Portait d’artiste – La journée idéale de Jacoun Bisou – sculpteur de bois d’olivier

8 heures du matin, le réveil sonne pour le pousser hors du lit. Il n’est pas très matinal, c’est vrai. Toute première des choses au réveil, un café. Un vrai, un costaud, pour chasser les brumes du sommeil. Et pendant que le café fume dans sa main, il prend son bloc et il note l’idée de la nuit, la pièce qui deviendra peut-être le chef d’œuvre du siècle !

Il a en effet la grande chance d’avoir une inspiration quasi permanente, alimentée selon lui par l’esprit de son épouse adorée, disparue trop vite il y a trois ans. C’est à la suite de ce drame personnel qu’il s’est mis à travailler le bois d’olivier, qu’il connaît bien, puisqu’il est paysan et cultivateur de cet arbre mythique. 

Le paysan « fabrique » la matière que l’artiste « travaille » ! Tous les matériaux organiques l’intéressent, toutes les façons de travailler, tous les styles, toutes les formes pourvu que ce soit original et que ça n’existe pas déjà.

Début de matinée, il descend à l’atelier, il vérifie que ses batteries sont chargées – en effet il vit et travaille en autonomie énergétique totale, éolien et photovoltaïque – le premier artiste à impact positif !
Il prend en main le travail du jour. Il a en général plusieurs œuvres en train au même moment, car il lui faut gérer les différentes étapes de la création au fur et à mesure. Une colle sèche ? Il travaille une autre pièce, et quand cette nouvelle forme apparaît, pour mieux
l’optimiser et la laisser mûrir, il passe à une autre pièce, faite d’un assemblage de béton et de bois. Mélange des matières, mais aussi mélange du sable et du ciment pour en faire un mortier fin qui s’accordera très bien avait la délicatesse du bois d’olivier poli. Pour chaque
pièce il faut compter au bas mot plusieurs dizaine d’heures de travail.

Et comme souvent, son voisin passe la tête par la porte de l’atelier, il vient voir où il en est, lui qui est toujours décontenancé de voir ce qui se passe entre le début et la fin d’une nouvelle création. C’est le premier public de Jacoun, mais aussi sa récréation. A la mi-journée, une étape par la cuisine, où il s’adonne souvent lui-même à la confection de ses repas, et puis comme d’habitude il va faire un tour dans ses champs, situés au pied de la Sainte Victoire, pour voir pousser ses oliviers… Ils n’ont pas vraiment besoin de lui tous les jours, mais Jacoun Bisou a besoin d’eux chaque jour !

Alors il leur parle, il les caresse, il ne sait pas si ça leur fait du bien, ce qu’il sait en revanche
c’est que ce contact lui est particulièrement salutaire. Et puis lorsqu’ils arrivent en fin de vie mais c’est rare, ils lui donnent leur bois. 
L’olivier, arbre mythique, est chargé de presque tous les symboles. Ne dit-on pas que c’est l’arbre éternel, l’arbre de la paix, l’arbre de la force et de la gloire, l’arbre de la chance, l’arbre de la vie, l’arbre de la sagesse… et c’est aussi l’arbre sacré des trois religions
monothéistes.  

L’après-midi se poursuit avec quelques coups de fil, un passage sur internet : il faut bien faire sa promotion et répondre aux clients, s’inscrire à un salon, contacter une galerie…, cette journée de printemps qui va bientôt se terminer aura été bien douce et agréable.

Chaque jour c’est le même plaisir, il ne laisserait pas sa place pour un empire !

Ces odeurs particulières du bois qu’il travaille mélangées à celle de la colle, à celle d’un outil électrique qui chauffe un peu (c’est très dur le bois d’olivier), le bruit des chocs d’un maillet
sur le manche d’un ciseau à bois, le sifflement stridulant de la lame de la scie à ruban, ces couleurs magnifiques du veinage du bois d’olivier, le tout environné de copeaux de bois qui volent dans le soleil couchant, de poussière en nuage s’évaporant dans l’atelier, de cette sciure qui s’accumule partout et qui est la promesse d’un grand nettoyage à venir.

César Baldaccini, le grand César, marseillais comme lui disait « quand on est artiste, on s’amuse ». Et Jacoun a envie de s’amuser encore longtemps…

Joelle Giordano