International – Les enfants trahis du Liban

Un soldat libanais dans les rues de Beyrouth © DR

Après la révolution puis l’explosion, l’impact de la crise sur les femmes et les enfants est dramatique. Une réalité difficile à voir : violences conjugales, violences physiques et sexuelles sur les enfants, abandons des enfants, prostitution… 

Nadine sort de ses dossiers une feuille de papier avec empressement. Un silence accompagne son geste. Sur la feuille blanche qu’elle tend, on distingue six petits personnages, dessinés par une enfant au crayon de papier. Tous pleurent. On peut y lire en arabe : « La nourriture est trop chère » ; « je n’ai pas mes droits » ; « il n’y a que la mort et la destruction ». « C’est une fillette de 9 ans qui a fait ce dessin. La crise impacte fortement le psychisme des enfants les plus démunis. » Nadine connaît bien le sujet. En tant qu’assistante sociale au sein de l’association Libami, implantée dans Bourj Hammoud, un quartier pauvre de Beyrouth, elle voit la situation sociale des familles se dégrader de jour en jour. « Les familles que nous suivons n’ont pas d’eau ni d’électricité. Nous rencontrons des cas vraiment dramatiques… »

Le Liban subit une succession de crises : politique, économique et financière et s’enfonce dans une précarité toujours plus intense. La livre libanaise a perdu plus de 90 % de sa valeur et l’inflation tutoie les 200 %. Environ 80 % de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté. 

Nadine réalise de nombreuses visites à domicile qu’elle documente. Sur son portable, elle fait défiler des photos. Pièces minuscules et crasseuses, cuisine et chambre dans un même espace, casseroles par terre, réfrigérateurs vides… Chacune de ces photos témoignent de la misère dans laquelle vivent une partie des habitants de Bourj Hammoud. « Notre grande crainte pour la rentrée concerne le paiement des loyers », précise Diana, une autre assistante sociale de Libami, « les propriétaires vont demander un paiement en dollars ce qui est impossible pour les plus pauvres. » La crise financière a engendré des restrictions bancaires fortes. Les Libanais n’ont plus accès à leur argent placé en banque. « En septembre, il y aura beaucoup de familles qui vivront sur leur palier », prévient Diane, impuissante.

Face à la crise que traverse le Liban, par les sœurs de la Charité du Bon Pasteur constatent le délitement du système familial. Basées sur les hauteurs de Beyrouth, elles n’ont pas baissé les bras et accompagnent les parents défaillants et les enfants en souffrance. Une mission de plus en plus difficile. La consommation d’alcool et de drogue, la violence et la prostitution n’ont fait qu’accroître au sein des foyers au point de mettre la vie des enfants en danger. 

Un éclatement de la cellule familiale

 « Nous sommes dans des temps d’insécurité. Malgré tout, nous espérons un jour nouveau sur le Liban. » Pour sœur Marie, cela ne fait pas de doute : la crise est en train de profondément modifier le système familial au Liban. Il n’existe pas de chiffres qui puissent prouver ce phénomène mais la religieuse le constate dans le centre d’accueil dont elle a la charge : « Les femmes et les hommes abandonnent plus facilement leur enfant sans scrupule. Ce n’est pas dans notre culture. » Sœur Marie est la responsable du centre d’accueil d’enfants et femmes battus à Ain Saadeh. C « Nous hébergeons en ce moment six femmes battues avec leurs enfants au premier étage de notre bâtiment et les enfants seuls qui ont besoin d’être protégés sont logés au rez-de-chaussée. » A cet instant, l’assistante sociale sort de son bureau avec un homme et une dame âgée. « Cette dame est la grand-mère de 4 enfants placés chez nous », souffle sœur Marie. L’homme qui l’accompagne est son fils. Dépendant à la drogue, sa femme l’a quitté. La grand-mère n’a pas les moyens de s’occuper des enfants. L’assistante sociale tente une médiation pour que les enfants ne perdent pas le lien avec la seule famille qui leur reste. « Beaucoup de familles sont éclatées à cause de ce type d’addiction. La consommation de drogue a beaucoup augmenté ces dernières années », constate la religieuse.

C’est donc dans ce climat de violence que grandissent les générations futures du Liban. Une violence qui est marquée dans la chair et l’âme de ces enfants : « Les enfants expriment leurs souffrances. Nous avons des enfants battus qui sont devenus violents à leur tour. Ils sont en colère. Nous avons des psychologues qui les suivent mais cela n’effacera pas le traumatisme. » 

L’UNICEF affirme que 80 % des personnes s’occupant d’enfants ont déclaré que leurs enfants avaient des difficultés à se concentrer sur leurs études à la maison, « ce qui pourrait indiquer une faim ou une détresse mentale. » Une réalité qui devrait s’aggraver au regard du marasme et de l’inertie politique au Liban.

Marie-Charlotte NOULENS