« A vrai dire », la chronique éco de Pierre Dussol – Les effets pervers des décisions économiques aberrantes

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Expression très, trop, fréquemment employée à propos des décisions économiques, surtout publiques.

Elle désigne le fait que les résultats de certaines décisions sont à l’inverse du but recherché. Quand il ne s’agit que de décisions privées, le responsable paie les conséquences. Quand le décideur est une collectivité publique, c’est tout le monde qui est pénalisé : d’où l’importance d’accroître la surveillance.

Veux-t-on des exemples ?

Pour traiter la pénurie de logements, les pouvoirs publics « encadrent » parfois les loyers, autrement dit les bloquent. Que se passe-t-il ? Les locataires sont contents et auront tendance à voter pour ce « bon gouvernement, qui fait du social ».

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Très rapidement, étant donné que le nombre de logements n’augmente pas par miracle, ceux qui veulent se loger doivent faire face aux vraies difficultés. Il faut déjà attendre, plus longtemps. Ensuite, si le prix officiel est bloqué, le loueur vous demande une « reprise » des quelques meubles, ou petits objets laissés dans le logement. Ou encore, vous louez un appartement au prix bloqué, mais on vous impose une chambre de service ou un garage, dont le loyer est faramineux car, lui, n’est pas dans le décret de blocage.

en économie, il existe des chaînes de conséquences inévitables

Deuxième exemple : face au chômage, on embauche des fonctionnaires. Dans l’immédiat, arithmétiquement, le chômage peut ainsi diminuer. Après, il faut se demander si ces nouveaux embauchés rendent un réel service car ils coûtent, et ce qu’ils coûtent est prélevé sur le secteur productif. Derrière toute embauche de fonctionnaire, à qui il faut payer salaire et charges sociales, un bureau meublé, éclairé et chauffé, voire un secrétariat, des agents gérant la paye… Il y a un ou plusieurs chômeurs du secteur marchand. Le président Clinton, alors candidat, avait ainsi lancé pendant un discours de campagne que 100$ de salaire donné à un fonctionnaire correspondaient à un coût pour l’économie de 240$.

Réaction de l’économiste : « Pourquoi pas si la valeur des services rendus par ce fonctionnaire dépasse les 240$ ? » Mais est-ce prouvé à chaque fois ? Hamilton, premier secrétaire d’Etat au Trésor des jeunes Etats-Unis d’Amérique, rappelait que l’argent que l’Etat dépense a toujours été prélevé auparavant. Il comparait l’Etat à un voleur qui pille la caisse d’un commerçant et ensuite avec cet argent fait ses achats chez lui. C’était évidemment exagéré, cela n’existe plus…

pour « démocratiser » l’enseignement, on le rend gratuit

Un autre exemple ? Pour « démocratiser » l’enseignement, on le rend gratuit. Entendons bien que cela veut dire « payé par tout le monde » et non par le bénéficiaire. Résultat, les diplômes se dévalorisent, certains parlant « d’assignats universitaires » pour les facultés, parce que les diplômés ne savent rien faire et donc deviennent chômeurs.

Campagne Souveraineté locale

Encore un exemple ? Quand le budget de l’Etat est en déficit – cela arrive -, il est tentant d’augmenter les impôts. Arithmétiquement et immédiatement, cela fait entrer davantage d’argent. Certes. Mais après ? Le contribuable est-il motivé à « travailler plus pour gagner plus », si l’impôt progressif lui reprend une grande part de son gain ?

un oubli des deux bases du fonctionnement de l’économie

Que retrouve-t-on derrière ces quelques erreurs dont nous aurions pu allonger la liste ? Un oubli de deux bases du fonctionnement de l’économie.

Le premier oubli est de ne voir que les premiers effets, les plus visibles. Ceux-ci peuvent paraître favorables, comme présenté ci-dessus. L’une des bases de la simple logique est d’essayer d’aller un peu plus loin, comme la médecine qui envisage et essaie de prévenir les effets secondaires d’un médicament par ailleurs utile. En économie existent des chaînes de conséquences inévitables, même si elles ne plaisent pas.

Le blocage des loyers pénalise les propriétaires, y compris d’ailleurs les bailleurs sociaux. Cela décourage la construction et au stade suivant, on manquera de logements. Les loyers seront bas, mais il n’y aura pas assez de logements à louer. Ne soyons pas trop méchants, mais c’est exactement ce qui a provoqué la persistance de la crise du logement dans l’après Seconde Guerre mondiale en France. En 1960, l’Allemagne ne connaissait, elle, plus de crise du logement…

les pouvoirs publics pensent à court terme

Pour l’embauche de fonctionnaires non utiles – qu’il soit bien clair que certains sont utiles, nous n’en discutons pas –, cela alourdit l’économie et la rend moins efficace. La croissance s’en ressent et à terme le chômage augmente…

Dans tous ces cas, le but n’était pas d’accroître la pénurie de logements, d’abaisser le niveau de l’enseignement, d’augmenter le chômage, ni de démotiver les entrepreneurs : et pourtant c’est le résultat obtenu.

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Pourquoi les pouvoirs publics, par hypothèse compétents et motivés par le bien public, commettent-ils ces erreurs systématiques ? Disons que leur horizon est la prochaine élection, donc plutôt le court terme. D’où l’absence de considération pour les effets plus lointains. Il nous faudra y revenir.

Le deuxième oubli est la psychologie des humains, autrement dit les comportements liés à leur humanité. Devant un événement quel qu’il soit, l’être humain s’adapte ou essaye de le faire en allant dans le sens de ses intérêts et en utilisant ses compétences et ses moyens.

la psychologie humaine doit aussi être prise en compte

Les acteurs économiques réagissent tout simplement. S’il est moins rentable de construire pour louer, il y aura moins de construction. Si les personnes sortant du système d’enseignement n’ont aucune compétence utilisable, ils auront du mal à trouver une embauche. Ce sont les mêmes qui se refuseraient à acheter un mauvais produit. C’est logique.

Quand les prélèvements fiscaux et sociaux augmentent, cela démotive une partie des acteurs économiques. La violence fiscale ne va pas encore jusqu’à obliger les personnes à gagner de l’argent si elles n’en ont plus envie. Comme ce sont les plus talentueux qui se trouvent le plus découragés, l’impact global est mauvais !

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En revanche, comme il devient de plus en plus rentable de faire la chasse aux aides sociales, de plus en plus de personnes s’y livrent.  Elles ont un comportement logique. C’est le système qui les pousse qui est pervers.

Le drame est que tout ceci est parfaitement prévisible !

Pierre DUSSOL

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Pierre Dussol est professeur d’économie honoraire à Aix-Marseille-Université. Il a compris depuis belle lurette les méfaits de la torsion des mots sur la désorientation et le vide des esprits. En véritable « redresseur de tors », il a décidé de reprendre les définitions de base qui permettent de mieux décrypter les habillages et autres artifices du politiquement correct. Il livre son point de vue savoureux dans les colonnes du Méridional.