Regards sur le monde – Iles de la mer Egée : entre la Grèce et la Turquie, le conflit couve sous la cendre

Le président turc Erdogan © WKMC

La Turquie et son dirigeant Recep Tayyip Erdogan font beaucoup parler d’eux. Il faut dire que ces dernières années, le pays s’est imposé comme l’une des cartes discrètes mais incontournables de la géopolitique mondiale. Située au carrefour des continents et des cultures, la Turquie entend bien jouer un rôle prépondérant. De plus en plus susceptible, elle s’agite en ce moment aux portes de la Grèce, sur le « dossier » des îles de la mer Egée.

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La Turquie soigne son apparence de médiateur

Elle cherche à paraître digne de confiance et au même rang que les puissances européennes notamment : la Turquie d’Erdogan n’en a pas tout à fait fini avec son complexe d’infériorité, et travaille patiemment son image. En jouant les médiateurs au début du conflit russo-ukrainien ou en semblant vouloir apaiser les relations entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, le pays veut se faire une place sur la scène internationale, malgré son échec passé à l’adhésion européenne. Son récent refus d’accepter dans l’Otan la Suède et la Finlande montre aussi sa volonté de poser son veto face aux puissances occidentales.

le pays veut se faire une place sur la scène internationale

Avec la Grèce : des tensions historiques

Les tensions entre la Turquie et la Grèce sont historiques. Alliés sur le papier puisque tous deux membres de l’Otan, les deux pays n’ont pourtant jamais connu de relation au beau fixe. Emancipée de l’Empire ottoman en 1821, la Grèce se considère comme un pays résolument européen. Le XXème siècle voit les deux pays s’opposer, notamment pendant la Première Guerre mondiale (et juste après), ou encore sur l’île de Chypre à partir de 1974 (invasion turque) et jusqu’à aujourd’hui.

A l’été 2020, les tensions s’enveniment, lorsque la Turquie pénètre dans les eaux grecques pour y chercher des ressources gazières, violant la Zone économique exclusive de la Grèce et ses droits souverains. C’est aussi par provocation et volonté de montrer les dents que la Turquie viole régulièrement l’espace aérien grec.

Le conflit des îles de la mer Egée : l’étincelle qui peut enflammer la poudrière ?

Début juin 2022, Recep Tayyip Erdogan ordonne à la Grèce de cesser ce qu’il nomme une « militarisation » des îles de la mer Egée. Le président turc exprime une menace à peine voilée : « Nous avertissons une fois de plus la Grèce d’être prudente, de rester à l’écart des rêves, de la rhétorique et des actions qui la conduiront à des résultats qu’elle regrettera, comme cela s’est produit il y a un siècle. »

les deux pays s’accusent mutuellement de violation

Les deux pays s’accusent mutuellement de violation : la Turquie considère que la Grèce ne respecte pas les accords de la Conférence de Lausanne (1923) qui veut que les îles de la mer Egée restent désarmées. Mais la Grèce s’inquiète des provocations de la Turquie : « Ankara constitue une menace pour la paix et la sécurité régionale », a twitté le ministre grec des Affaires étrangères.

Devant le monde

Le monde a pour l’instant les yeux davantage braqués sur le conflit russo-ukrainien. L’Otan et l’UE n’ont que peu réagi aux tensions de ces dernières semaines. De son côté, le président français Emmanuel Macron a condamné l’attitude de la Turquie lors d’un sommet européen à Bruxelles le 31 mai dernier.

« Le Premier ministre grec a exprimé avec beaucoup de force les inquiétudes de la Grèce, les préoccupations légitimes et a condamné les propos qui ont été tenus par plusieurs officiels turcs mettant en cause la souveraineté de la Grèce sur plusieurs îles. » « Je veux ici dire le soutien de tous les Européens et en particulier de la France. » « Nul ne saurait mettre en danger la souveraineté de quelque État membre aujourd’hui et je pense que ces propos doivent être condamnés au plus vite. » La France, à l’été 2020, avait ouvertement soutenu la Grèce en envoyant des Rafale et des navires de guerre auprès des forces grecques.

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La Turquie ne pardonne pas la visite officielle du Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, aux Etats-Unis, ainsi que son intervention devant le Congrès américain le 17 mai dernier. La situation va probablement s’envenimer ces prochaines semaines, et la Grèce cherche à consolider ses alliances. Reste à savoir si les puissances occidentales auront la volonté de la soutenir si nécessaire, face à un pays aussi agressif que la Turquie.

Raphaëlle PAOLI