Toutes les grandes escroqueries politiques sont nées sur la promesse d’un monde meilleur. La pseudo-révolution de mai 1968 en France a engendré une génération entière de dirigeants et de PDG qui épouvanterait les étudiants chahuteurs qu’ils ont été durant leur adolescence.
L’avènement de Mitterrand en 1981 a été perçue comme une libération festive par toute une jeunesse socialiste et communiste qui a été cruellement déçue par la suite. De même, l’élection de Jacques Chirac à la présidence en 1995 devait permettre l’éclosion des valeurs de la droite nationale : indépendance, liberté, ordre, responsabilité, souverainisme. Il n’en a rien été.
Avec Sarkozy, ils croyaient au karcher et ils ont eu Kouchner. Hollande et Macron n’ont été que les clones invertébrés de leur propre substance. La politique n’est souvent qu’une malédiction saluée par la liesse populaire. Les idées mirifiques s’y enlisent inexorablement dans la mélasse du quotidien…
Voilà pourquoi la victoire surprise de Michèle Rubirola me paraît du même ordre que les espoirs fous suscités en 1968 par le printemps de Prague et son fameux « socialisme à visage humain ». Le réformateur Alexander Dubcek avait cru pouvoir s’émanciper de la tutelle du parti communiste soviétique en introduisant en Tchécoslovaquie la liberté de la presse, la liberté de circulation et la démocratisation de la vie publique. Le printemps de Prague s’est soldé le 21 août 1968 par l’invasion des chars de combat et les soldats du pacte de Varsovie qui ont imposé leur « normalisation » en abandonnant toutes les réformes libérales de Dubcek. Rideau.
Les rêves idéologiques s’achèvent souvent par un réveil brutal aux réalités. Le Printemps marseillais n’échappera pas, hélas, à cette issue tragique. Tout se passe comme si le patchwork bricolé par le tandem vert et rose, Rubirola-Payan, était irisé de reflets brillants qui attirent les électeurs déboussolés. On appelle ça un « miroir aux alouettes ». C’est un leurre trompeur doté d’un emballage clinquant qui permet de piéger, en fin de cycle, ceux qui croient encore en un Marseille débarrassé pour toujours du clientélisme, du clanisme, du communautarisme, du népotisme et des guichets obligatoires sur le fronton desquels on peut lire la formule magique : « un tien pour deux tu me rendras… »
Les mêmes qui exultent aujourd’hui sur les décombres du gaudinisme auront demain la gueule de bois. Qui trop embrasse mal étreint. Les nouveaux venus veulent que « tout le peuple de Marseille s’implique dans la gouvernance de la ville » (Fortin), ils rêvent de « réconciliation entre Marseille-Nord et Marseille-Sud » (Ghali) alors que ces deux Marseille ne sont plus dos à dos mais face à face, et la nouvelle mairesse promet à ses ouailles que « le clanisme, le clientélisme et le népotisme, c’est fini ». Formidable. Génial.
La vérité, c’est que les marionnettistes du système politique vont simplement changer de titulaires. Voilà tout. Les alouettes folles de La Plaine vont s’écraser inéluctablement contre les bouts de miroir agités frénétiquement au-dessus de la Bonne Mère par les écolos, les socialos, les cocos et les gauchos. Le stratagème brillant ne fonctionnera qu’un temps, puis il s’écroulera, comme d’habitude, victime des vices de la nature humaine et des rouages d’un système implacable qui broie les plus belles intentions et saccage les âmes.
Que va-t-il se passer maintenant ? Les Marseillais qui croyaient naïvement à la légende de la pastèque (verte à l’extérieur, rouge à l’intérieur) vont probablement vivre un été caniculaire avec une crise sociale, économique et financière sans précédent. Ils vont ramer jusqu’à l’automne dans l’attente d’une embellie et verront alors avec tristesse et consternation que les arbres de Rubirola ne tiennent pas la promesse des fleurs. Les feuilles tomberont en abondance et la végétation naguère luxuriante s’étiolera. Puis viendra l’hiver, semblable à celui de novembre 1956 à Budapest au cours duquel les révoltes populaires furent écrasées sans pitié et dans le sang.
Les nouveaux « gilets jaunes » seront tabassés et emprisonnés, leurs utopies abolies. Ils comprendront alors que l’élection au rabais de Rubirola (66512 suffrages seulement pour le printemps marseillais sur un demi-million d’inscrits) n’était qu’une victoire à la Pyrrhus, obtenue au prix de promesses si lourdes et si incohérentes qu’elles compromettent d’emblée leurs chances de succès final.
Et le Printemps marseillais aura vécu ce que vivent les roses, l’espace d’un matin…
José D’Arrigo
Rédacteur en Chef du Méridional