Les hommes ne pouvant produire eux-mêmes tout ce dont ils ont besoin pratiquent les échanges. Les habitants des villes ne cultivent pas leurs légumes ni n’élèvent leurs moutons, ils achètent aux agriculteurs. Inversement, ceux-ci ont besoin d’outils ou de vêtements fournis par l’artisanat et l’industrie. Les échanges naissent de la spécialisation. C’est très banal.
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Les zones où les échanges se sont développés le plus tôt dans l’histoire sont les îles du Pacifique Sud, il y a dix mille ans. Il est rare que l’on trouve tout dans une île surtout si elle est petite.
Le développement s’est fait à partir des besoins ressentis et les échanges ont vite atteint un niveau de perfectionnement très proche de celui que nous connaissons aujourd’hui dans nos échanges « internationaux ». Il y a ainsi des acheteurs et des vendeurs dans toutes les communautés humaines.
le développement s’est fait à partir des besoins ressentis
Le « marché » c’est l’ensemble des acteurs économiques cherchant à échanger, et le plus souvent vendre ou acheter. Des échanges « non marchands » sont aussi possibles, comme des échanges de cadeaux rituels qui « amorcent » les échanges commerciaux. Après, il est plus ou moins facile de rencontrer la « contrepartie ». Les « marchés » sont le nom qui leur est donné quand les échanges commencent à s’organiser.
Quel rôle ont les marchés dans le fonctionnement de la vie économique ?
D’abord, ils révèlent les besoins par le fait que l’équilibre « offre-demande » se fait plus ou moins facilement. Dans les économies modernes, l’usage de la monnaie permet de révéler un prix. Ce prix est d’autant plus utile à connaître que le marché est ouvert à tous ; on dit « concurrentiel ».
Les prix guident les acteurs : la tension de rareté fait le prix et incite à produire davantage s’il existe suffisamment d’entrepreneurs assez libres pour investir, embaucher et produire…
les prix guident les acheteurs
Le marché guide donc les adaptations économiques (investissements, emplois) en montrant où il faut investir. L’efficacité du marché tient aussi à ce que tous les talents peuvent offrir leurs services.
Le marché, en effet, est démocratique. Il est ouvert à tous, il est égalitaire car il offre des chances à tout le monde, c’est le lieu de l’absence totale de discrimination. Certes il faut des talents suffisants aux entrepreneurs et un pouvoir d’achat suffisant pour les acheteurs. Cependant si le talent est un critère, c’est bien normal. On voit mal que l’absence de talent soit une base de fonctionnement d’un système quel qu’il soit (même si parfois…)
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A l’inverse de ce qui est présenté ci-dessus, certains avancent l’exemple des économies collectivistes qui ne seraient pas « de marché ». Dans celles-ci pourtant il existait bien des acheteurs, des vendeurs et des magasins. Il existait des prix en monnaie. Les magasins étaient plus ou moins bien approvisionnés, et le prix officiel n’avait souvent pas grande signification : la longueur de la file d’attente était un meilleur indicateur. C’était aussi vrai pour les consommateurs que pour les industriels cherchant des matières premières ou des sous-traitants.
dès que le mot « marché » est prononcé, les idéologies s’en mêlent
L’économie soviétique, puisqu’elle était le parfait exemple, révélait ses raretés autrement que par un prix libre, mais celles-ci étaient perceptibles par les temps d’attente, et éventuellement les trafics qu’elles engendraient.
Dès que le mot « marché » est prononcé, les idéologies s’en mêlent, mais elles n’y ont pas leur place. En un sens, en effet, toutes les économies sont « de marché ». Mais plus ou moins bien organisé.
Le principe du marché et « les » marchés
Le marché étant un moyen d’organiser les échanges, on comprend qu’il existe plusieurs catégories de marchés : les biens et services, le marché du travail et les marchés des capitaux. On y retrouve cependant les mêmes principes : révélation des besoins, ouverture, adaptation, diversité et à la fin, des transactions qui satisfont les deux parties, sinon elles n’auraient pas lieu.
Tout le monde voit bien que sur le marché du travail par exemple, il existe des métiers dits « en tension ». De même quand l’épargne manque, les taux d’intérêt montent pour attirer les épargnants.
Dans les économies où le marché est le mode normal de fonctionnement des échanges – certains préfèreront parler de « régulation » – le fonctionnement n’est pas automatique et loin d’être toujours parfait. C’est un peu comme la démocratie en politique, mais en politique il y a davantage d’indulgence : personne n’ose officiellement proposer la suppression de la démocratie parce que celle-ci fonctionnerait imparfaitement.
il y a des règles de jeu à faire respecter
Il y a donc des « règles du jeu » à établir et à faire respecter pour que les marchés fonctionnent. Le législateur est qualifié pour ce rôle. Il n’y a pas de jeu possible sans règles. Cependant, les humains étant ce qu’ils sont, il existe toujours des possibilités de dérives. Les dérives favorites des marchés sont évidemment les tendances des producteurs à s’allier contre les acheteurs. Voyez l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole créée en 1960), coalition officiellement créée pour imposer aux acheteurs un prix qui convienne mieux aux vendeurs… La liste est infinie et se renouvelle sans arrêt : une proportion importante de personnes préfèrera le confort d’une entente aux contraintes de la concurrence.
C’est pour cela qu’ont été mises en place il y a longtemps des législations contre les « ententes et les positions dominantes » – certaines dites « antitrust » -, c’est aussi pour cela que la Direction de la Concurrence – ministère de l’Economie – s’assure en principe du respect des droits des consommateurs et autres acheteurs, etc.
Fait rassurant, des recherches ont montré qu’il n’était peut-être pas utile de mettre en place ces armes officielles contre les tendances des producteurs à l’entente. L’histoire montre que les ententes ne résistent pas longtemps car certains membres cessent vite de jouer le jeu des accords et « trichent » avec les accords passés. Ils baissent leurs prix pendant que les autres membres de l’entente les maintiennent et sont donc plus compétitifs. Souvenons-nous des membres de l’OPEP à qui les autres reprochaient leurs « rabais illicites » !
Finalement, les échanges sur les marchés sont un moyen de satisfaire les intérêts des uns et des autres sans que l’idéologie ou des éléments affectifs viennent perturber le jeu. Milton Friedman rappelle que pendant la chasse aux communistes américains à l’époque du maccarthysme, ceux-ci, chassés de la fonction publique, trouvaient du travail dans le secteur privé. Le marché libre les protégeait car leurs options politiques n’intervenaient pas dans le jeu économique. Si le boulanger n’a pas le même avis que vous en politique, qu’importe, pourvu que son pain soit à votre goût.
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C’est la supériorité définitive des sociétés fondées sur le marché libre : seules les capacités à rendre des services aux autres justifient la place que chacun tient dans le jeu social. Ainsi, tout homme est à l’abri de l’arbitraire politique. D’ailleurs, le premier acte des régimes totalitaires est de supprimer la liberté économique… Ne l’oublions pas ! N’oublions pas les critiques adressées aux marchés : ce sera pour une prochaine chronique.
Pierre DUSSOL
Pierre Dussol est professeur d’économie honoraire à Aix-Marseille-Université. Il a compris depuis belle lurette les méfaits de la torsion des mots sur la désorientation et le vide des esprits. En véritable « redresseur de tors », il a décidé de reprendre les définitions de base qui permettent de mieux décrypter les habillages et autres artifices du politiquement correct. Il livre son point de vue savoureux dans les colonnes du Méridional.