Insubmersible. Si l’on tentait de comparer Renaud Muselier, président du conseil de la région sud, à un de ses illustres aïeux, il faudrait aussitôt songer à son grand-père l’amiral Emile Muselier qui organisa pour le général De Gaulle les forces navales françaises libres, celles qui arborèrent fièrement pour la première fois la Croix de Lorraine. Oui, Renaud Muselier est devenu un élu insubmersible. Et voici pourquoi.
D’abord parce que Renaud Muselier, âgé de soixante-deux ans, a surmonté tous les aléas liés à une longue carrière politique. Aucun homme politique marseillais, hormis Gaudin, ne peut se targuer d’avoir été élu et réélu autant de fois que lui. En trente ans, il a été élu conseiller général RPR de Notre-Dame du Mont et de La Plaine en 1992, député de la cinquième circonscription des Bouches du Rhône à trois ou quatre reprises, premier adjoint au maire de Marseille durant treize ans, député européen en 2014, conseiller régional en 2015 puis président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur et président de l’association des régions de France en 2019…
Autant vous dire que Muselier, médecin urgentiste de formation, connait par cœur les chausse-trapes et les traquenards inhérents à la vie politique. Lui qui, à ses débuts, était un impétueux chiraquien a su au fil des ans tempérer ses élans gaullistes en raison de la fusion entre le Rassemblement pour la République (RPR) et l’Union pour la démocratie française, parti de la démocratie chrétienne fondé en 1978 par Valéry Giscard d’Estaing. Comme dans un mariage, il a bien fallu que les époux fassent des concessions et modèrent leurs empressements mutuels.
Renaud Muselier a connu aussi, maintes fois, les affres de la trahison et des complots de bas étage ourdis par les caciques du parti socialiste et…leurs alliés occasionnels. C’est ainsi qu’il s’est fait souffler la présidence de la communauté urbaine de Marseille par la Gauche grâce à la ferveur amicale de ses prétendus amis politiques en avril 2008. Pour être plus clair, Muselier s’est tellement fait taper dessus au cours de sa carrière que les mauvais coups répétés ont fini par lui tanner le cuir.
L’homme au caractère bien trempé qui donnait le sentiment de pouvoir tout balayer sur son passage est devenu un rassembleur et le chef incontesté de son camp. Mieux, Renaud Muselier est aujourd’hui un président de région unanimement respecté dans les six départements de la région sud et pas seulement à droite de l’échiquier politique. Lui ne manœuvre pas au gré des circonstances, comme un Gaudin ou un Vauzelle, il ne godille pas, il ne louvoie pas. Il affronte les difficultés. Il anticipe, il gère au mieux, il se bat, et ça se voit. La crise sanitaire a révélé dans la région sud un véritable homme d’Etat.
Muselier a renoncé aux petites phrases assassines qui valent parfois aux hommes politiques une gloire éphémère. Celle qui lui a valu le prix de l’humour politique en 2003 n’était pas piquée des hannetons. Devant un parterre d’ambassadeurs réunis au quai d’Orsay, Renaud Muselier, alors secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères, avait lancé en souriant à propos de son ministre de tutelle Dominique de Villepin : « Ici, c’est bien simple, il fait tout et moi je fais le reste… », remarque qui avait provoqué dans la salle un éclat de rire général.
La fin des « tutelles » politiques
Tutelle ? Le mot tabou est lâché. Si Renaud Muselier est considéré aujourd’hui comme insubmersible, ce n’est pas seulement parce que c’est un adepte du général vendéen de la Marine Royale François-Athanase de Charette : « combattu souvent, battu parfois, abattu jamais ». C’est aussi et surtout parce qu’il peut enfin donner libre cours à son tempérament de chef d’entreprise et de leader naturel.
Toute sa vie, Renaud Muselier a été freiné des deux pieds par des supérieurs hiérarchiques qu’il servait ou auxquels il s’était allié : Joseph Comiti, Jean-Claude Gaudin, Jacques Chirac, Dominique de Villepin, Nicolas Sarkozy, tous anciens ministres ou présidents. Son étiquette de « lieutenant » lui collait à la peau et une partie de l’électorat doutait de sa capacité à naviguer seul par gros temps.
Erreur. Grossière erreur. Le lieutenant discipliné est devenu général en chef, sans concurrent possible. Il ne parle pas pour ne rien dire. Il agit. Il montre le cap. Il tient la barre. Et tout un chacun reconnait désormais l’efficacité de son action en faveur du bien commun. La crise sanitaire a révélé depuis près de deux ans un homme d’Etat d’exception qui fait face à l’adversité et sollicite les appuis nécessaires sans prêter attention aux chamailleries politiciennes ou aux habituelles lubies de la Gauche.
Non seulement Renaud Muselier a acquis la taille patron mais nul ne peut lui contester le leadership qui est le sien aujourd’hui, hormis le Rassemblement National qu’il combat ardemment et sans la moindre ambiguïté, n’en déplaise à certains de ses amis. Et c’est précisément là qu’on peut apprécier ses talents de bâtisseur funambule.
La mosaïque majoritaire de Muselier
Muselier compte en effet huit sensibilités politiques différentes au sein de sa majorité, une vraie mosaïque allant du centre-gauche aux Républicains et il tisse et retisse sa toile en permanence pour s’épargner toute velléité de rébellion.
Muselier sait aussi fort bien que les positions actuelles du Rassemblement National sur l’insécurité et l’invasion migratoire sont exactement celles que prônait le RPR dans les années 80 et que de nombreux Républicains partagent ces convictions. Il doit se mouvoir dans un arc politique idéologiquement assez disparate où la seule et unique façon de satisfaire les uns et les autres, c’est la fin des péroraisons et la continuité de l’action.
Voilà comment la stature de Muselier a pu évoluer et prendre de l’épaisseur jusqu’à faire de lui un élément incontournable de la vie politique française. En voulez-vous une preuve ? Le samedi 20 février à 9 h 30 Muselier reçoit un appel sur son portable. Savez-vous qui est au bout du fil ? Olivier Véran, le ministre de la Santé en personne, qui ne sait plus à quel saint se vouer pour obtenir des informations fiables. Il n’essaie pas de joindre un député de la République en Marche de Nice, Toulon, Aix ou Marseille, il appelle Muselier pour lui demander son avis sur la situation sanitaire et les mesures qu’il préconise pour y faire face au mieux dans le Sud. Les conseils du Dr Renaud Muselier seront suivis à la lettre par le ministre.
Tel est le néo-pragmatisme de Renaud Muselier, une qualité qu’il a directement héritée de Gaudin, un maître en la matière. Muselier parle désormais à tout le monde, ne ferme aucune porte, et une partie des Marcheurs feront équipe avec lui sans même qu’il le leur demande. A ce propos, Muselier ne peut que se souvenir de l’affection filiale de Gaudin qui l’a étreint à maintes reprises en lui promettant à mi-voix sa succession à la mairie, jusqu’au jour où il a compris que ces bras qui semblaient l’enserrer tendrement étaient ceux d’un boa prêt à l’étouffer.
Les élus régionaux, quel que soit leur bord, ont pris conscience qu’ils disposent avec Renaud Muselier d’une vraie colonne vertébrale. Un cogneur capable de se battre à mains nues contre six karatékas à la fois lors des cours d’arts martiaux dispensés par Laurent Saïdane avenue du Prado dans les années 80 – j’en suis le témoin – et d’affronter en 1995 sur le port autonome de Marseille une escouade de dockers déchaînés de la CGT.
La seule incertitude, concernant Muselier, c’est le risque du faux-pas. Il marche en effet sur un fil tendu au-dessus des partis comme un funambule à la fois téméraire et prudent. L’utilisation harmonieuse de son balancier lui permet de diminuer l’amplitude des oscillations…à droite ou à gauche. C’est ainsi que Muselier avance pas à pas au-dessus du vide jusqu’à sa prochaine réélection en juin. Le Méridional, qui, lui, ne cache pas ses préférences, souhaite bon vent au capitaine de la région sud et l’assure de son soutien loyal pour la bonne raison que nous avons tous besoin d’un bâtisseur tel que lui : insubmersible.
José D’Arrigo – Rédacteur en chef du Méridional