Politique – Entretien avec Jean-François Vigier sur la décentralisation : »Philippe le Bel, Macron même combat »

Comme vous le savez, la ligne éditoriale du Méridional se veut être un titre de presse régionale. Mais le journal dans sa tradition libérale s’intéresse étroitement à toutes les initiatives de décentralisation politique. Dans cet esprit de donner des libertés aux territoires, le Méridional a tenu à s’entretenir avec Jean-François Vigier, président de l’Union des Démocrates et Indépendants, qui a récemment présenté à la région Île-de-France une saisine de demande de transfert de compétences de l’État à la région francilienne.

« l’objectif de tout ça, c’est la proximité et l’efficacité »

Jean-François Vigier

Le Méridional – Pourriez-vous vous présenter et présenter les raisons qui ont motivé cette délibération?

Jean-François Vigier : Bien sûr. Alors je suis conseiller régional d’Île-de-France, je préside le groupe UDI à la Région. Je suis également maire d’une commune qui s’appelle Bures-sur-Yvette et située au sud-ouest de Paris en entrée de la vallée de Chevreuse. Déjà, les maires, nous vivons mal le fonctionnement actuel de la démocratie locale, parce qu’on a l’impression que, depuis les lois de décentralisation des années 80, qui ont donné, c’est vrai, un grand vent de liberté pour les collectivités locales d’abord pour les communes, ensuite les départements, puis pour les régions, on a l’impression que l’État n’a eu de cesse de s’organiser pour nous surveiller.

La façon qu’a l’État d’exercer son contrôle c’est de déconcentrer son pouvoir dans les départements. Les services de l’État, en préfectures et en sous-préfectures, n’ont jamais été autant organisés pour assurer un contrôle sur nos missions. On sait aujourd’hui que nous avons besoin de davantage de liberté. Nous avons besoin d’un État qui soit beaucoup plus dans l’accompagnement que dans le contrôle. A la région (Île-de-France) on pense la même chose. On voit bien que l’État, à vouloir tout faire, en fin de compte, il fait tout mal. Aujourd’hui, on voit bien que la sécurité et la justice sont dans une situation très difficile. Nous soutenons qu’il faut que l’État se recentre sur ses grandes compétences régaliennes et qu’il laisse la collectivité gérer au mieux les compétences de proximité. Moi je suis un adepte du principe de subsidiarité, c’est l’échelon le mieux placé qui l’administre, et quand il ne peut pas, il passe à l’échelon au-dessus.

Le vrai déclencheur c’est la crise COVID. D’un seul coup, vous vous retrouvez devant un État quasi empêché d’agir et des régions qui étaient les échelons les plus efficaces qui ont dû gérer l’achat de masques, la mise à disposition de masques aux entreprises, aux commerçants, aux maires, de façon très efficace. Et on s’est retrouvé face à un état empêché à une ARS qui ne savait pas comment agir face à une crise qui était celle des morts subites dans les EHPAD. Ça a été quand même un élément déclencheur parce que toutes les aides qui ont été libérées par les régions à ce moment-là, notamment en Ile-de-France les aides vis-à-vis des entreprises, ça a été mené très rapidement. A partir de là, il se trouve que, au même moment, a été discutée une loi qui s’appelle la loi 3DS, dont on attendait beaucoup, peut-être à tort comme souvent en matière de décentralisation. Malgré l’engagement du Sénat, cette loi n’a pas débouché sur grand-chose. Sauf une mesure qui est passée totalement sous les radars au moment où elle a été adoptée. C’est le principe de la différenciation. Et ce principe de la différenciation, c’est l’autorisation donnée à une région, à une collectivité locale, de s’estimer dans une situation suffisamment différente avec les autres régions françaises pour demander soit de nouvelles compétences, soit l’aménagement des compétences qu’elle exerce. Pour ce faire, la région peut demander à s’appuyer sur un outil qui, lui, n’a pas été adopté avec la loi 3DS, mais avec la loi organique votée six mois avant ou huit mois avant, qui est le principe de la mise à l’essai, c’est-à-dire que pendant cinq ans vous récupérez une compétence, vous l’exercez. C’est une sorte de mise à l’essai. Au bout de cinq ans, on fait un bilan et on regarde si effectivement l’État peut la transférer de façon définitive.

Il se trouve que l’UDI a fait adopter un vœu par l’Assemblée régionale il y a maintenant un an et demi et se veut demander à la région de travailler sur la récupération de compétences, pour justement être plus en proximité avec les habitants et être plus efficace. Parce que l’objectif de tout ça, c’est la proximité et l’efficacité. Et la présidente a dit : « Utilisons ce principe de la différenciation de la loi 3DS et je confie une mission à l’UDI et à son président de me faire des propositions d’ici un an sur de nouvelles compétences ou sur l’adaptation de compétences existantes ».

C’est le travail qui m’a été confié, que j’ai démarré en fin septembre 2022. J’ai été donc hébergé au sein de la commission « Réforme territoriale à la région ». Nous avons commencé une série d’auditions d’experts, de chefs d’entreprises, de spécialistes, de constitutionnalistes, de juristes, d’élus aussi pour regarder, secteur par secteur, quels types de compétences nous pourrions demander. On a posé deux principes : on ne raisonne pas pour les régions françaises, mais uniquement pour l’Ile de France. La différenciation nous oblige à agir et à regarder uniquement ce qui peut intéresser l’Ile de France.

Le deuxième principe : on ne touche pas à l’organisation institutionnelle existante, c’est-à-dire que les débats ne doivent pas porter sur la place des départements, des agglomérations, des communes. Je crois que tout le monde a été bien d’accord avec cela. Ce travail nous a conduits donc jusqu’au printemps 2023. Juste avant l’été, on a été en mesure de lister une quarantaine de compétences, qui ont été portées à 45 compétences à la suite d’amendements divers qui ont été adoptés, que j’ai présenté lors de la séance du 20 septembre. Ces compétences, elles touchent pratiquement tous les secteurs de la vie d’une région : l’économie, le social, le logement, les transports, l’environnement.

Le Méridional – Dans quelles mesures ces services publics vont-ils pouvoir s’améliorer avec une décentralisation ?

Jean-François Vigier : Tout d’abord il faut avoir à l’esprit qu’une autre région pourrait demander d’autres compétences parce qu’elle estimerait qu’elle n’a pas besoin, par exemple sur les transports, de compétences supplémentaires, ou qu’elle ne juge pas que Pôle emploi soit absolument nécessaire d’être décentralisé.

C’est véritablement une demande propre à une région. Dès que vous avez des agences, qui sont des services de l’État qui sont régionalisés, prenons l’ARS, mais prenons également l’ADEME : pourquoi avoir deux services dès lors que la région a déjà des compétences ? La région peut être à même d’agir au plus près et sans faire de redites ou de doublons. Je vais vous donner un exemple concernant l’ADEME : elle a mis en place, en lien avec la région Ile de France, ce qu’on appelle un « Fonds Air Bois », c’est-à-dire, une aide pour les Franciliens, une subvention pour ceux qui veulent remplacer leurs vieilles chaudières à bois dans les logements. Il se trouve que l’affaire du gaz arrivant avec la guerre en Ukraine, on s’est penché sur la question des chaudières gaz. Nous nous sommes dit « il faut encourager au changement de vieilles chaudières gaz ». On a saisi l’ADEME en demandant que l’ADEME puisse participer, étendre le « Fonds Air Bois ». L’ADEME a fait une procédure qui était très, très lourde. Nous, on était prêt à changer la politique, le guichet, l’étendre aux chaudières gaz ou chaudières fioul. Pour l’ADEME ce n’était pas possible parce que c’était très lourd. Il fallait s’en référer au ministère et ça prenait beaucoup de temps.

Le Méridional – Est-ce que l’efficacité se décline à tous les services publics ? Car ils n’ont pas tous la même finalité, transports, éducation…

Jean-François Vigier : Par exemple, prenons la sécurité dans les transports : aujourd’hui, en Ile de France, vous avez des brigades de sécurité de la RATP, de la SNCF, de l’Etat et des brigades de sécurité privées qui viennent en renfort.

Comment voulez-vous gérer au mieux l’ensemble de la sécurité sur des lignes de RER aussi fréquentées, quand vous avez autant d’autorités qui gèrent la sécurité ? Parce que concrètement, quand vous passez d’un secteur à l’autre de l’Ile de France, ce n’est plus la même autorité qui gère l’efficacité. La proximité, c’est des décisions qui sont mieux construites parce qu’elles sont proches du terrain. Plus on décentralise, plus la décision correspond aux attentes du citoyen. C’est ça qui nous intéresse. Et d’ailleurs, ce n’est pas étonnant si les maires sont les élus les plus populaires de France. Puis il y a la notion que je vous ai citée d’efficacité parce que, pour moi, plus une structure est petite, moins il y a de bureaucratie et plus elle est agile, réactive.

  « OUI PHILIPPE LE BEL, MACRON, MÊME COMBAT »

Jean-François Vigier

Le Méridional – Quels sont les avantages d’un SMIC régionalisé ?

Jean-François Vigier : Nous sommes partis d’un principe très simple : aujourd’hui, si vous vivez en Ile-de-France vous avez en gros un coût de la vie qui est un peu en dessous de 10 % plus cher que dans les autres régions françaises. Vous avez un montant du SMIC qui est le même que dans toutes les régions françaises, et vous avez notamment un prix du logement qui est quatre fois supérieur aux autres régions françaises. Donc il y a une distorsion qui pénalise énormément les travailleurs franciliens. Il faut, dans le cadre d’un partenariat avec les partenaires sociaux, travailler à la fixation d’un SMIC régional qui prenne en compte ces particularités.

Il faut l’augmenter en Île-de-France. On sait bien que ce sont ceux qu’on appelle les travailleurs de première ligne (c’est-à-dire ceux qui travaillent dans la santé, dans la sécurité, dans l’éducation, etc.), qui ne vivent pas en Ile-de-France, mais qui viennent travailler tous les jours en Ile de France et qui parfois font 2 h de train pour venir travailler. Et cela, il n’est pas normal qu’ils ne puissent pas se loger en Ile de France. Pour nous, c’est un moyen, c’est une proposition concrète pour adapter le revenu minimum à un coût de la vie qui est, on le sait tous, beaucoup plus élevé qu’ailleurs en France.

Le Méridional – Les prochaines étapes de ce rapport, c’est d’avoir des compétences transférées et vérifier leur efficacité ?

Jean-François Vigier : La loi 3DS prévoit que, dès lors que le président de l’exécutif, qui a fait ses demandes par délibération, il doit les transmettre au gouvernement. Le gouvernement a un an pour répondre. La présidente a signé, je crois, il y a quelques jours le courrier de saisie de la Première ministre. Du coup, on sait qu’on doit avoir une réponse aux alentours du début du mois de novembre 2024. Dans l’intervalle, moi, je compte rencontrer, avec la présidente, toutes les autorités publiques compétentes pour parler de ce rapport, le vendre et expliquer pourquoi nous avons procédé ainsi et voir à la fois toutes les autorités, qu’elles soient gouvernementales, parlementaires, à l’Assemblée nationale, au Sénat, pour avancer et pour expliquer le bien-fondé de notre démarche.

Le Méridional – Est-ce que des modèles politiques comme le Canada ou la Suisse vous ont inspiré ?

Jean-François Vigier : Pas seulement, l’Allemagne, l’Espagne, le Canada, la Suisse aussi. On a quand même des pays qui sont assez inspirants dans le cadre de politiques décentralisées. Au-delà de ces pays qui peuvent nous inspirer, bien sûr, il y a la question aujourd’hui d’une situation nationale où moi, je suis convaincu qu’on ne pourra pas continuer très longtemps comme ça et l’Etat va devoir lâcher prise, parce qu’on est dans un monde qui demande de plus en plus de proximité et d’efficacité. En fait la question c’est que l’Etat concentré, qui est une culture française j’en conviens, et qui ne remonte pas à 1960 ; ce Français hyper concentré, il est dans nos gènes depuis Philippe le Bel, qui a créé la France par réaction au pouvoir des seigneurs. Je me rappelle mon prof de droit qui disait « Philippe le Bel, François Mitterrand, même combat ». Oui, Philippe le Bel, Macron, même combat. Sauf qu’aujourd’hui, le monde a tellement changé, la nécessité d’apporter des réponses concrètes et rapides est telle qu’on ne peut pas continuer avec cette concentration du pouvoir. Nul ne conteste à l’Etat le droit de gérer en direct ces compétences qui sont des grandes compétences régaliennes de notre pays. Mais pour le reste, il faut, il faut maintenant laisser les collectivités agir.

Et puis il y a un autre point aussi, sur lequel je voudrais conclure : c’est que nous ne pourrons mener des politiques efficaces et de proximité qu’avec des ressources fiscales. On nous assèche de nos ressources fiscales. Notre région n’en a pratiquement plus. Vous vous rendez compte aujourd’hui que dans une commune, seuls les propriétaires participent au financement des politiques publiques en investissements et en services à la population, ce qui conduit à des inégalités profondes sur l’accès aux services publics. Ça a été une véritable erreur de supprimer la taxe d’habitation. Aujourd’hui le financement de la transition écologique, tous les investissements que nous avons à faire sans une fiscalité ad hoc…Je suis convaincu, qu’aujourd’hui, il va falloir que l’État fasse table rase de ce cette histoire nationale autour de l’Etat concentré et accepte enfin de lâcher prise et de permettre aux élus locaux de conduire aussi leur politique. Mais je suis conscient que cela va nécessiter au gouvernement, et au Président qui prendra cette décision, de convaincre une administration centrale qui, elle, est beaucoup moins prête à lâcher ses pouvoirs.

Propos recueillis par Léopold Aubin