Echec et mat. Les idéalistes du Printemps marseillais qui croyaient en un possible renouveau des pratiques politiques marseillaises avec le concours de la société civile en seront pour leurs frais. Ils sont cocus.
Ces utopistes n’ont toujours pas compris que leur championne, démocratiquement élue, Michèle Rubirola, ait pu mijoter en catimini avec Benoît Payan une stratégie connue des joueurs d’échecs, celle dite du « roque ». Il s’agit d’un mouvement de passe-passe qui consiste à inverser la tour et le roi pour éviter au souverain d’être mis en échec.
Ce spectacle très « roque n’rôle » entre les partisans de l’inversion du binôme Rubirola-Payan a fait jaser les Marseillais sur les réseaux sociaux sans la moindre aménité : « escroquerie », « scandale politique », « mascarade », « abandon », « désertion », « trahison », et j’en passe. Comment ? « On a élu une femme médecin qui devait planter des géraniums partout dans Marseille et on se retrouve du jour au lendemain avec un apparatchik du parti socialiste qui a fait ses classes avec les pires politicards de la ville », s’indignent les Marseillais.
A vrai dire, deux petits indices auraient dû leur mettre la puce à l’oreille : le nom de Mme Rubirola n’a toujours pas été gravé dans la niche du plafond de l’ex-salle du conseil municipal à la mairie, et l’inscription « Monsieur Le Maire » figure toujours au-dessus de la porte de l’ancien bureau de Jean-Claude Gaudin…
Le Printemps marseillais lui-même est traversé de sentiments contradictoires : les uns, comme Olivia Fortin, sont « très fiers de la franchise et de la sincérité de l’ex-mairesse », comme si finalement le mensonge était devenu une marque habituelle de la pratique politique. D’autres, comme Sophie Camard ou Sébastien Barles, les écolos purs et durs, considèrent que cette démission n’est pas une bonne nouvelle parce que « Mme Rubirola incarnait le point d’équilibre des diverses sensibilités du Printemps marseillais ».
Ce « point d’équilibre » sera-t-il respecté par Benoît Payan ? Le nouveau maire, intronisé par l’ex-mairesse, saura-t-il inspirer la confiance unanime de tous les courants ? Rien n’est moins sûr. Camard et Barles ne seront-ils pas les dindons de la force socialiste renaissante ? Ceux qui ont cru en la pseudo-jouvencelle de la politique seront-ils satisfaits de l’installation d’un vieux jouvenceau rompu à toutes les roueries de la politique politicienne ?
A droite, on constate une sidération identique. « Je suis heureuse de ne pas être mêlée à ce capharnaüm, savoure Caroline Pozmentier, ex-adjointe à la sécurité de Gaudin. Je pense que les animateurs du printemps marseillais n’ont jamais imaginé une seconde qu’ils allaient gagner, d’où leur impréparation ». Stéphane Ravier estime « qu’on a menti aux Marseillais sur le produit » et qu’il faut retourner aux urnes, Renaud Muselier, lui, feint de s’étonner : « comment une personne peut-elle assurer qu’elle n’a plus les capacités physiques de piloter la ville et revendiquer le poste de premier adjoint ? »
Sous-entendu : le poste de premier adjoint serait-il devenu une sinécure pour seniors en pré-retraite ?
A présent, que va-t-il se passer lundi ? Un trublion peut-il venir bouleverser l’échiquier ? Réponse non. Les élus du Printemps marseillais devraient normalement élire Benoît Payan maire de Marseille. Ils disposent d’une majorité de 44 sièges et de 53 sièges si l’on ajoute les 9 sièges de Samia Ghali. La Droite, elle, ne dispose que de 39 sièges et Stéphane Ravier (RN) de neuf sièges. On pourrait, certes, imaginer un putsch de Samia Ghali pour renverser les majorités.
Mais cette trahison est improbable dans la mesure où Payan a déjà verrouillé toutes les portes de secours : il aurait promis à Samia Ghali de conduire la liste de gauche aux prochaines élections départementales de juin. Un pacte de non-agression qui devrait permettre son élection sans anicroche. Quant à la Droite, elle nage en plein psychodrame. Les élus LR ne sont pas parvenus à se mettre d’accord hier sur une attitude commune ni sur un candidat.
Tout se passe comme si les Républicains étaient toujours sonnés par leur échec : « Mme Rubirola était le plus petit dénominateur commun des diverses composantes de la gauche, explique Laure-Agnès Caradec, Payan n’aurait jamais obtenu autant de suffrages que Mme Rubirola. Je peux vous dire que d’ici lundi les petits arrangements entre amis vont se poursuivre à tous les étages de la fusée ».
Allez y comprendre quelque chose : on change la tête d’affiche et les spectateurs continuent d’applaudir. Ainsi va la politique. Lorsque Gaston Defferre, minoritaire en voix, fut élu en 1953 pour la première fois à Marseille, il le dut surtout à l’appoint décisif des voix de la Droite bourgeoise qui voyait en lui un solide rempart contre les communistes, très virulents à l’époque. Minoritaire dans l’opinion, Payan l’est lui aussi. Aura-t-il les mêmes capacités que son illustre mentor à demeurer trente-trois ans au pouvoir à Marseille ?
José D’Arrigo
Rédacteur en Chef du Méridional