Elle revient de trois semaines de tournoi en Turquie et se dit plutôt « en forme ». On acquiesce avec admiration, et on n’a pas de peine à avouer que cela nous fait quelque chose d’échanger avec la numéro 1 française de tennis fauteuil. Emmanuelle Mörch a remporté là -bas de belles victoires, dont celle au sein de l’équipe de France, sélectionnée pour la phase finale de qualification de la Coupe du monde (qui aura lieu début mai). Installée depuis quelques mois à Marseille, la championne accepte de nous raconter sa vie, sa carrière.
Apprendre à vivre en fauteuil roulant
C’est en quelques traits qu’Emmanuelle Mörch nous raconte sa jeunesse : son enfance à Gif-sur-Yvette, en région parisienne. Son accident de snowboard à 17 ans, qui l’a rendue paraplégique. « J’étais en classe de Terminale. J’ai passé huit mois entre les hôpitaux et les centres de rééducation pour apprendre à vivre en fauteuil roulant. »
Celle qui désormais ne peut plus marcher ne renonce pas à sa détermination. Dès sa sortie du centre de rééducation, elle entend bien reprendre les études ; reprendre le sport aussi, qu’elle avait pratiqué en compétition amateur.
Vers quel sport se tourner ?
Après le bac – passé à l’hôpital -, Emmanuelle Mörch intègre une prépa scientifique. En parallèle donc, elle commence à s’essayer à divers sports en fauteuil, le basket par exemple. Mais cela ne l’enthousiasme pas.
« Je trouvais vraiment ce type de sports trop peu flexible, souligne l’athlète. Un entraînement précis à un endroit précis, énormément de joueurs et de joueuses. Pendant les matchs, comme j’étais débutante, j’étais tout le temps sur le banc à attendre de remplacer quelqu’un. » Une expérience plutôt frustrante.
On lui parle ensuite du tennis fauteuil. « J’ai trouvé ça super dès le début : ça me permettait de jouer avec des gens debout ou assis, à deux, à quatre, dehors, dedans… Je pouvais jouer quand je voulais, le temps que je voulais… Ça me paraissait simple d’un point de vue logistique ! »
En 2009, Emmanuelle assiste à Roland-Garros à un tournoi de tennis fauteuil. Elle y voit notamment jouer l’athlète français Michaël Jeremiasz, qui avait gagné l’or aux Jeux de Pékin quelques mois plus tôt. « J’ai trouvé ça incroyable, se souvient la championne. Cela m’a fait vraiment rêver. » « C’est comme ça que j’ai démarré », conclut-elle avec un sourire.
Du jeu aux Jeux
L’idée des Jeux s’impose finalement rapidement. « On m’a dit que j’étais jeune, que j’étais sportive. Que si je m’entraînais dur, je pouvais avoir le potentiel d’aller aux Jeux. » Mais l’athlète souligne aussi qu’elle n’avait pas tout prévu… « Quand on m’a dit ça, je ne savais pas du tout ce que ça impliquait. J’y ai cru. Je ne me rendais clairement pas compte de ce que ça voulait dire, être sportive de haut niveau pour les Jeux paralympiques… »
« j’avais tout donné pour progresser au classement »
Emmanuelle Mörch se met donc en tête qu’elle partira pour les Jeux paralympiques de Rio (2016), et commence à s’entraîner. « Plus les mois et les années passaient, plus je me rendais compte du travail qu’il restait à fournir… », confesse-t-elle aujourd’hui. Etant juste derrière le classement pour se qualifier d’office, elle bénéficie d’une « wild card » (invitation privilégiée) de la part de la France, au dernier moment, en juin.
Sur place, ça ne se passe pas très bien. « J’avais tout donné pour progresser au classement, et j’étais en permanence blessée, raconte l’athlète. J’avais dû poser la raquette pendant un mois tellement j’avais mal. » Au bout de quelques jours aux Jeux, la douleur revient progressivement. Mentalement aussi, notre championne est épuisée. « J’avais mal géré cette année de préparation et toute la pression qu’il y avait autour. J’ai perdu en simple et en double au premier tour, ça a été très dur à encaisser. » Pour elle, le bilan est donc un peu étrange : « C’était à la fois extraordinaire d’être là -bas, et j’ai vécu des moments inoubliables, mais surtout des moments très durs. »
Jeter l’éponge… et la raquette ?
Après Rio, elle décide de tout arrêter et d’aller travailler en entreprise. Son diplôme d’ingénieur en poche, elle veut changer de vie. « Je n’en pouvais plus du tennis, je voulais voir ailleurs », souligne l’athlète. Elle intègre L’Oréal et travaille pour l’entreprise pendant deux ans et demi en marketing stratégique.
Mais la raquette ne se laisse pas aussi facilement oublier ! Au bout de quelques mois, le tennis lui manque. Emmanuelle commence à jouer à nouveau, le soir, durant les week-ends, pendant les vacances… A fur et à mesure, elle augmente ses heures d’entraînement. L’Oréal la passe en 4/5ème sur sa dernière année de travail pour qu’elle participe à plus de compétitions. Puis en janvier 2019, l’entreprise accepte de la libérer à 100% et de soutenir sa carrière sportive.
La reprise, avec un nouvel élan
2019, c’est donc l’année de la reprise, avec l’objectif des Jeux de Tokyo, en étant bien mieux préparée – surtout mentalement – qu’à Rio. « Je m’entraîne sérieusement, je prends du temps pour moi aussi, pour récupérer et mieux connaître ma façon de gérer la pression. »
Arrive le covid, et avec lui, le report des Jeux. Comment la championne vit-elle cette période ? « Elle a sûrement été positive par certains côtés. Je me rends compte que tout peut s’arrêter du jour au lendemain. Je prends d’autant plus de plaisir à jouer chaque match, avec la conscience que l’objectif est au-delà des Jeux. »
la championne se prépare sereinement aux JO 2024
Elle reprend les compétitions (dans le climat d’incertitude, « maintenues-annulées »). Et est sélectionnée pour les Jeux de Tokyo. Là -bas, Emmanuelle Mörch gagne son premier tour en simple, puis perd contre la numéro 3 mondiale en faisant un excellent match. « Pour moi, ces Jeux ont été très réussis, même si mes proches étaient absents et que l’ambiance était spéciale en raison de la crise sanitaire. »
Chaque tournoi compte, avant les Jeux 2024
Emmanuelle Mörch poursuit tranquillement son bonhomme de chemin. Elle participe à un grand nombre de tournois internationaux, qui permettent de gagner des points pour le classement international. Les 25 compétitions par an auxquelles elle participe signifient beaucoup de déplacements à l’étranger.
Mais pour celle qui est à ce jour 18ème mondiale, « chaque tournoi compte ». Pour participer aux Grands Chelems, il faut grimper dans le top 8 mondial. Si elle a pu obtenir une « wild card » à Roland-Garros l’année dernière au titre de numéro 1 française, Emmanuelle Mörch entend bien entrer dans ce tableau très réduit.
Un entraînement serein (et marseillais !)
La championne se prépare sereinement, avec l’objectif des Jeux 2024. Sa routine (étirements, méditation, échauffement, entraînement, kiné…) s’est délocalisée à Marseille il y a quelques mois. C’est une fierté d’accueillir ici une athlète aussi déterminée et modeste ! Nul doute que les Marseillais vont l’adopter et la suivre de très près.
« Quand je suis sur le terrain, je ne me sens pas du tout handicapée : je me sens avant tout une sportive », résume celle qui met en première place dans le sport le dépassement de soi. « Je comprends aussi la chance que j’ai de vivre de ma passion ; c’est quelque chose qui n’est pas donné à tout le monde ! Je suis encore jeune, j’ai encore quelques années à pouvoir le faire. » Et elle va le faire avec intensité. Emmanuelle Mörch est sans nul doute de la pâte des grandes, très grandes championnes.
Jeanne RIVIERE