Trafic de drogue : pilonnage et bidonnage

La fabuleuse résistance d’une poignée de citoyens responsables ayant décidé d’assurer eux-mêmes l’ordre public au sein de leur cité des Campanules à la Pomme à Marseille (11eme) force aujourd’hui l’admiration de tous ceux qui ont baissé les bras face à la prolifération des dealers. Ces anonymes courageux montrent non seulement l’exemple mais la voie à suivre pour mater les trafiquants : ils tiennent les murs à leur place !

Incroyable mais vrai : une centaine d’habitants demeurant à la cité des Campanules ont décidé de monter la garde tous les jours et toutes les nuits depuis le début du mois de janvier pour empêcher l’installation d’un point de deal au pied du bâtiment « H ». Ces sentinelles de la santé publique et ces veilleurs de paix se relaient sans relâche, mettant en péril leur propre bien-être, leur boulot et leur vie de famille. Ils se dressent contre les trafiquants qui vendent l’abrutissement en barrettes et la mort en sachets. 

« On a vu début janvier des jeunes encapuchés investir le hall d’entrée du bâtiment, raconte une locataire. Une quinzaine d’entre eux ont pris possession de la cage d’escalier avec arrogance, ils ont brûlé les caméras de surveillance, fracturé les portes des gaines électriques et déposé un canapé à l’entrée de la cité pour le repos de leur chouf âgé de…huit ans. Pour nous, il était hors de question de laisser le champ libre à ces empoisonneurs… » Avec un aplomb extraordinaire, cette femme s’est installée avec une chaise devant l’entrée de son bloc, munie d’une provision de café suffisante pour tenir le coup toute la nuit.

« Quand on l’a vue se tanquer en bas, seule, et subir une pluie d’insultes et d’invectives des jeunes trafiquants, on s’est agrégé à elle, poursuit un de ses voisins. Il n’était pas question pour nous de rosser ces dealers pour les dissuader de revenir, car on sait trop hélas que la justice nous déclarerait coupables à leur place. Alors on a fait de la résistance passive. Nous avons échangé nos bribes d’informations sur l’embryon de réseau mis en place. Et à notre grande stupéfaction, nous avons compris que le gérant était un Comorien demeurant dans notre immeuble ! Ils ont essayé de faire pression sur nous, de nous intimider en passant en voiture devant nous et en mimant un tir de kalach, mais nous avons tenu bon. Les policiers de la brigade anticriminalité nous ont apporté leur aide en harcelant tous les jours les jeunes dont les services ont été loués pour nous terroriser. Si vous voulez, il s’agissait d’une simple section d’assaut avant la prise du bâtiment par les trafiquants eux-mêmes… »

Ce jeune homme a recueilli toutes les informations utiles auprès du voisinage pour les rapporter à la police : « avec moi, ils ne craignaient rien, ils savaient que je respecterai leur anonymat et qu’ils ne risquaient donc pas de représailles, explique-t-il, la plupart d’entre eux sont venus ici parce qu’ils ont vécu un cauchemar identique dans des cités sinistrées comme Air-Bel ou les Rosiers. L’ennui, c’est que les policiers ne peuvent agir que sur dénonciation de témoins directs placés sous « x », c’est-à-dire en principe protégés, mais ils savent que leur nom fuitera un jour ou l’autre et ils ne veulent pas mettre en danger leur famille. C’est extravagant : la police sait tout mais elle est dans l’impossibilité d’agir parce qu’elle n’a pas les coudées franches ! »

Cette collaboration inédite entre policiers et locataires va très loin puisque certains habitants ont proposé de leur prêter les appartements les mieux placés pour qu’ils puissent à loisir  observer le déroulement du trafic et donc agir pour y mettre un terme, au moins temporaire. Car le trafic de drogue à Marseille, c’est comme le chiendent : à peine décapité, il repousse. Le plus souvent au même endroit. Les efforts de « pilonnage » de la préfète de police sont louables, mais le trafic s’intensifie et s’étend désormais à de nombreuses cités jusque là épargnées. 

En fait, les trafiquants se moquent éperdument de ce « bombardement intensif » et du harcèlement des policiers. Le « pilonnage » c’est du « bidonnage » pour masquer l’ampleur de la débandade. Les amendes infligées aux consommateurs ? Elles devaient être dissuasives. Il est vrai que les Bouches du Rhône sont le département le plus pénalisé en la matière mais seule une petite minorité des milliers de contrevenants acquittent le montant de la contravention forfaitaire (150 euros). Donc, cette procédure se perd dans les méandres administratifs et c’est un nouveau coup d’épée dans l’eau.

La résistance farouche des locataires des Campanules a incité les pouvoirs publics à une réaction immédiate : l’arrivée de huit vigiles de sécurité assermentés a été annoncée par le bailleur Erilia. Ils sont engagés « pour le temps qu’il faudra ». Les barrières cassées qui permettaient au tout venant d’entrer et de sortir de la cité vont être réparées et remises en service. Dimanche au mégaphone les habitants ont hurlé leur colère au cours d’une marche de protestation : « non aux dealers, non aux nourrices, non aux mineurs » !

Ce sont les citoyens sentinelles qui tiennent les murs aux Campanules, comme d’autres surveillent des citadelles. Ce qui est hallucinant, c’est que les deux seuls élus qui se soient déplacés pour prêter main forte aux habitants sont le maire LR du 11/12 Sylvain Souvestre et son adjoint à la sécurité René Coulet. Tous les habitants ont amèrement regretté l’absence du maire socialo-écolo-démago-opportuniste de Marseille qui semble indifférent aux misères du petit peuple et celle de son adjoint à la sécurité de la ville, d’ordinaire mieux inspiré.

Cette résistance inédite des citoyens marseillais contre les nourrices, les choufs, les charbonneurs et autres dealers aurait dû interpeller Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur. Pas un mot. Il s’est contenté de se glorifier des « bons chiffres » de ses services lors de sa récente visite à l’école de police de Nîmes. Pour lui, la lutte contre la drogue reste « la mère de toutes les batailles », prétend-il. Il sait pourtant fort bien que ce trafic tentaculaire alimente toutes les autres formes de criminalité, y compris le terrorisme.

 Y mettre un terme définitif équivaudrait à retrouver la paix publique, mais la volonté politique réelle est absente. « Même si les dealers reviennent après avoir été chassés de leur point de deal, ces quelques heures sans réseaux de stupéfiants sont des moments où la loi est rétablie », a osé affirmer le ministre devant les futurs policiers, en sachant pertinemment que ce trafic rapporte trop d’argent à trop de monde, en France et à l’étranger pour qu’on espère le faire cesser un jour. M. Darmanin se satisfait de ces « quelques heures » où les Marseillais peuvent, dit-il, « se balader dans une partie des quartiers nord en étant contrôlés par des policiers et plus par des dealers ». Merveilleux.

Le ministre a compris que le secret du bonheur, c’est de se contenter de peu. Et même de très peu. Pour ne pas dire de rien du tout !

José D’Arrigo

Rédacteur en Chef du « Méridional »