« A vrai dire », la chronique éco de Pierre Dussol (9) : Comptable / Relocalisations / Rétribution

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« La perversion de la démocratie commence toujours par la fraude des mots Â», a dit Platon. Il avait diablement raison. Confucius aurait dit, lui aussi, que pour remettre de l’ordre dans le pays, il fallait écrire un dictionnaire définissant clairement le sens des mots. Un économiste de renom qui prétendrait aujourd’hui vulgariser la science économique en se fondant sur les critères de la « novlangue Â» ou du « néo-parler Â» pressentis par Orwell trahirait sa mission pédagogique et ne ferait qu’embrouiller les esprits.

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Pierre Dussol, professeur d’économie honoraire à Aix-Marseille-Université, a compris depuis belle lurette les méfaits de la torsion des mots sur la désorientation et le vide des esprits. En véritable « redresseur de tors Â», il a décidé de reprendre les définitions de base qui permettent de mieux décrypter les habillages et autres artifices du politiquement correct.

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Pierre Dussol est en train d’achever pour son plaisir et le nôtre un ouvrage roboratif dans lequel il se livre à un décodage de définitions économiques plus proches de la vérité que celles qu’on pilonne dans les médias pour les rendre vraisemblables. Il ajoute à la pertinence du verbe les sarcasmes de la gaîté.

Son livre-dictionnaire est promis à un certain retentissement car Dussol opère comme un chirurgien avec une plume-scalpel qui martyrise en souriant les vassaux de la pensée économique obligatoire.

Cette Å“uvre salutaire a le mérite de restituer aux mots leur sens initial sans le moindre travestissement idéologique. Pierre Dussol, professeur agrégé d’économie, a accepté d’en livrer certains extraits en exclusivité au Méridional au fil d’une chronique hebdomadaire intitulée : « A vrai dire ».

José D’Arrigo

Voici trois mots, suivant ceux de la semaine dernière. D’autres suivront régulièrement. Vos commentaires et suggestions sont évidemment les bienvenus.

COMPTABLE (Logique comptable)

En ce moment, les comptables doivent avoir les oreilles qui sifflent ! Chaque « plateau télé Â» consacré aux diagnostics de ce qui ne va pas en France et à ce qu’il faudrait réformer, entend un plaisantin dire que ce n’est pas à la « logique comptable Â» de dicter les décisions.

C’est une manière de se cacher la vérité qui convient bien aux politiciens peu sérieux – élus ou syndicalistes – et prétend justifier leurs suggestions farfelues, ou démagogiques, ou destructrices, ou les trois à la fois.

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Il est bien facile en effet de mépriser les enseignements des chiffres et d’oublier que l’économie est une science de la décision, plus que de l’argent. L’emploi de l’argent n’est pas idéologique mais réaliste, « factuel Â» comme dirait tel commentateur connu. Comment décider sans utiliser de chiffres ?  Pour faciliter la prise de décision il est indispensable de chiffrer ce qui peut l’être, (insistons bien : « ce qui peut l’être Â») car tout ne peut pas en effet être strictement chiffré. Quel ménage qui cherche la « maison de ses rêves Â» oublierait de calculer le budget qui y est associé ?

Chiffrer ce qui peut l’être ?

Exemples : les fonctionnaires français, d’après les chiffres officiels (Cour des Comptes) travaillent moins d’heures que ce qui serait légal, mais sont payés « plein tarif Â». Ne comparons même pas à l’Allemagne !

Beaucoup de personnes en France, fonctionnaires ou non, partent à la retraite plus tôt qu’ailleurs. Ils travaillent donc moins dans leur vie.

En France la dépense publique est énorme, davantage qu’ailleurs en proportion, pour des résultats de moindre qualité…

Tout cela a un coût et chiffrer ce coût est peut-être bêtement comptable, mais bien utile s’il faut débattre en « mettant sur la table Â» des éléments incontestables. Nier les chiffres établis procède d’une attitude de lâcheté, de démagogie, de malhonnêteté, ou, là aussi, les trois à la fois.

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Soyons aimables : les chiffres cités ci-dessus n’ont pas à être discutés, mais certains peuvent dire que c’est une manière de « bien vivre à la française Â», ce qui est une opinion, mais il ne faut pas en nier le coût. Tout est là : il existe un « négationnisme économique Â», titre d’un ouvrage de Pierre Cahuc qui connaît son sujet, qui consiste à refuser les faits. Cela relève à strictement parler de la démence si c’est involontaire, de l’escroquerie si c’est volontaire.

Face au refus des vérités comptables, nous avons des lâches ou des escrocs, chacun choisira.

RELOCALISATIONS

Voici un autre sujet à la mode, à juste titre : les « relocalisations Â» industrielles. La presse en parle, le Commissariat au Plan se réjouit et publie rapport sur rapport à propos des aides de l’Etat à la relocalisation, inspirés par la « politique industrielle Â» de ce même Etat.

Les communiqués triomphants sur le retour en France de la production de paracétamol, de meubles ou d’écrans plats évitent soigneusement la question de savoir pourquoi ces industries avaient quitté le pays. C’est une première question, d’autant que les délocalisations se font pour au moins la moitié vers des pays européens où les salaires sont plus élevés qu’en France…..

Deuxième question : qu’est-ce qui fait ou ferait que des entreprises étrangères s‘implanteraient en France plutôt qu’ailleurs ?

Ne tergiversons pas et regardons autour de nous. Des milliers d’entrepreneurs français vont entreprendre en Suisse ou dans le reste de l’Europe, chassés par la fiscalité unique et inique, hostile à la propriété et à l’entreprise, et à toute rémunération du succès. Les règles bureaucratiques existent partout mais sont plus pesantes en France car nous aimons Â« perfectionner Â» les directives européennes déjà lourdes. Enfin, l’action des syndicats soutenus par l’appareil judiciaire (je n’ose écrire par la « justice Â») ne facilite pas l’adaptation des entreprises.

Citons un confrère qui fait autorité – Vincent Beaufils -, c’est un résumé clair et net.

Revue « Challenges Â», n°720, 25 novembre 2021, page 17, à propos de la faillite de l’entreprise Bergams*, à Grigny (Essone). Cette entreprise a tenté de s’adapter en signant un Accord de Performance Collective (APC) approuvé par 57% des salariés. Mais usine en grève, blocage de la production par les minoritaires, soutien du leader national de la CGT au blocage, pas d’action de la force publique, départ des clients…

Citons la conclusion de l’article de « Challenges Â» : « Bilan : la volonté des salariés n’a pas été respectée, les décisions de justice n’ont pas été mises en Å“uvre, dix ans d’investissements industriels dans la commune la plus pauvre de France sont gâchés, et surtout 283 salariés sont au tapis. Qui a gagné ? Â»

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Sauf que le journaliste n’évoque pas la volonté des patrons de l’entreprise mais seulement celle des syndicats – un biais significatif – mais on l’excusera car la « volonté des Patrons Â» était la même que celle du personnel, tout est bien résumé.

Que nos « gouvernants Â» responsables de ce gâchis, sachent que ce type de récit va se retrouver dans la presse étrangère, notamment dans les revues spécialisées comme celle de la Chambre de Commerce Franco-Américaine ou la Handelsblatt, et que c’est cela qui fait l’image de la France.

* Elle produisait des sandwiches et salades pour la grande distribution et les compagnies aériennes.

[Sujets associés : compétitivité, déficit du commerce extérieur, pour de prochaines chroniques.]

CONTRIBUTION / RETRIBUTION

Pour une fois, un peu de philosophie économique.

Qu’est-ce qui fonde le droit pour une personne d’avoir sa place dans la société ? Aristote, ce n’est pas hier, avait déjà répondu : il existe une logique dite « commutative Â» qui relie la rétribution à une contribution. Il s’agit d’un lien direct entre ce que chacun apporte aux autres comme produits et services et la place qui lui est reconnue dans le fonctionnement de la vie économique. « De chacun selon ses capacités Â», dit-on. Les hommes se rendent des services les uns aux autres.

Précisons que la « contribution Â» peut avoir des formes très variées : produire pour vendre, mais aussi rendre des services « non-marchands Â», comme l’action des employés de l’Etat ou autres institutions publiques (si, si !) ou encore les services domestiques des mères au foyer et des grands-parents qui gardent les petits-enfants.

Le point clé est que cette contribution soit reconnue. Pour les biens et services qui se vendent, c’est facile : il y a des clients ou il n’y en pas. Pour le reste, c’est un peu plus difficile, mais le principe reste.

Exprimons-le simplement : si « tout travail mérite salaire Â», « tout salaire mérite travail Â» proportionnel. Si toute cotisation justifie une prestation, toute prestation demande une cotisation préalable. On l’oublie trop.

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Que fait-on alors de ceux qui n’ont que peu ou pas de talents ? Chacun sa place. Ce n’est pas nier la dignité des personnes que de dire que les talents et aptitudes sont inégalement répartis. Aristote l’avait bien formulé : il existe aussi une logique « distributive Â» qui consiste à donner « Ã  chacun selon ses besoins Â». C’est évidemment un pis-aller et cela ne doit pas être un principe fondant le fonctionnement de l’Economie. Les enfants ne produisent pas encore, mais sont sous la responsabilité des parents qui les ont conçus, enfin en principe. Les retraités ne produisent plus mais ont cotisé pour bénéficier de leurs pensions : tout cela relève bien du principe « distributif Â».

En revanche une société humaine durablement viable ne peut pas et ne doit pas même imaginer, supporter les bénéficiaires systématiques de revenus sans travail, de prestations sans cotisation, de prélèvements fiscaux sans contrepartie clairement équivalente qui pèsent sur les personnes qui contribuent à l’œuvre commune par leurs talents.

[Mots associés : talents, mérite, élite.]