les Affaires étrangères, l’International, la sécurité intérieure et extérieure. Là-dessus, mes idées sont les mêmes. Simplement, la vie politique est un chemin au long cours où vous devez faire preuve de pragmatisme et d’ouverture pour surmonter les crises. MM. Darmanin et Lemaire ont été en première ligne durant des mois et ce sont d’anciens LR. S’ils agissent pour l’intérêt général pourquoi irais-je m’opposer à eux ? Aujourd’hui nous avons l’économie française qui connaît la plus forte croissance en Europe, ce n’est pas un hasard. Et notre taux de chômage n’a jamais été aussi bas depuis Pompidou en 1973. En mûrissant, j’ai appris à faire la part des choses. Si vous vous enkystez dans l’idéologie, vous n’avancez pas. Je ne suis pas un opposant systématique, au contraire des LR qui se sont recroquevillés et se sont asséchés jusqu’à la déroute, la banqueroute et le déshonneur.

« je n’ai rien changé de mes convictions initiales au rpr »

L.M : Pensez-vous que les Républicains se sont auto-sabordés pour laisser le champ libre à Macron en échange d’un certain nombre de circonscriptions ?

R.M : Non, je pense que M. Macron nous a habilement coupé les pattes en nommant Edouard Philippe Premier ministre. Dès lors, nous étions coincés. La dégringolade a commencé avec l’échec de François Fillon et la descente aux enfers n’a pas cessé depuis. C’est le réveil des LR avec le succès des élections locales qui a trompé nos dirigeants dans leur analyse. Les européennes avec Bellamy ont été un échec. Depuis cinq ans, ils se cantonnent dans une critique systématique, improductive, au lieu d’additionner les forces en présence. Ils ont masqué leur néant programmatique derrière l’unité de façade du parti. Et ce fragile édifice a éclaté au premier tour de la présidentielle : comment peut-on clamer urbi et orbi que M. Macron est nul et, en même temps, présenter le programme économique de Mme Pécresse qui est un copié-collé de celui du président ? Faut-il préférer l’original ou voter pour la copie ?

L.M : Pourquoi n’avez-vous pas cherché à réformer votre parti de l’intérieur plutôt que de renverser la table ?

R.M : J’ai essayé maintes fois d’inverser leur stratégie suicidaire et je n’y suis pas parvenu. Lorsque j’ai pris en mains la fédération des LR dans les Bouches-du-Rhône, elle est passée en deux ans de 2 000 à 7 000 adhérents, lorsque nous étions aux manettes avec Jean-Claude Gaudin nous avions 14 députés sur 16 dans les Bouches-du-Rhône. En l’espace de deux mandats, les Républicains, par leur entêtement idéologique, ont tout perdu dans notre région…

L.M : Avez-vous personnellement été traité de « traître » par vos anciens amis ?

R.M : Oui. Ces insultes sont injustes et excessives. Elles m’ont fait très mal. Surtout venant de la part de personnalités que j’ai contribué à faire élire et qui me doivent à peu près tout.

L.M : Est-il exact, à ce propos, que vos relations avec le patron actuel des LR M. Stéphane Le Rudulier sont plutôt mitigées ?

R.M : Joker…

L.M : Comment le peuple français, très attaché à la démocratie, peut-il supporter que le président de la République soit réélu dans un fauteuil alors que trois quarts des votants du premier tour l’ont clairement rejeté ?

R.M : Vous avez à présent en France trois grands courants de pensée de force identique : l’extrême-droite avec Zemmour et Le Pen, la Gauche traditionnelle et les Verts, et enfin la Macronie qui regroupe le centre droit et le centre gauche. Moi, je souhaite que M. Macron soit réélu parce qu’il est le seul à évoquer la place de la France dans le monde et l’Europe comme notre berceau naturel de Défense et de paix. Les autres candidats, eux, en ont très peu parlé.

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Il faut aussi en France un respect de l’autorité : respect de la police, de la justice, des profs, des médecins. Nous sommes plongés dans une société qui zappe en permanence et où tout le monde sait tout sur tout et méprise tout le monde. Cela ne peut pas durer. Il s’agit de réconcilier les Français avec eux-mêmes et avec leurs institutions. C’est un sacré chantier.

« M. Mélenchon dispose d’un trou de souris pour passer »

La saison 2 de Macron ne sera pas la même car il a évolué et beaucoup progressé. Moi, je regarde l’intérêt de la Région Sud. Lorsque Mme Borne débloque le dossier de la ligne nouvelle vers Nice, je dis merci, lorsque M. Castex m’alloue cinq milliards d’euros pour le contrat de Plan Etat-Région, je dis merci, lorsque le Premier ministre me permet de sauver les stations de ski des Hautes-Alpes et des Alpes-Maritimes avec une subvention de 700 millions, je dis merci. En travaillant mes dossiers, je restructure la Région et j’améliore la vie de mes concitoyens.

L.M : Dans ces conditions, pourquoi n’avez-vous pas adhéré à « Horizons » le nouveau parti fondé par Edouard Philippe ?

R.M : Parce que je ne veux plus me retrouver dans une écurie présidentielle. J’ai déjà donné. Je veux conserver mon entière liberté.

L.M : Croyez-vous que les législatives à venir débouchent sur une cohabitation ?

R.M : Tout dépendra de l’union des partis à l’intérieur des deux blocs d’opposition. Si vous tablez sur une participation de 70 pour cent des électeurs, une surprise est possible en cas d’union, sinon c’est la dispersion des voix assurée. En outre, la barre des 12,5 pour cent des inscrits pour figurer au second tour risque d’être rédhibitoire. Et je vous fais observer que M. Macron, aimé ou pas, est un des présidents les mieux placés au premier tour de la Cinquième République…

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L.M : Le risque Mélenchon est-il écarté, à votre avis ?

R.M : Pas du tout. M. Mélenchon a fait une belle campagne et il dispose d’un trou de souris pour passer. C’est un homme intelligent, cultivé et j’ai toujours plaisir à échanger avec lui. Il m’a beaucoup appris sur la gauche zadiste et je respecte l’homme même si je ne suis d’accord sur rien avec lui. Dans la mesure où l’on peut parler et surtout s’écouter et dialoguer, on apprend et on grandit ensemble. C’est le petit message que je voudrais faire passer à mes anciens amis Républicains…

Propos recueillis par José D’ARRIGO, rédacteur en chef du Méridional