Société – Douanes : le dépeçage continue

Vedette des douanes dans le Vieux-Port de Marseille © WKMC

Silence on déshabille. Silence on démantèle les douanes. C’est toute une administration qui se vide peu à peu de ses forces vives pour le plus grand profit des fraudeurs de toute nature. Les douanes sont en train de mourir et leurs effectifs fondent comme neige au soleil.

A Marseille, on a constaté au cours de ces dernières années que les effectifs des douaniers affectés à la surveillance du port ou des frontières se réduisait au fil des années comme peau de chagrin. Or, le dépeçage continue dans l’indifférence générale. La mission principale de la douane française n’est pas seulement la sécurité, la lutte contre la fraude ou les trafics, mais aussi un travail d’investigation et d’aide aux entreprises, une minutieuse recherche fiscale pour démasquer les arnaqueurs potentiels du fisc. Et Dieu sait s’il y en a depuis l’exemple lamentable de Jérôme Cahuzac, ancien ministre socialiste du Budget.

Actuellement, les divers acteurs de Bercy sont en train de modifier la donne : les missions fiscales normalement dévolues aux douaniers sont peu à peu transférées à la Direction générale des finances publiques. Or, le coût d’intervention des fonctionnaires de Bercy est deux fois plus important, surtout en ce qui concerne le traitement et la perception des taxes. S’agit-il simplement d’un « toilettage » des douanes pour faire des économies ou plutôt d’un moyen dérobé d’empêcher des fonctionnaires scrupuleux de faire leur métier et de prendre certains gros magouilleurs de l’évasion fiscale la main dans le sac ?

Depuis 2014, la douane française a déjà perdu onze de ses missions fiscales qui sont désormais dévolues à la direction générale des finances publiques et à la Direction des affaires maritimes. Ce travail de sape des élites de Bercy a permis de confisquer aux douaniers leurs prérogatives sur le contrôle ou la perception des droits annuels de francisation et de navigation (impôts sur les bateaux de plaisance et les engins maritimes), mais aussi sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (pétrole, essence, carburant), et sur la taxe intérieure de la consommation finale d’électricité.

depuis 2014, la douane française a déjà perdu onze de ses missions fiscales

Evidemment, personne ne le sait, personne ne se plaint de ce dépeçage systématique qui risque de saigner à blanc les effectifs douaniers d’ici à 2024. Mais ce transfert de fiscalité ne se fera pas sans mal. Car il est purement idéologique et n’obéit à aucun argument rationnel. La preuve, c’est que le ministère des Finances n’a édité pour l’instant aucune étude d’impact ni aucune mesure des gains espérés par ce chamboulement. C’est un passage en force de l’administration. Dans quel but ?

S’il s’agit de permettre aux douaniers de se concentrer sur leurs missions premières de lutte contre les trafics en tous genres, c’est d’ores et déjà raté. Car ce transfert vers une administration générale des finances qui est elle-même en pleine restructuration est ubuesque. Comment voulez-vous que la direction générale des finances publiques absorbe en surplus le recouvrement et le contrôle de trente-cinq milliards d’euros de recettes publiques ? C’est impossible.

En outre, ces pertes de missions fiscales vont entraîner la disparition de très nombreux emplois douaniers et c’est peut-être pour cette raison que le gouvernement se garde bien de crier sur les toits sa petite révolution. L’administration évoque la perte éventuelle de 703 équivalents temps plein travaillés, c’est-à-dire une peccadille sociale qui ne mérite même pas qu’on s’y arrête. En fait, ce sont 4228 agents fiscaux des douanes qui seront touchés par ces transferts arbitraires de compétences et seront probablement licenciés… Car il faut bien comprendre qu’un équivalent temps plein travaillé peut représenter jusqu’à cinq agents.

Comme d’habitude avec les socialistes, on joue sur les mots et les masses pour mieux entourlouper le public. Parallèlement, la douane est remise en cause par le ministère de l’Intérieur car il jalouse les prérogatives très larges de leurs collègues. C’est ainsi que les missions traditionnelles de garde-côtes de la douane et de surveillance générale des intérêts maritimes nationaux seront peu à peu délégués au corps des gardes-frontières européens piloté par Frontex, l’agence européenne créée en 2004 pour aider les Etats membres de l’union européenne à mieux protéger les frontières Schengen de libre circulation à l’intérieur de l’Europe. Bref, ce qui ne marchait pas hier risque de marcher encore moins demain, et c’est peut-être une conséquence délibérée ! Frontières passoires, bonjour les dégâts.

« la douane nous était d’une utilité vitale pour la lutte contre les fraudes »

Un inspecteur général en poste au ministère de l’Intérieur

La présidente de la commission européenne Ursula von der Leyen souhaite augmenter le nombre de garde-frontières européens de 1 500 à 10 000 d’ici à 2024 en recentrant leurs contrôles sur la police des marchandises. Le document officiel le dit clairement : « La mission de contrôle migratoire ne peut pas s’exercer simultanément à la mission de lutte contre la fraude douanière. Les ressources ne sont pas mutualisables sur une même unité de temps. » Pas de souci, tout le monde peut rentrer en Europe sans le moindre contrôle. En revanche, les marchandises non conformes seront interceptées et sanctionnées. Car ce travail là est beaucoup plus rémunérateur.

L’hémorragie des effectifs se confirme partout, hormis quelques postes au Havre ou à Marseille pour faire face à la récupération par la douane de l’ancien contrôle de la direction de la concurrence sur l’importation des produits d’origine non animale. Les douaniers sont soumis au régime du pain sec : un grand nombre d’entre eux vont être invités à rejoindre d’autres administrations ou à quitter le service public. Les structures de l’Etat s’affaiblissent ainsi au fil des ans car il n’a plus les moyens de sauver tous les bijoux de famille. La douane, administration jugée secondaire par les têtes d’œufs qui nous gouvernent sera en 2024 une coquille vide.

« Ce qui me navre, confie un inspecteur général en poste au ministère de l’Intérieur, c’est que la douane nous était d’une utilité vitale pour le maintien de l’ordre et la lutte contre les fraudes. Son démantèlement sera aussi une perte énorme pour la police française. »

José D’ARRIGO, rédacteur en chef du Méridional