« A vrai dire », la chronique éco de Pierre Dussol (3) : Croissance / Décroissance / Inflation

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« La perversion de la démocratie commence toujours par la fraude des mots », a dit Platon. Il avait diablement raison. Confucius aurait dit, lui aussi, que pour remettre de l’ordre dans le pays, il fallait écrire un dictionnaire définissant clairement le sens des mots. Un économiste de renom qui prétendrait aujourd’hui vulgariser la science économique en se fondant sur les critères de la « novlangue » ou du « néo-parler » pressentis par Orwell trahirait sa mission pédagogique et ne ferait qu’embrouiller les esprits.

> A voir aussi : « A vrai dire », la chronique éco de Pierre Dussol (2) : Avantage fiscal / Contrôle des prix / Gratuité

Pierre Dussol, professeur d’économie honoraire à Aix-Marseille-Université, a compris depuis belle lurette les méfaits de la torsion des mots sur la désorientation et le vide des esprits. En véritable « redresseur de tors », il a décidé de reprendre les définitions de base qui permettent de mieux décrypter les habillages et autres artifices du politiquement correct.

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Pierre Dussol est en train d’achever pour son plaisir et le nôtre un ouvrage roboratif dans lequel il se livre à un décodage de définitions économiques plus proches de la vérité que celles qu’on pilonne dans les médias pour les rendre vraisemblables. Il ajoute à la pertinence du verbe les sarcasmes de la gaîté.

> A voir aussi : « A vrai dire », la chronique éco de Pierre Dussol (1) : Acquis sociaux / Délinquance / Elites

Son livre-dictionnaire est promis à un certain retentissement car Dussol opère comme un chirurgien avec une plume-scalpel qui martyrise en souriant les vassaux de la pensée économique obligatoire.

Cette œuvre salutaire a le mérite de restituer aux mots leur sens initial sans le moindre travestissement idéologique. Pierre Dussol, professeur agrégé d’économie, a accepté d’en livrer certains extraits en exclusivité au Méridional au fil d’une chronique hebdomadaire intitulée : « A vrai dire ».

José D’Arrigo

Voici trois mots, suivant ceux de la semaine dernière. D’autres suivront régulièrement. Vos commentaires et suggestions sont évidemment les bienvenus.

CROISSANCE

Objectif désirable, presque tout le monde est d’accord. Pour certains cependant, c’est le Veau d’Or, haïssable ! Certains croient bien à tort que le Gouvernement peut la décider. La « Croissance », en Economie, est le fait que l’on produise davantage par exemple que l’année précédente. C’est le seul moyen durable que l’on ait trouvé pour que le niveau de vie augmente.

Après, c’est plus difficile. Tout n’est peut-être pas bon dans le « produire plus ». S’il y a davantage d’accidents, la « production » des carrossiers et l’activité des assureurs, voire des hôpitaux va augmenter. Est-ce un progrès ? Il y a aussi des manques dans le calcul : le travail des personnes à la maison par exemple n’est comptabilisé nulle part : elles ne sont pas payées.

Autre sujet : tout ce que font les collectivités publiques et qui est payé par l’impôt, les taxes, les cotisations sociales est comptabilisé pour son coût. Est-on certain que tous ces services améliorent le niveau et la qualité de vie ? Voyons la valeur des services rendus par l’enseignement, la police et la justice, les « aides sociales » ainsi que la « politique du logement », comparée à leur coût. Or l’Etat et les collectivités publiques nous prélèvent la moitié du « Produit Intérieur Brut », le fameux P.I.B. dont l’évolution mesure la croissance, ou la décroissance.

Parfois, l’Etat veut faire croire qu’il peut décider la croissance et on appelle cette prétention « volontarisme ». Si c’était vrai, cela se saurait. Ce que l’Etat pourrait faire de mieux serait d’enlever les obstacles à la croissance dont il est responsable : poids des dépenses publiques, complexité des lois et règlements, bureaucratie paralysante. Là, il rendrait service en libérant les forces entreprenantes présentes dans toute communauté humaine.

[Voir aussi « Relance », Volontarisme, Etat…]

DECROISSANCE

La croissance économique comporte des inconvénients bien connus : prélèvements sur des ressources non renouvelables, urbanisation d’espaces autrefois naturels, regroupement humain excessif, volume croissant de déchets à traiter… Ils sont souvent mal pris en compte pour autant qu’ils soient comptabilisables.

Certains ont même prédit qu’ils l’emporteraient sur les avantages et que la croissance s’arrêterait : souvenons-nous de la « croissance zéro » du Club de Rome. Quand c’est réellement arrivé avec les crises dites « du pétrole », personne n’était content…

Un certain nombre de mouvements dits « écologistes » se sont emparés de la question et en ont fait un mouvement politique dont le vrai but est de culpabiliser le capitalisme et de détruire la vie économique. Personne pourtant ne veut revenir à la lampe à huile, et beaucoup de chefs écologistes sont bien dotés en véhicules de grosse cylindrée. Ils veulent bien la décroissance, mais pour le bas peuple, celui qui n’habite pas le centre de Paris.

Seule la croissance s’accompagne du progrès technique qui permet de trouver des solutions, pour traiter la pollution par exemple. La décroissance, du genre « retour à la vie naturelle », sans anesthésie chez le dentiste, production de fromage de brebis sans pasteurisation, déplacements exclusivement à vélo et autres idées farfelues peut avoir des côtés sympathiques mais ne peut être un mode de fonctionnement durable.

INFLATION/POUVOIR D’ACHAT

Oui, « l’inflation », c’est l’enflure du niveau général des prix. Rien d’agréable : la hausse des prix « ronge » le pouvoir d’achat de tous les acheteurs. Voyons aujourd’hui les carburants. Le consommateur va chercher à se protéger et à compenser. Comment ? En tentant d’augmenter ses rémunérations en tant que producteur. Les salariés ont des syndicats qui « revendiquent » le « maintien du pouvoir d’achat ». C’est logique. Les non salariés feront de même dans leur coin ! L’inflation alors se propagera dans toute l’Economie, ce qui est nuisible à tous, mais inévitable car chacun agit logiquement à son niveau.

La vraie question : éliminer l’inflation. « L’inondation monétaire » est toujours présente dans l’inflation et provient de la « politique monétaire » des Etats qui ont monopolisé la monnaie : la Banque Centrale Européenne porte bien son nom. On pourrait donc commencer par ne pas alimenter l’inflation en faisant « des plans d’irrigation pendant le déluge ».

Cependant l’origine de l’inflation est toujours un phénomène de rareté locale ou globale : pendant les guerres, tout manque et les prix montent (officiellement, au marché noir, ou encore par la longueur des files d’attente) jusqu’au moment où la production retrouve son niveau normal. Les gouvernements sont tentés par des mesures de contrôle des prix : on en connaît l’inutilité et même la nocivité. Relisons la précédente chronique sur le contrôle des prix. Le gouvernement de 1988 avait su « contrôler les prix » par la concurrence ; un bon remède.

Aujourd’hui nous voyons l’évocation d’un « chèque-carburant ». Pitoyable rustine inspirée par une pensée bureaucratique. La rareté et le coût du carburant ne changeront pas. Venant d’un Etat qui taxe, retaxe et surtaxe le carburant, c’est assez stupide. Il faut ramener les taxes à un niveau raisonnable. Évidemment, le « chèque-carburant » est une astuce politique indéniable.