Société – Marseille : le festival de…cames

Marseille est devenue une des villes de France où le trafic de stupéfiants est poussé à son paroxysme. C’est une véritable industrie qui génère des bénéfices astronomiques et, hélas, des règlements de comptes à n’en plus finir entre bandes rivales. Comment juguler ces trafics tentaculaires qui gangrènent 150 cités de non-droit dans les Bouches-du-Rhône ? La réponse de ce policier parisien de haut vol va vous sidérer.

« Je pense qu’il faut infliger des peines dissuasives et révoquer les magistrats du syndicat de la magistrature qui refusent d’appliquer la loi en raison d’une sorte de préférence criminelle, estime-t-il. Secundo, notre ministre a déclaré la guerre aux trafiquants, nous sommes donc désormais des soldats et notre mission principale consiste à abattre les têtes de réseaux ». Cette opinion jusqu’au-boutiste risque de faire jaser. Elle illustre en tout cas l’impuissance des brigades de stupéfiants qui livrent à la justice des trafiquants qu’elles retrouvent quelques semaines plus tard à l’endroit même où elles les avaient arrêtés. Cette impuissance est aussi celle de l’Etat qui refuse de s’en prendre aux toxicomanes, probablement parce que la drogue est très répandue dans les milieux médiatiques, politiques et le show-biz et qu’il ne faut pas en faire un drame ni braquer ceux qui souvent sont à la base de votre élection.

« pas du tout, nous a-t-elle répondu, je fais mon travail en conscience en pilonnant systématiquement les divers points de deal avec l’appui des CRS ».

affirme Frédérique Camilleri

Pourtant, certains ministres, comme Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, ou sa préfète de police de Marseille Frédérique Camilleri, se sont déclarés persuadés qu’il fallait clairement s’en prendre en priorité aux toxicomanes pour une raison très simple : s’il n’y avait pas de drogués, il n’y aurait plus de trafic et la cause serait entendue.

Lors d’une soirée littéraire consacrée au « prix de l’Evêché », nous avions abordé cette jeune femme de trente neuf ans qui n’a pas froid aux yeux en lui demandant naïvement si elle ne craignait pas de se faire virer ou « Hazebroucker », c’est-à-dire muter dans le grand nord, si elle continuait à affirmer crânement que les premiers responsables des trafics sont les toxicomanes : « pas du tout, nous a-t-elle répondu, je fais mon travail en conscience en pilonnant systématiquement les divers points de deal avec l’appui des CRS ».

Certes. Mais je pense exactement le contraire. Si cette fonctionnaire de police remarquable tient à demeurer en poste, elle a plutôt intérêt à éluder ses déclarations « anti-tox » car elle ne peut pas ignorer les pratiques qui ont cours jusqu’au sommet de l’Etat. Ce n’est donc pas demain la veille qu’on pourra assécher le marché très juteux de la drogue dans notre pays. S’en remettre à la déclaration guerrière de ce policier parisien est exclu.

Peut-on songer à décréter l’état de siège dans ces cités où les trafics règnent en maître ? Réponse non. La police marseillaise n’a pas les moyens d’assiéger ces nouveaux « châteaux-forts » des temps modernes, cadenassés comme des sanctuaires avec des « choufs-douaniers » à toutes les issues. Comment positionner un équipage durant vingt quatre heures sur un point de deal quand on sait qu’on ne peut pas assurer la moindre relève, faute d’effectifs suffisants. De toutes façon, ce genre de répression serait très mal interprété par les nombreux Français qui estiment que les toxicomanes sont avant tout des « malades » et qu’il vaut mieux les « soigner » que les embastiller. D’ailleurs, les amendes forfaitaires prévues pour les dissuader ont fait « pschitt » : les forces de l’ordre en ont infligé une kyrielle dans les Bouches-du-Rhône mais le taux de recouvrement réel est dérisoire. Donc, là aussi, c’est raté.

Face à l’impuissance des pouvoirs publics, on en vient à se demander si les déclarations d’intention concernant la répression du trafic ne sont pas que de la poudre aux yeux pour masquer une réalité plus affligeante : l’Etat a perdu définitivement la partie contre les trafiquants. Il montre régulièrement ses biceps, comme Popeye, mais il n’a pas de quoi se payer des épinards…

« Les trafiquants ont tellement de moyens financiers à leur disposition qu’ils peuvent faire taire n’importe qui, n’importe quand« 

Affirme un ancien des stups à Marseille

En outre, les flots d’argent issus du trafic (jusqu’à 60 000 euros par jour dans certaines cités) permettent une méga-corruption générale. Il ne serait pas inimaginable d’apprendre un jour que certains partis politiques sont, eux aussi, alimentés par les barons de la drogue, quitte à réclamer ensuite une assurance protection.

« Les trafiquants ont tellement de moyens financiers à leur disposition qu’ils peuvent faire taire n’importe qui, n’importe quand, confie cet ancien des « Stups » à Marseille. Il n’y a aucune volonté politique réelle de traquer les caïds du trafic car leur stature financière leur permet de fréquenter les puissants de ce monde et de parler d’égal à égal avec eux. Quant aux frontières, elles sont de plus en plus poreuses et chacun sait que personne ne peut s’opposer à la culture du cannabis dans le rif marocain… »

Le résultat de cette fausse lutte et de tous ces faux semblants, c’est tout de même le pourrissement de notre jeunesse. Un ancien dealer qui a fondé une association culturelle pour s’extraire du trafic au sein de la cité du Castellas à Marseille, nous expliquait que les candidats au trafic sont légions en raison des profits gigantesques escomptés : « Moi je les connais, je leur dis : les gars, faites gaffe, dans votre
bizness, soit vous finissez entre quatre planches, soit vous finissez entre quatre murs. Mais ils ne veulent rien entendre à ce qu’ils croient être des leçons de morale. Ils me répondent :« nous, on préfère avoir une vie extraordinaire jusqu’à trente ans que de vivre comme des misérables avec 1300 euros par mois jusqu’à 75 ans… 
»

Marseille a enregistré au mois de septembre 2023 sa 110eme victime par arme à feu : ce chiffre révélé par madame Laurens, procureur de Marseille, ne se contente pas de dénombrer les 45 victimes décédées à la suite de règlements de comptes mais aussi les blessés qui en réchappent (65). Elle a évoqué également un autre chiffre éloquent : celui des 95 tentatives d’homicide liées au narcobanditisme depuis le début de l’année. N’en jetez plus : la coupe de cannabis et de cocaïne est pleine.

Conclusion : la bataille contre les trafiquants de drogue est bel et bien perdue. Par complaisance, on a laissé s’enkyster le trafic de stupéfiants et d’armes dans les cités de non-droit. Le marché s’est atomisé depuis l’ouverture des frontières dans les années 2000 : des petits caïds sont allés eux-mêmes s’approvisionner en Espagne pour monter leur propre réseau. Et les cités de la drogue sont devenues quasiment impénétrables comme le montre bien le spectaculaire film de Gimenez « Bac Nord ». Les 150 cités de la drogue sont sous contrôle mafieux. On y achète la complicité des populations souvent en situation précaire. Les concierges, les postiers, certains employés
municipaux, constituent des proies faciles pour les voyous richissimes.

Ajoutez à cette corruption la lourdeur de la procédure judiciaire (il faut trois jours d’attente, quatre rapports et douze coups de
fil pour le renouvellement d’une balise) et vous comprendrez aisément que la police et la justice sont submergées. Nous en sommes à l’ère de la sous-traitance et de l’ubérisation du trafic. L’ère de l’argent-roi et de la terreur. Quarante cinq personnes ont été abattues à Marseille par des rafales de « kalach » depuis le mois de janvier. La population locale s’en indigne périodiquement…mais rien ne change et rien ne changera, j’en suis quasiment sûr. Hélas.

José D’ARRIGO – Rédacteur en Chef du « Méridional »