L’interview de la semaine – Jean-Paul Brighelli : « A l’école, il faut imposer des méthodes qui marchent ! »

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Jean-Paul Brighelli, enseignant et essayiste (il est notamment l’auteur de « La Fabrique du crétin », 2005), en connaît un rayon sur le chapitre de l’école. Il répond aux questions du Méridional dans une interview détaillée.

Le Méridional : Jean-Paul Brighelli, votre diagnostic sur la « fabrique des crétins » et sur les carences de l’instruction publique est partagé aujourd’hui par de nombreux enseignants. Que proposez-vous pour permettre aux élèves des classes primaires d’acquérir les savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter) avant leur entrée en sixième ?

Jean-Paul Brighelli : A l’école, il faut imposer des méthodes qui marchent ! En clair, des méthodes alpha-syllabiques : Blanquer a expérimenté en grand pour Paris la méthode Lego qui donne d’excellents résultats, mais le principal syndicat du Primaire, le SNUIPP, l’a accusé de « caporalisme » et d’interférence avec la liberté pédagogique — beau masque pour la routine et la paresse de certains. Il faut que les quatre opérations de base soient un objectif clair pour le CP — alors que la division, par exemple, commence à peine à être enseignée aujourd’hui en CM1 ! Et encore avec une méthode très discutable, qui nous enfonce dans le classement (TIMMS) mondial des capacités mathématiques. Nous sommes à des années-lumière des « tigres » du sud-est asiatique — et juste devant le Chili, dernier de la classe. Pas de quoi pavoiser.

L.M : Doit-on à votre avis rétablir le certificat d’études qui a si bien fonctionné jadis ?

J-P B : Non : il n’aurait aucune valeur marchande. Le Bac lui-même n’en a plus — et c’est l’une des raisons qui m’amène à prôner son remplacement par un Certificat de fin d’Etudes octroyé à tous — puis on laisserait le Supérieur trier les étudiants, comme en Espagne par exemple. Ou comme le font déjà 40% des sections du Supérieur (Classes préparatoires, BTS, IUT, etc.)

il faut que les quatre opérations de base soient un objectif clair pour le cp

L.M : A quoi sert le « brevet des collèges », où l’on se contente surtout d’apprécier les « engagements civiques » des élèves ?

J-P B : À rien. Ce n’est même plus un rite de passage, puisque la plupart des élèves l’ont avant même de le passer. 

L.M : Seriez-vous favorable à un contrôle continu des connaissances pour remplacer le baccalauréat, totalement démonétisé de nos jours ?

J-P B : Je suis pour la vérité des notes sur le Bulletin scolaire — on en est très loin aujourd’hui, tous les élèves sont surnotés. Quant au Bac, avec 98,5% de réussite, il peut se targuer d’un taux de réussite qui ne s’observe qu’en Corée du Nord.

L.M : Pourquoi le bac est-il quasiment « donné » aux élèves, quel que soit leur niveau, au risque d’embouteiller les universités et de les transformer en déversoirs sociaux ?

J-P B : Pour faire plaisir aux familles — et pour s’offrir le luxe, très français, de claquer 900 millions d’euros pour rien chaque année. Les Universités devraient afficher la couleur, et annoncer au départ le nombre de places par spécialité — comme en médecine. 

L.M : Faut-il à votre avis supprimer l’écriture inclusive et la culture du genre indifférencié à l’école ?

J-P B : La question porte sa réponse. L’écriture inclusive est une offense à la langue — y compris la féminisation à outrance de certains mots ; « Je suis professeure » — on a envie d’ajouter « peuchère ! », tant cela sonne comme une finale marseillaise. Certaines universitaires tiennent à se faire appeler « maîtresse de conférence » — mais ne vous avisez pas d’appeler « maîtresse » votre avocate — sauf dans l’intimité. C’est incohérent. Quant à la culture woke, c’est le fer de lance de l’islamo-gauchisme qui déferle sur certaines sections du Supérieur — voir l’IEP de Grenoble. C’est la liberté d’expression à l’envers — l’obligation de se taire.

L.M : Comment rétablir l’autorité des professeurs dans des établissements où ce sont les élèves qui font la loi ?

J-P B : Souvent, tout tient à la personnalité et à l’autorité du chef d’établissement. Il faut dégager ceux qui tolèrent le moindre écart — sortir son portable pendant les cours, par exemple. Par ailleurs, il faut confiner les parents à la porte des établissements — ils n’ont pas à s’introduire pour agresser les enseignants ou l’administration. Enfin, il faut délocaliser les collèges sensibles — quitte à faire du « busing », comme aux Etats-Unis, pour y amener en bus les élèves. On a trop tendance à construire des ghettos scolaires dans les ghettos sociaux.

il faut confiner les parents à la porte des établissements

L.M : Peut-on envisager la suppression du collège unique ?

J-P B : Dans les faits, c’est déjà le cas dans nombre d’établissements, qui composent de « bonnes classes (via le jeu des options linguistiques, entre autres). Le procédé peut être aisément généralisé — à condition de construire des ponts qui permettent aux élèves méritants de passer d’un type de classe à un autre.

L.M : Comment parvenir à responsabiliser les familles d’élèves perturbateurs ou asociaux ou absentéistes ou fanatiques ?

J-P B : Frapper à la caisse — par exemple en supprimant la « prime de rentrée » correspondant à tout élève perturbateur. Suspendre les allocations familiales serait injuste et disproportionné — et n’aurait aucune chance de passer au niveau du Conseil constitutionnel, car cela aboutirait à créer deux catégories de Français. ¨Par ailleurs, les cas difficiles ne doivent plus être réintégrables à volonté, mais éloignés dans des « internats d’excellence » où on les dépayserait en les contraignant à se discipliner. Les conseils de discipline doivent porter majoritairement la parole des enseignants et de l’administration, alors qu’aujourd’hui les parents y ont un poids excessif.

Propos recueillis par José D’ARRIGO, rédacteur en chef du Méridional