L’interview de la semaine – Laurent Badih : « La porosité entre recherche et industrie est la clé de la réussite »

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Le domaine de la santé représente à lui seul plus de 2,6 millions d’emplois en France. Secteur essentiel de l’économie française, il doit être soutenu et encouragé. Au cœur de l’Hôpital Nord de Marseille, le laboratoire Glad Medical représente les enjeux du futur de la filière santé : une collaboration entre les chercheurs, les ingénieurs et les experts de domaines différents. Pour Laurent Badih, créateur de Glad Medical, « la porosité entre recherche et industrie est la clef de la réussite ». Le Méridional l’a interrogé sur sa perception du paysage de la santé, en France et sur notre territoire.

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Diplômé de l’école d’ingénieur Polytech Marseille en 1999, Laurent Badih n’a jamais quitté l’univers des dispositifs médicaux implantables depuis cette date. Jeune président du fabricant français d’implant cochléaire, il a ensuite dirigé le business développement du premier implant auditif totalement invisible au Colorado, USA. Profitant de cette période pour obtenir un Executive MBA de l’université de Denver. Il a ensuite dévié du monde ORL vers l’univers maxillo-facial en dirigeant un fabricant d’implant dentaire Suisse et en Créant Glad médical en 2013.

Le Méridional : Laurent Badih, pouvez-vous rappeler les origines de la création de Glad Medical ?

Laurent Badih : En 2013, avec et grâce à mon associée historique, Sophie Kobouloff, nous avons fait le constat que la simulation numérique deviendrait incontournable dans les validations et optimisations des dispositifs médicaux implantables. Il nous semblait que nous devions trouver une solution pour valider un implant sur mesure avec les mêmes standards et exigences que la validation d’un implant produit en série. Un implant patient spécifique est évidemment unique et ne peut être testé physiquement à large échelle.

valider un implant sur mesure avec les mêmes standards qu’un implant en série

Je connaissais le Laboratoire de biomécanique appliquée [LBA, ndlr] de l’Hôpital Nord à Marseille depuis longtemps. C’est grâce à la réactivité et le dynamisme de Pierre Jean Arnoux (directeur du LBA) et Michel Behr (directeur adjoint) que Glad a pu prospérer. Ce sont des universitaires très orientés business et qui maîtrisent parfaitement la relation public/privé. Je sais ce que Glad leur doit.

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Depuis 2018, nous avons pu convaincre des acteurs majeurs français d’utiliser nos services. Ils leur permettent de gagner du temps et de l’argent, mais également de réduire leur impact carbone de manière significative.

L.M : Pouvez-vous parler de quelques projets phares développés par le laboratoire ?

L.B : Le LBA est très impliqué dans la modélisation du corps humain avec la mise en œuvre de l’homme virtuel. Dans ce contexte, les applications orientées vers l’implantologie dentaire et la chirurgie maxillofaciale ont permis de créer une chaire de recherche conjointe, PACA Dental. On y retrouve de nombreux projets de recherche sur la planification chirurgicale, sur le développement, l’évaluation et l’optimisation d’implants. Nous avons accès à une plateforme unique qui va de l’expérimentation sur le modèle animal grâce au CERC (Centre d’enseignement et de recherche chirurgicale) dirigé par le Professeur Stephan Berdah, à une plateforme expérimentale/numérique très opérationnelle. Nous sommes très en avance dans la simulation de comportement d’un implant virtuel dans le jumeau numérique du patient.

le laboratoire est très impliqué dans la modélisation du corps humain

L.M : Bénéficiez-vous de collaborations avec des chercheurs de différents domaines ?

L.B : Bien sûr ! Nous avons de nombreuses collaborations avec des chercheurs de différents domaines, y compris à l’international. Nous sommes accompagnés dans le domaine des sciences pour l’ingénieur, tout particulièrement la biomécanique et l’intelligence artificielle, mais aussi des chercheurs ayant un fort ancrage clinique comme Jean-Marc Foletti (Maxillo) ou Arnaud Deveze (ORL) ou encore Camille Alliez et Michel Legall (Orthodontie) : des personnes aussi brillantes que compétentes.

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L.M : Quel est selon vous le paysage de la recherche santé, en Région Sud particulièrement ?

L.B : Dans notre belle région, il est riche, multiple. En France, nous avons souvent de très bonnes idées, surtout en PACA où nous avons beaucoup d’acteurs majeurs industriels, des pôles de compétitivité, des accompagnants très à l’écoute comme Eurobiomed ou Invest’in Provence et Impulse.

« en France, nous avons de très bonnes idées »

En Région Sud, l’expérience que nous avons avec Le Laboratoire de Biomécanique, l’école de Médecine dentaire de la faculté des sciences médicales et paramédicales et Protisvalor qui assure le lien recherche/industrie, rend les avancées plus faciles. Nos interlocuteurs sont attentifs aux contraintes industrielles, à nos attentes, et systématiquement les choses se mettent en place, tant sur les aspects scientifiques que cliniques.

Salon-de-Provence, où notre siège est établi, est une exemple de dynamisme industriel incroyable impulsé par son jeune maire, Nicolas Isnard, qui a déjà compris les enjeux de la French Tech 4.0.

L.M : Comment faire pour que les technologies santé développées par des chercheurs français demeurent en France ?

L.B : C’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. La France a été à l’origine des avancées et créations majeures dans les dispositifs médicaux implantables actifs et passifs. Depuis l’annonce de vente du dernier fabricant français, notre pays n’a plus la maîtrise de dispositifs implantables actifs…

« malgré la concurrence, les acteurs français doivent se regarder en partenaires »

Nous devons reconsidérer l’industrie du dispositif médical comme une industrie stratégique et contrôler les acteurs qui ne profitent que du crédit impôt recherche français et se retirent à la moindre contrariété. Malgré la concurrence, les acteurs français doivent se regarder en partenaires et non plus en ennemis. La France doit rester forte et agile.

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Pour revenir à la recherche, la logique de fertilisation croisée entre recherche, industrie et clinique doit être mise en avant. Ainsi, l’opportunité d’héberger des chercheurs dans le Laboratoire est une vraie dynamique à la fois pour Glad et pour le Laboratoire. Encourager la porosité entre recherche et industrie est la clef de la réussite. Sur le site d’Aix-Marseille, tout a été facilité pour cela, permettant à des entités comme Glad d’être en lien étroit avec les chercheurs et les cliniciens pour proposer des solutions au chevet du patient.

« il faut faire un crédit d’impôts à tous les inventeurs ! »

Il faut également renforcer les dispositifs d’accompagnement et d’aide au transfert de technologie vers l’industrie, tout en préservant les intérêts des acteurs publics indispensables : soit par la création de start-up, soit via des dispositifs d’intéressements globaux chercheurs/salariés. Monsieur le président Macron, il faut faire un crédit d’impôts à tous les inventeurs ! Un brevet coûte cher à déposer et à entretenir. Cette mesure libèrerait la créativité des Français qui hésitent.

Propos recueillis par Jeanne RIVIERE