Marseille est bel et bien la capitale française du football. Leonardo, dirigeant du Paris St Germain, a vu juste, même s’il a dû affronter ensuite la colère des supporters parisiens sur les réseaux sociaux. L’OM est, en effet, la seule équipe française capable de remplir son stade à chaque match et d’attirer régulièrement 60 000 spectateurs.
Les Lensois et les Stéphanois ont beau expliquer que leurs cités ne comptent que 32 000 et 175 000 habitants et que la proportion de leurs fans au regard de leur population est infiniment supérieure à celle de Marseille, ville de 868 000 habitants, cet argument est fallacieux. Car ce qu’il faut prendre en compte, n’en déplaise à France-Football, c’est la densité de l’agglomération lensoise (505 000 habitants) et de l’agglomération stéphanoise (380 000 habitants). La comparaison avec Marseille est déjà moins spectaculaire.
La vérité, c’est que Marseille respire le football, elle vit intensément le foot dans tous ses quartiers. Il faut voir les cascades de matches le week-end dans des stades bondés où les parents viennent encourager leur progéniture. Leur ferveur pour l’OM est égale à leur passion pour Marseille.
Voilà pourquoi l’actuel président de l’OM a bien fait de conclure des accords de partenariat avec de nombreux clubs de quartier afin qu’ils puissent servir de pépinières de recrutement à l’OM. Hélas, ce que Jacques-Henri Eyraud a bien réussi avec les clubs locaux, il l’a raté au sein même de l’institution avec les salariés marseillais de l’OM dont la plupart ont été priés de changer d’air précisément parce qu’ils sont marseillais.
Cette discrimination est inadmissible. Jacques-Henri Eyraud estime, dans une vidéo, qu’être marseillais est un handicap pour un manager car il aura tendance à donner libre cours à sa passion pour l’OM au détriment du cap général fixé par l’actionnaire. Or, pour diriger l’OM, il faut d’abord épouser Marseille. Souvenez-vous des présidents qui ont jalonné l’histoire du club : Louis-Bernard d’Encausse, Paul Le Cesne, Saby Zaraya, Jean-Marie-Luciani, Marcel Leclerc, René Gallian, Fernand Méric, Jean Carrieu, Bernard Tapie, Pape Diouf : ils venaient tous d’horizons différents et, cependant, ils ont compris instinctivement que Marseille n’est pas une ville comme les autres, mais une enclave de Méditerranée hasardeusement rattachée à la France.
Marseille est une nation
Basile Boli l’a saisi depuis belle lurette : Marseille n’est pas une ville, c’est un pays, mieux une nation, avec ses frontières (les collines), sa langue et le sentiment inouï d’une communauté de destin. Au fil des ans, l’OM est devenu l’équipe nationale d’un pays qui s’appelle Marseille. L’un des meilleurs dirigeants qu’il m’ait été donné de connaître était Jean-Pierre Bernès qui a payé très cher sa passion dévorante pour l’OM mais a fort bien réussi sa reconversion comme agent de joueurs et d’entraîneur. Lui aussi avait compris l’osmose essentielle entre l’OM et la ville.
Jacques-Henri Eyraud commet, me semble-t-il, la même erreur que Vincent Labrune avant lui : celle de considérer l’OM comme une entreprise, une plateforme économique, alors que c’est avant tout le symbole identitaire d’un peuple marseillais qui, comme à Naples, est peut-être plus « peuple » qu’ailleurs.
Cet attachement viscéral des Marseillais à leur club a été capté au passage par des supporters emblématiques comme Bengous ou René Malleville, les chouchous des médias pour leur franc-parler et leur chauvinisme assumé. Pourtant René Malleville est né à Carcassonne, il a passé une partie de son enfance au Maroc avant de s’installer à Marseille et de devenir, tour à tour, chauffeur de bus, dirigeant syndical, bistrotier à la Joliette, élu socialiste et…inconditionnel de « l’Ouhèmeu »…
Le stade dit « vélodrome », c’est le cœur battant de Marseille, le creuset identitaire d’une ville où se mêlent des « tifosi » de toutes les origines et de toutes les provenances. On commence dans les virages, puis on finit à Jean-Bouin. Le « Vélodrome » est un lieu mythique, propice aux rêves des enfants et des adultes. Seuls les présidents et dirigeants qui ont assimilé cette symbiose fusionnelle entre Marseille, ville nation, et l’OM, équipe nationale, ont réussi à faire gagner l’OM. Les autres, ceux qui raillent en privé l’accent marseillais et privilégient les critères économiques passent à côté de leur mission première qui consiste à sanctifier Marseille à travers l’OM.
Aujourd’hui, l’OM est beaucoup plus qu’une entreprise, c’est désormais une équipe nationale plus populaire que l’équipe de France. Non, cher lecteur, je n’exagère pas. Depuis mai 1993, date de la victoire en finale de la coupe d’Europe contre le glorieux Milan-AC de Baresi, Maldini et Van Basten, depuis cette fameuse tête victorieuse de Basile Boli à Munich, l’OM est devenu la capitale incontestée du football français et nul ne saurait prétendre diriger l’OM en se mettant ses supporters à dos.
A la décharge de Jacques-Henri Eyraud, force est de reconnaître que la cabale des revanchards a toujours existé à l’OM. De tous temps. Lorsque le président Eyraud met en cause dans « l’Equipe » les « coalitions baroques de bandes désorganisées qui fondent sur l’OM », il dit la vérité. Le plus souvent, estime-t-il, ce sont d’anciens salariés licenciés, des dirigeants à la retraite qui pensent que l’OM leur appartient toujours, des supporters ultras exclus du stade, des prestataires écartés, des politiques en mal de notoriété, d’anciens joueurs frustrés de ne pas avoir obtenu de contrats avec le club, liste à laquelle s’ajoutent parfois des journalistes ou des hommes du milieu soucieux de régler leurs comptes.
A suivre.
José d’Arrigo
Rédacteur en Chef du « Méridional »