« A vrai dire », la chronique éco de Pierre Dussol (8) : Clivant / « Libérez Gulliver ! » / Déficit

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« La perversion de la démocratie commence toujours par la fraude des mots », a dit Platon. Il avait diablement raison. Confucius aurait dit, lui aussi, que pour remettre de l’ordre dans le pays, il fallait écrire un dictionnaire définissant clairement le sens des mots. Un économiste de renom qui prétendrait aujourd’hui vulgariser la science économique en se fondant sur les critères de la « novlangue » ou du « néo-parler » pressentis par Orwell trahirait sa mission pédagogique et ne ferait qu’embrouiller les esprits.

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Pierre Dussol, professeur d’économie honoraire à Aix-Marseille-Université, a compris depuis belle lurette les méfaits de la torsion des mots sur la désorientation et le vide des esprits. En véritable « redresseur de tors », il a décidé de reprendre les définitions de base qui permettent de mieux décrypter les habillages et autres artifices du politiquement correct.

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Pierre Dussol est en train d’achever pour son plaisir et le nôtre un ouvrage roboratif dans lequel il se livre à un décodage de définitions économiques plus proches de la vérité que celles qu’on pilonne dans les médias pour les rendre vraisemblables. Il ajoute à la pertinence du verbe les sarcasmes de la gaîté.

Son livre-dictionnaire est promis à un certain retentissement car Dussol opère comme un chirurgien avec une plume-scalpel qui martyrise en souriant les vassaux de la pensée économique obligatoire.

Cette œuvre salutaire a le mérite de restituer aux mots leur sens initial sans le moindre travestissement idéologique. Pierre Dussol, professeur agrégé d’économie, a accepté d’en livrer certains extraits en exclusivité au Méridional au fil d’une chronique hebdomadaire intitulée : « A vrai dire ».

José D’Arrigo

Voici trois mots, suivant ceux de la semaine dernière. D’autres suivront régulièrement. Vos commentaires et suggestions sont évidemment les bienvenus.

CLIVANT

A l’origine, « cliver », est un terme technique d’origine hollandaise : c’est le fait de séparer des éléments différents constituant un ensemble, comme des plaques de mica. Dire qu’un sujet, ou une personne sont « clivants » au sens figuré est devenu un tic verbal dans le sabir médiatique actuel. C’est bien plus péjoratif que le terme « diviseur », qui suffirait le plus souvent.

Les glissements du sens des mots ne sont jamais innocents. Il s’agit ici de faire croire qu’exprimer une opinion tranchée fondée sur des faits serait une faute surtout par rapport au politiquement correct, c’est à dire le corps visqueux d’idées molles et complaisantes avec tout ce qui abaisse.

Dire qu’il existe de bons et de mauvais élèves serait clivant, mais les agresseurs des enseignants ne le seraient pas. Dire que la racaille doit être punie serait « clivant ». Le fait que les voyous tirent à balles réelles sur la police, ne ferait pas d’eux des êtres « clivants ».

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Dire que l’abolition de la peine de mort n’a bénéficié qu’aux assassins serait « clivant », mais les assassins, souvent de dizaines de personnes comme au Bataclan, n’auraient aucun comportement clivant. Ainsi de suite.

La peur de nommer les choses par leur vrai nom est évidemment ridicule, mais surtout destructrice. Ne m’en veuillez pas si cet article est « clivant », mais c’est voulu. Que nos lecteurs recherchent d’autres exemples ; ils en trouveront. C’est un peu clivant, mais les meilleurs seront primés et non les autres.

Pour ceux qui ne verraient pas le lien avec la vie économique : celle-ci ne peut se dérouler normalement que dans une situation d’ordre social et politique. Avec ce refus de « cliver » on encourage le désordre et l’insécurité qui va avec.

« LIBEREZ GULLIVER ! »

En 2006, le gouvernement (Jean-François Copé, Ministre du Budget) a annoncé mettre an place un « indicateur Kafka » représentant le degré de complexité des procédures bureaucratiques. Il devait s’agir d’un fantôme car on n’en trouve plus trace. Nous retiendrons l’aveu de culpabilité et l’intention de remédier au problème.

L’affaire remonte à loin ! En 1982, sous le titre « Gulliver enchaîné », Paul Mentré publiait un ouvrage sur les multiples obstacles souvent minuscules mais infiniment nombreux qui paralysaient en France l’initiative, l’innovation, le changement, l’adaptation, donc tout ce qui fait qu’un pays progresse plutôt qu’il stagne ou régresse.

Faut-il en citer ? Les prélèvements de l’URSSAF par exemple, 22% du chiffre d’affaires pour un auto-entrepreneur des services, le RSI, l’impôt sur les sociétés qui varie trop souvent, donc les exceptions innombrables, les « si », les « mais », les « à l’exception de… » , « sauf » , « toutefois », « plafonné » qui viennent obscurcir voire annuler les effets de certaines mesures plutôt bonnes comme certaines exonérations.

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On a pu parler de « l’impôt de complexité » pour désigner la valeur du temps et de l’énergie perdus du fait de ces obstacles créés par la malveillance humaine : les responsables devraient être identifiés et punis.

Les Lilliputiens qui ont petit à petit multiplié ces empêchements le font-ils exprès ? On ne le sait pas, mais ils agissent en tout cas conformément à un état d’esprit provenant d’une idéologie haineuse à l’encontre de tout ce qui produit, entreprend, ou pire, réussit. En 1982 c’était déjà dramatique. Que dirait l’auteur maintenant ?

Il faut donc « libérer ».

Pour cela il n’est même pas utile d’invoquer le libéralisme,  certes sous-jacent, mais dont le seul nom fait peur. L’explication est simple : le libéralisme implique la responsabilité personnelle, et cela, personne n’en veut, sans souvent se l’avouer.

Soyons donc « libérateurs ». Il faut pour cela s’attaquer au catalogue des empêchements à l’activité de notre Gulliver. Simple question technique.

Il faut surtout s’attaquer à l’esprit qui sert de fondement à ces « empêchements » : l’esprit totalitaire, la haine de l’entreprise et de la réussite, la rage égalitaire qui produit la redistribution par la violence fiscale et « justifie » « l’énormité de l’estomac de la puissance publique » qui faisait faire à Voltaire « un grand signe de croix ».

Oui, c’est à ce point; or, rien n’est fait de sérieux par ce gouvernement qui avait tant promis, ni par les précédents. Les paroles ne suffisent pas.

DEFICIT (du budget)

Au mot « budget » Flaubert (1821-1880) dans le « Dictionnaire des idées reçues », écrit : « Jamais en équilibre ». Aurait-il apprécié d’avoir à ce point raison dans une France qui connaît en 2022 son quarante-huitième budget déficitaire de l’Etat depuis 1975 ?

Sans aucune honte, nos politiciens, réformateurs ou non, osent présenter chaque année un budget en déficit parfois énorme. Le Projet de Loi des finances 2022, (Assemblée Nationale, 22 Septembre 2021) prévoit que l’Etat couvre 63% de ses dépenses par des recettes et donc ait un déficit de 37% de ses charges. Pour ne pas effrayer le bon peuple, il est question d’un déficit d’environ 6% du PIB, avec le PIB 2020. Cette référence est absurde et mensongère car le PIB n’est pas le revenu de l’Etat, mais la valeur de la production de l’ensemble du pays. Sauf en Corée du Nord, le PIB n’appartient pas à l’Etat.

Hasard ? Les dépenses publiques augmentent « inexorablement » et la « crise sanitaire «  a donné un coup d’accélérateur. Elle ne dure pourtant pas depuis 48 ans ! Ceci est d’autant plus pitoyable que si les déficits avaient disparu, la crise sanitaire aurait été abordée avec des excédents fort utiles en ces périodes. Faute de réformes, pourtant promises, cela n’a pas été le cas.

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Les déficits s’expliquent-ils par de forts investissements ? Hélas non. Le déficit est en partie dû à l’incapacité de l’Etat à maîtriser  ses dépenses de fonctionnement, donc définitives et à les financer par des dettes au lieu de recettes définitives.

Les emprunts sur les marchés financiers sont à la mesure des déficits, d’autant que l’on rembourse les anciens emprunts par de nouvelles dettes.

Ainsi en 2022, l’Etat a prévu 293 milliards d’euros d’emprunts pour un déficit de 144 milliards. Ces emprunts font concurrence aux emprunts des entreprises, « pompent » une grande partie de l’épargne, et donc rendent l’investissement productif plus coûteux et difficile. L’Etat « évince » des marchés financiers les acteurs économiques privés.

Ajoutons, pour la suite, que le poids global des dépenses et des prélèvements publics est énorme, un record mondial que peu de pays nous disputent.

A suivre : le Parlement prépare et vote le budget chaque année au dernier trimestre civil. Contribuables, ne l’oubliez pas : c’est aussi un sujet de campagne électorale !