« Serre-moi la main mon collègue » : L’édito de José D’Arrigo

Le serrement de main est bien plus qu’un simple salut, c’est un vrai contact physique, un attouchement, et non pas un vague effleurement des phalanges.

 Serrer la main d’une personne, c’est entrer en relation avec elle et l’assurer d’une volonté réelle et assumée de communication. La salutation osseuse, poing contre poing, est plus que froide, elle est empreinte d’un cynisme masqué.

Le respect du code sanitaire a incité notre société à généraliser la pratique américaine du « Fist Bump » qui équivaudrait, croit-on, à une poignée de mains. C’est faux. Ce geste anodin, maintes fois répétés, poing contre poing, est davantage perçu comme un geste repoussoir que comme un signe de rapprochement.

La traditionnelle poignée de main, virile ou pas, imprime une aménité charnelle, une chaleur réciproque des paumes, un élan du cœur, une volonté de connaissance et de reconnaissance qui n’existent pas dans le contact superficiel des phalanges digitales. Notez bien qu’on reste dans le « digital », c’est-à-dire la connexion technique, celle du cerveau machinal.

Le poing serré a toujours été le symbole d’un cœur fermé. « Je te salue de la même façon que je dors : à poings fermés ». Je me soucie de toi comme d’une guigne et je consens, de loin, à te présenter un petit hommage poli. Le poing fermé, c’est le contraire d’un signe altruiste, c’est le symbole du karaté, un sport de combat qui apprend à démolir les gens d’un seul coup de poing asséné au bon endroit. C’est aussi un signe de domination banalisée et dénuée de virus hostile mais qui n’est vraiment pas engageant.

Physiquement, se taper les phalanges à la dérobée, comme des voleurs, équivaut à dire : « je m’en tape de toi, je me fous pas mal de ton salut, tu vas voir de quel bois je me chauffe !  Tiens, prends ça dans la gueule !»

Ce check superficiel des poings peut être assimilé à un mini-flirt de salon, un rituel acceptable à la fin de certains matches de baseball ou de hockey sur glace quand on s’est bien mis minable. Mais dans la société ce geste ne fait que refléter une arrogance refoulée et une forme de supériorité discrète qui annule d’emblée l’éclat d’un bonjour cordial.

Cette fausse poignée de mains ressemble à ces fausses poitrines arborées par les stars du cinéma. Elles sont destinées à attirer le chaland mais elles sont bien trop parfaites pour être vraies. Un vrai ami, un vrai proche, ne vous présentera jamais son poing. Ce serait vécu comme une insulte. Le « poing à poing », c’est une imposture esthétique et un manquement religieux. L’effleurement des jointures rappelle ces personnes qui décrivent avec leur index et leur majeur des « guillemets » pour éviter de citer leurs sources ou désamorcer l’effet prévisible de leur jugement.

Oui, le « check d’effleurement » c’est du bidon, c’est complètement bidon. Au contraire, claquer la bise, embrasser, enserrer, donner l’accolade, c’est une promesse de sympathie partagée, ce sont des prémices d’amitié, un don de soi et l’avenir printanier de futures fiançailles.

Serrer la main de l’autre, c’est l’assurer par avance d’un respect réciproque, d’une considération commune, d’une mise à égalité sans référence au grade ou à la renommée, c’est une forme de dignité qui débouche sur l’acceptation de l’autre dans son intégrité.

Le serrement de main vaut également par son inverse, lorsque vous refusez délibérément de serrer la main à une personne pour laquelle vous n’avez aucune estime. « Monsieur je ne vous salue pas ! » et vous refusez ostensiblement la main tendue. Là, c’est presque une déclaration de guerre qui ne dit pas son nom. C’est un déni spectaculaire d’entente cordiale préalable.

Il en a toujours été ainsi : tendre la main droite, depuis les Chevaliers du Moyen Age, c’est un signe de paix et de bienvenue. Les Chevaliers qui se saluaient le percevaient clairement comme le refus de tenir son arme dans la main droite pour provoquer son interlocuteur en duel. Le « poing-poing » actuel, c’est un ping-pong de bazar, un mensonge, un traquenard, le cautionnement de surface d’une imposture sanitaire.

C’est un « bonjour-bio », digne de Sandrine Rousseau, conçu comme une petite incision chirurgicale en milieu aseptisé. Un bonjour vert, glacial, métallique, ambulatoire, sans valeur ajoutée, qui entérine la déshumanisation de votre vis-à-vis avant même de lui avoir adressé la parole. Dès qu’on prend la main d’une personne, son stress diminue. Ses sentiments à votre égard s’éveillent à des horizons nouveaux, elle semble alors prête à accueillir votre discours sans songer une seconde à des boniments mercantiles.

Une bonne poignée de main, c’est déjà le début d’une aventure humaine qui puise son sens au fond des âges. Une bise, c’est un rite associatif alors que le check d’effleurement est un rite dissociatif qui semble signifier : « Je t’épargne mes germes nocifs, mais pour ce qui est de ma sympathie, attends la suite, tu ne seras pas déçu ! » Le « poing contre poing » ressemble à l’accent parisien : c’est une sorte de « toucher pointu » alors que la bise accompagnée d’un tapotement d’épaule sont des gestes d’adoubement, c’est-à-dire d’admission immédiate au plus haut grade de la Chevalerie humaine.

José D’Arrigo

Rédacteur en Chef du Méridional