Qui n’a pas lui-même vécu la brûlure ou n’a pas un proche l’ayant subie ne la verra sans doute que comme une association parmi d’autres : sous ce nom pudique d’association des Brûlés de France pourtant, existe une organisation essentielle, tuteur pour bien des gens. Soutien à toutes les échelles, explications, prévention… son rôle dépasse ce qu’on pourrait imaginer. Benoît Renaut, 74 ans, est « devenu » grand brûlé il y a presque 30 ans. Pour que lui-même et d’autres aillent au-delà de leurs blessures physiques et intérieures, mais aussi pour alerter sur les dangers du feu, il s’est engagé comme administrateur au sein de l’Association des Brûlés de France.
ABF : un soutien physique, technique, intérieur
Reconnue d’utilité publique, l’association des Brûlés de France a été créée en 1983. Ses principaux piliers d’action sont l’écoute, le soutien et l’information aux brûlés et à leur famille. Depuis sa création, elle rassemble plus de 7 000 adhérents et donateurs, et plus de 40 bénévoles qui œuvrent dans les antennes et les délégations. De quoi a besoin un grand brûlé ? Au-delà des services plus techniques, l’association assure un soutien psychologique, juridique, un service de maquillage correcteur, de massage. Elle intervient auprès des victimes pour des échanges indispensables ; elle entretient également des relations suivies avec le corps médical et les pouvoirs publics. L’association participe aussi à l’organisation de manifestations sportives et culturelles, pour l’intégration des victimes de brûlure à la vie partagée.
Le travail avec les pompiers
Benoît Renaut a longtemps vécu dans le Sud, mais après son accident, le climat ne correspondant plus à son état de santé, il est allé vivre en Bretagne. Ce n’est pas pour autant qu’il oublie l’ambiance méditerranéenne, et il lui arrive de faire un saut dans la région. Témoin, sa présence au Congrès national des sapeurs-pompiers de France en octobre dernier. Sa présence là, en tant qu’administrateur de l’ABF, a tout son sens. L’association travaille en effet beaucoup avec les pompiers pour tout ce qui est prévention. La prévention, explique Benoît Renaut, passe par ce qui peut sembler des « anecdotes » à beaucoup de Français, mais qui constituent en réalité des facteurs pouvant sauver des vies. L’ABF a ainsi permis l’adoption de la loi sur les détecteurs de fumée (à entretenir soigneusement pour une véritable fonctionnalité) ; elle alerte aussi par exemple sur les problèmes d’accès des pompiers, liés aux digicodes non normalisés : de précieuses minutes sont alors perdues pour la victime.
Faire comprendre l’univers de la brûlure
Il ne suffit pas d’être brûlologue pour savoir ce que vit ou a vécu un grand brûlé. Loin de vouloir remplacer les médecins, les bénévoles de l’ABF ont pourtant un rôle particulier à jouer. « Evidemment, je partage quelque chose de commun avec les victimes de brûlure. On sait ce que c’est, l’indicible. » Après son accident, Benoît Renaut a mis du temps pour mettre des mots sur sa douleur physique et psychologique, et pour s’accepter tel qu’il était devenu. L’explosion de sa maison a aussi fait exploser son cadre de vie, son quotidien, sa perception du monde. Il évoque à petits traits sa lutte et son « après » : « Pendant plus d’un mois, le matin j’étais vivant, le soir j’étais mort. » Entre victoires et rechutes, accepter son nouveau corps lui a pris plusieurs années.
« Le rôle auprès des familles est essentiel, parce qu’après l’accident d’un proche, un vent de panique souffle. Il faut être là dès les premiers moments pour la victime et les proches. Puis, l’important est d’aider la personne à sa sortie de l’hôpital, qu’elle redevienne autonome au maximum, lui faire passer des étapes, notamment en lui trouvant un appartement thérapeutique. » L’administrateur d’ABF le souligne : l’objectif est de faire voir plus loin que le quotidien à la victime et à la famille.
Auprès des jeunes en maisons d’arrêt
La prévention, c’est aussi faire comprendre, s’il en était possible, la souffrance de la brûlure à des jeunes que l’inconscience – et l’âge – aveuglent. Benoît Renaut sait être sévère, voire brutal, quand il parle avec des jeunes délinquants qui mettent par exemple le feu à leur cellule. « Ces jeunes, ce ne sont ni des gangsters, ni des enfants de chœur, ils ont une énergie qu’ils utilisent à mauvais escient. Je ne suis pas là pour leur dire « Ce n’est pas bien » ; mais je leur dis « Vous m’énervez, vous ne savez pas ce que c’est, c’est pire que la prison. Je vais vous dire ce que c’est. » Je leur montre mes brûlures. C’est le seul rapport que je puisse avoir avec eux, puisqu’il ne s’agit pas de leur faire la morale. » Par les mots qui sortent de son âme, Benoît Renaut leur raconte l’isolement, l’angoisse, la faiblesse, la lutte, la douleur. Au point de surprendre les jeunes – quelques-uns suffisent pour convaincre les autres.
Chaque année en France, près de 9 000 patients, dont environ 30% d’enfants, sont hospitalisés pour des brûlures. Ces accidents, dont certains auraient pu être évités, bouleversent des vies et des familles. Pour que le quotidien puisse reprendre malgré tout, des associations comme celle des Brûlés de France s’engagent dans le temps. Aujourd’hui, Benoît Renaut, (« l’homme à qui une souris aurait mangé l’oreille », selon le joli mot d’une enfant qu’il avait rencontrée) avoue ne plus avoir peur de rien. Il consacre sa vie à transmettre son témoignage, aider les victimes autant qu’il le peut. Puisse un service comme celui-ci susciter des vocations, notamment auprès de l’Association des Brûlés de France !
Jeanne RIVIERE