Arménie – Rapprochement avec la Turquie : entre dirigeants et peuple arméniens, deux visions opposées

Le Premier ministre de l'Arménie Nikol Pashinyan © WKMC

Comme chaque année aux alentours du 24 avril ont lieu, en Arménie et dans les régions où les communautés arméniennes sont présentes, les cérémonies de commémoration du génocide des Arméniens perpétré par les Turcs ottomans en 1915. Alors que les pourparlers de paix ont été engagés entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, le climat en Arménie reste extrêmement réticent face à un rapprochement hâtif, aux conditions dictées par la Turquie.

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Comme chaque année depuis des dizaines d’années en Arménie et en diaspora, les Arméniens se mobilisent particulièrement au mois d’avril pour commémorer le génocide. Des centaines de milliers de personnes se réunissent, à Erevan (vers le monument appelé Tsitsernakaberd) et dans toutes les régions d’Arménie.

Avec la Turquie, des relations diplomatiques toujours compliquées

Nombreux sont les pays à avoir reconnu le génocide arménien. De son côté, la Turquie nie toujours l’existence de cet événement tragique. En 2009, les deux pays avaient tenté un rapprochement et des pourparlers avaient été engagés à l’occasion d’un match aller-retour (la fameuse « diplomatie du football »).

la turquie réclame toujours plus

Hratchya Aslanyan, chef du département des communautés arméniennes d’Europe au ministère de la Diaspora de 2009 à 2015, analyse la situation d’alors : « Il était question, à l’époque, d’entamer des relations « normales » sans conditions préalables, au niveau économique notamment. Et de régler les différends sur le génocide lors de séquences diplomatiques dédiées à ce sujet. La Turquie signe, puis sort ensuite des conditions ; l’une d’entre elles était la restitution du territoire de la République du Haut-Karabagh à son allié l’Azerbaïdjan. Elle conditionnait la reprise des relations à cela. »

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La Turquie réclame toujours plus. « Aujourd’hui, après la guerre de 2020, une partie des territoires du Haut-Karabagh ont été envahis, poursuit Hratchya Aslanyan. Ce qu’exigeait la Turquie s’est réalisé par les armes. Mais cela ne lui suffit pas. La Turquie voudrait que l’Arménie cesse les démarches pour la reconnaissance du génocide. Qu’elle oublie ce mot. Qu’elle oublie ces commémorations. »

La question du gouvernement arménien actuel

En Arménie, il y a clairement une division entre les dirigeants et le peuple sur cette question du rapprochement avec la Turquie et avec l’Azerbaïdjan. « Le gouvernement fait tout pour créer des liens avec la Turquie, alors que le peuple n’est pas prêt à ces conditions-là, explique notre interlocuteur. Une grande partie de la population considère même que nos dirigeants vont contre les intérêts de l’Arménie… Nous voulons bien entamer des relations, mais pas à l’aveugle et aux conditions de la Turquie. » Les visions s’opposent.

« une grande partie de la population considère que nos dirigeants vont contre les intérêts de l’arménie… »

Discussions en cours avec l’Azerbaïdjan : là aussi, la méfiance règne

Pour Hratchya Aslanyan, l’Azerbaïdjan n’est pas prêt à aller vers la paix, au contraire. « Il n’y a qu’à regarder les discours du président azéri : même les plus naïfs comprendront que l’objectif assumé de l’Azerbaïdjan est d’en finir avec le Haut-Karabagh, puis avec l’Arménie. » Il y a quelques mois encore, l’Azerbaïdjan est entré sur le territoire arménien, sur plusieurs kilomètres. « Les ministres, les professeurs, les intellectuels azéris… ne cachent même pas qu’ils faut tuer même les nouveau-nés arméniens ! , s’exclame notre interlocuteur. Nous pensons donc qu’à l’heure actuelle, ces discussions mènent à une impasse. »

Jeanne RIVIERE