Société – Un centre de réhabilitation au service des blessés de guerre du conflit au Haut-Karabagh

Depuis la déclaration tripartite du 9 novembre 2020, mettant fin à l’offensive azérie sur la région du Haut-Karabagh, l’Arménie panse toujours ses plaies. Ce conflit aura fauché l’avenir de milliers de jeunes hommes blessés au combat et continue de tuer : un regain de tensions est à déplorer dans la région. À Erevan, un centre de réhabilitation tente de leur redonner goût à la vie.

Le capitaine Merces, 27 ans, s’engage dans le hall du centre de réhabilitation d’Erevan. Malgré sa main droite paralysée, il parvient à se mouvoir seul avec son fauteuil roulant. Un plaid cache ses jambes. Il ne veut pas que l’on voie ses blessures. « J’ai été blessé par des éclats de mine de 82 mm de diamètre le 10 octobre 2022. » Le jeune homme était basé depuis 2014 à Djabraïl, un camp militaire arménien dans le Haut-Karabakh, appelé aussi Artsakh en arménien. Avec pudeur, il raconte sa guerre et rêve de pouvoir retourner servir dans l’armée. En attendant, sa priorité est de remarcher un jour. Il est pris en charge gratuitement avec plusieurs centaines d’autres blessés dans le centre de réhabilitation de la clinique universitaire n°1 à Erevan. « On ne parle pas de la guerre entre nous. Sinon, nous deviendrons fous. Mais il y a beaucoup d’entraide pour surmonter les difficultés.»

Un centre de rééducation pour le corps et l’âme

À Erevan, capitale de l’Arménie, une brume légère flotte au-dessus des rues. La lumière est blanche, intense, pure. Non loin du centre-ville, les murs gris de l’hôpital d’Erevan offrent un havre paisible, loin de la circulation. Un groupe d’hommes en uniforme militaire fument une cigarette devant l’entrée du centre de réhabilitation. Certains ont des bandages sur la tête, d’autres sont en fauteuil. Tous sont des blessés de guerre. Le 27 septembre 2020, l’Azerbaïdjan lance une offensive d’envergure contre la région autoproclamée autonome dans les années 90, l’Artsakh. Le conflit est asymétrique avec d’un côté une armée azérie combattant avec des drones et soutenue par la Turquie, et de l’autre les soldats arméniens très jeunes et sous-équipés. Il existe peu de chiffres fiables pour l’heure, mais on estime à 4000 le nombre de morts et des milliers de blessés grave côté arménien.

Environ 500 soldats blessés sont pris en charge gratuitement dans un centre de réhabilitation. Il est intégré dans un grand complexe hospitalier d’Erevan financé par des bienfaiteurs. « Nous avons des patients des trois guerres : celle de 1990, celle de 2016 et celle de 2020. Aujourd’hui, mes patients ont en moyenne tous entre 18 et 20 ans », souligne avec douceur le docteur Loussiné Poghossian, médecin en chef du centre. Âgé de 47 ans, le médecin a plus de vingt ans d’expérience dans le domaine de la rééducation, de la neurologie et de l’orthopédie. « Nous avons beaucoup de jeunes polytraumatisés ou amputés. Ils ont des blessures neurologiques profondes au niveau du cerveau ou de l’épine dorsale. Tous les cas que nous rencontrons laissent des traces dans nos cœurs, mais nous ne nous permettons pas d’être faibles. » Le docteur Poghossian sait de quoi elle parle : son fils de 26 ans est parti sur le front comme volontaire.

Une jeunesse fauchée

La salle de kinésithérapie et les couloirs de la clinique sont remplis de jeunes patients. Sur les visages meurtris, on peut y lire le traumatisme vécu. Une question se pose, brulante : comment refaire sa vie après l’avoir presque perdue ? « Notre priorité pour ces jeunes est de leur donner la motivation pour continuer à vivre et je pense que nous y parvenons », précise le docteur Lorossan. Le centre de réhabilitation apporte également une aide sociale afin que les blessés puissent se réinsérer. Ils peuvent suivre des cours de musique ou d’anglais. « Bien sûr que j’ai des projets, je suis jeune. Mais pour le moment, je souhaite juste me reconstruire. Dans ce centre, les soignants sont super : ils nous relèvent, ils nous refont marcher », souligne à voix basse Haïk, 20 ans. Une large cicatrice s’enroule le long de sa tête. Le jeune homme marche avec difficulté en s’appuyant sur une canne à trois pieds. Il souffre d’une infirmité motrice cérébrale. Mobilisé au début du confit, le jeune étudiant en droit devait finir son service militaire le 11 janvier 2021. Il a été blessé à la tête par un drone azéri à Martouni, en Artaskh. « Je n’ai vraiment pas de chance. J’ai été blessé la veille du cessez-le-feu… Je me souviens que j’étais seul quand le drone m’a pris en chasse. J’ai perdu connaissance. Je me suis réveillé huit jours plus tard à l’hôpital d’Erevan où j’ai été opéré en urgence. » Hayk a souffert d’amnésie. À l’hôpital, il n’a pas reconnu sa famille. Assis sur un gros sofa de velours, Hayk parvient à sourire, un peu timide, mais le regard franc. Pourtant, on sent une certaine fragilité, difficilement saisissable. « J’étais étudiant en deuxième année de droit à la faculté. Je ne sais pas trop ce que je vais faire : reprendre mes études ou quitter définitivement l’Arménie. » Il est inquiet, car son petit frère de 17 ans veut s’engager dans l’armée. « Je ne lui permets pas de penser à la guerre. Je souhaite vraiment la paix, qu’il ne vive pas ce que j’ai vécu. Je le protège au maximum, mais il faudra bien un jour qu’il parte faire son service militaire… »

Marie-Charlotte Noulens