Société – Lycées professionnels : promotion ou illusion? – Le témoignage édifiant d’un ancien chef d’établissement

Le lycée professionnel n’a connu aucune réforme depuis… 2000, alors qu’il était sous la tutelle de… Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué de 2000 à 2002 dans le gouvernement de Lionel Jospin, où il a laissé un souvenir positif de sa mission d’alors. Marie-France Faure, ancien professeur et chef d’établissement revient sur la situation de l’enseignement professionnel.

En tant que professeur puis chef d’établissement, je peux témoigner de l’évolution de ce type d’établissement depuis cette période jusqu’à aujourd’hui. Je veux parler en particulier d’un lycée professionnel que je connais bien, spécialisé « Automobile, transport et logistique », bénéficiant jadis du prestigieux label « lycée des métiers ». Les enseignants y étaient compétents, fortement motivés, attentifs à chacun, ne comptant pas le temps consacré à des préparations de qualité. Les élèves d’alors ont gardé estime et reconnaissance pour leurs enseignants et en témoignent à chaque occasion.

Depuis quelques années, diverses visites témoignent d’une disparition de la motivation des élèves, de leur attachement au lycée, de leur respect des enseignants qui, eux, sont toujours en poste mais complètement découragés. Il faut dire que le recrutement a connu une évolution considérable. Je passe sur les étapes qui ont progressivement admis des jeunes n’ayant pas choisi les formations proposées, sans motivation, sans projet professionnel.

Plus récemment, les effectifs sont presque exclusivement composés de jeunes classés « mineurs isolés », ne parlant pas ou peu la langue française, sachant à peine où ils ont atterri, logés aux frais de la commune, nourris par le lycée et disposant de 100 € d’argent « de poche » par semaine. Dois-je préciser qu’ils disposent de téléphones portables de modèles, qualités et prix nettement supérieurs à ceux du mien ! Toutes les personnes qui les côtoient confirment qu’ils ont dépassé la morphologie et le développement de mineurs. Comme l’enseignement proposé ne les intéresse pas, ils se contentent d’être présents. Comme certains autres élèves de l’établissement, cela ne les empêche pas de se livrer à de nombreux vols sur les véhicules neufs que les concessionnaires ont coutume de mettre à disposition de l’établissement pour permettre aux jeunes de se familiariser avec les différents modèles du marché. Des caméras filment toutes les exactions, mais rien n’est entrepris pour y remédier et surtout y mettre fin, convaincus que sont les enseignants et responsables de l’établissement que leurs démarches ne seront jamais suivies d’effet sur le plan judiciaire.

Il est certainement difficile d’accréditer cette description. Je suis aussi choquée que le lecteur de ces lignes ; originaire d’une ville industrielle où les maîtres de forges ont créé des écoles et assuré la formation des jeunes, de l’arpette à l’ingénieur, mon expérience professionnelle, déjà ancienne, certes, (Classes de Quatrième pratique du collège d’antan, Classes Préparatoires à l’Apprentissage, équipe pédagogique départementale « Elèves en difficulté », recherche et publication d’un document consacré à l’apprentissage d’une langue étrangère par des élèves en difficulté, etc.) me permet de décrire cette évolution inimaginable et de la déplorer.

Elle me permet également de relever, dans les propos entendus ce 4 mai à Saintes sur la réforme des lycées professionnels, que le Président de la République décrète la promotion de l’enseignement professionnel « cause nationale ». Il ajoute que les enseignants ne sont pas responsables des difficultés constatées, « c’est le système qui est mal fichu concernant les lycées professionnels». Je m’abstiendrai de commenter la dégradation de la qualité de la parole présidentielle.

Les objectifs sont louables : un milliard d’euros supplémentaires consacré annuellement à l’enseignement professionnel, 100 % d’insertion professionnelle visée chaque année, mieux orienter et prévoir des solutions flexibles (entre classes ?,branches ?, établissements ?), instauration d’un mentorat universel tout au long de la formation (par qui ? les enseignants dont les salaires sont augmentés comme leurs tâches obligatoires) ?, versement de 50 à 100 € par semaine de stage, durée de stage portée à 50 % du temps scolaire pour les jeunes prévoyant de travailler dès le baccalauréat obtenu (comment voir le programme du bac en entier dans ces conditions ?). Le catalogue est alléchant, non ?

Ma description nécessite un complément au sujet des stages professionnels. Les maîtres de stage, tout comme ceux qui accompagnent des apprentis, décrivent une situation amplement dégradée. Que constatons-nous depuis quelques années déjà ? L’absentéisme des jeunes qui restent à la maison alors qu’ils sont censés être en stage, le manque de respect élémentaire, sans doute jamais appris dans les familles, le vol de pièces, d’outils, d’argent – il n’y a pas de petits profits pour les stagiaires. En conséquence les maîtres de stage, connus et appréciés depuis de nombreuses années par les enseignants, déclarent qu’ils décident d’arrêter de consacrer du temps et de l’argent à la formation de stagiaires. Encore une perte pour la qualité de notre économie, une destruction de l’image si positive de la formation professionnelle sur le terrain pratique, plus concrète donc plus accessible que la formation purement théorique.

Compte tenu de toutes ces constations sur le terrain, il est permis de penser que le discours prononcé à Saintes s’ajoutera aux promesses irréalistes qui feront croire que tout va changer alors que rien ne peut changer tant que ne sont pas rétablis le respect des personnes, des locaux et des matériels, la motivation, l’engagement, la responsabilisation des jeunes. Ceux que j’évoque ne sont même plus consommateurs d’école, ils en sont les destructeurs.

Marie-France Faure