Portrait de championne – Marie Wattel, la chenille devenue papillon

© Le Méridional

« Quand on passe un cap dans le très haut niveau, on se rend compte qu’il ne suffit pas de s’entraîner à nager vite. Je dirais même que ça représente 15% de la performance. » Marie Wattel, 24 ans, est de ces sportives avec laquelle on peut discuter à bâtons rompus. Ses yeux lumineux et un brin pensifs nous regardent avec un peu d’amusement. Au sortir de son entraînement du matin, nous échangeons avec l’une des plus brillantes nageuses françaises. Depuis plusieurs mois maintenant, elle s’entraîne au prestigieux Cercle des Nageurs de Marseille.

Née dans une famille de trois enfants, Marie est très jeune embarquée dans le monde du sport, mais à travers une pratique de loisirs : « Je n’étais pas dans une famille de sportifs de haut niveau, encore moins dans une famille de nageurs », sourit-elle. Mais quand ses parents s’expatrient pour deux ans à l’île Maurice (Marie a alors six ans), elle découvre l’univers de l’eau et des piscines. Une fois rentrée, c’est donc assez naturellement qu’elle demande une inscription en club de natation. « Je pratiquais des sports très différents, comme le foot ou le tennis, mais dans l’eau, j’étais différente. Je ne me contentais pas de jouer ; très jeune, j’ai eu envie de voir ce que je valais en compétition. »

Dans le bain très jeune

En natation, il faut dire que le haut niveau demande un entraînement sérieux dès l’enfance. « J’étais dans un club où il y avait une culture de la performance. A l’époque, je m’entraînais deux à trois fois par semaine déjà. » Elle gagne sa première compétition de 25 mètres de dos, 25 mètres de crawl. « Chaque année, on s’impliquait un peu plus dans le sport. C’est comme ça que c’est monté crescendo ».

« dans l’eau, j’étais différente »

Crescendo, au point qu’en classe de Troisième, Marie est passée à huit entraînements par semaine. Les premiers championnats de France, de 2010, sont derrière elle. En 2012, elle participe à ses premiers championnats de France élite et côtoie l’équipe de France des Jeux olympiques, particulièrement exceptionnelle cette année-là. « Quand tu vois tous les meilleurs, tu as envie d’en faire partie. »

La découverte du Sud

Après les Jeux olympiques, Marie part au club de Nice (avec son très performant entraîneur Fabrice Pellerin), qui avait gagné neuf médailles aux jeux de Londres, pour « passer un cap » : c’est sa première expérience dans le Sud. Elle intègre d’abord le groupe Espoir. C’est l’année où elle se qualifie pour les championnats du monde seniors : « A ce moment-là, je change vraiment de dimension », nous avoue-t-elle.

le déclic joue quand marie traverse la manche

Passer en groupe Elite se révèle difficile pour la jeune adolescente qu’elle est encore : « Je n’étais pas vraiment prête pour autant d’efforts, pour repousser mes limites chaque jour. Je faisais ce qu’on me demandait de faire mais je n’avais pas cette démarche du haut niveau. » Marie s’en rend bien compte a posteriori. Elle s’entraînait alors avec Camille Muffat, championne olympique [triple médaillée des jeux de Londres – décédée dans un accident d’hélicoptère en 2015, ndlr]. « Quand on faisait la même chose, il y avait un monde entre nous ! »

Le saut de l’Angleterre

Le déclic joue après les jeux de Rio de 2016, quand Marie traverse la Manche. C’est l’Angleterre qui lui tend la main. Notre athlète n’avait pas performé comme attendu à Rio. « Quand je suis arrivée en Angleterre, le coach m’a demandé : « Qu’est-ce que tu as envie de faire ? Quels sont tes objectifs ? » Pour la première fois, je prenais ma vie en main. Ça m’a fait comprendre la préparation. » Toute une équipe (nutritionniste, physiologiste etc.) est aussi là pour l’épauler.

Qu’est-ce que cela fait de partir de son pays, loin des siens, quand on est sportive de haut niveau ? « J’ai quitté mes parents à 15 ans, donc j’ai très jeune été livrée à moi-même, souligne la nageuse. En Angleterre, le plus dur a été le changement de culture : apprendre la langue, les habitudes… cela m’a beaucoup fait progresser mentalement. Sans cette étape, je n’en serais sans doute pas là aujourd’hui. »

« je sentais que j’étais un peu à contre-courant »

A l’époque encore, il n’était pas courant – voire, mal vu – pour des sportifs de haut niveau, de s’exiler. Quelques-uns étaient déjà partis pour les Etats-Unis. Un certain nombre de professionnels critiquent cet éloignement de Marie Wattel ; parfois aussi, la « laissent tomber financièrement », note la nageuse avec un peu d’amertume. « Je sentais que j’étais un peu à contre-courant. » La tendance se démocratise davantage aujourd’hui. Léon Marchand par exemple, l’un des meilleurs nageurs de l’équipe de France, vient de partir aux Etats-Unis. « La Fédération commence à comprendre que cela peut aider certains sportifs », résume notre interlocutrice.

Depuis la France, on surveille tout de même les performances de Marie Wattel. On lui fait même comprendre qu’un retour serait bienvenu. « Mais je savais que j’y serais jusqu’à la fin de mes études de management du sport. »

Une jeune fille comme les autres… et un entraînement à 5h30 du matin

En France, note Marie, cela reste compliqué d’étudier comme une personne « normale » : « Quand on est sportif de haut niveau, on est hors du système, car tout est adapté. Moi, j’avais envie d’être une fille lambda, comme dans le monde anglo-saxon. Ce n’est pas une mauvaise intention, mais je pense qu’en France, on est un peu materné. »

« je pense qu’en france, on est un peu materné »

A l’université de Loughborough, la jeune fille a envie de rencontrer des gens venant d’autres mondes, sans « penser natation 24h/24. » Elle fait des choix en conséquence… en s’entraînant à 5h30 du matin ! Une vie compliquée, mais choisie : « Beaucoup de stress mais des efforts productifs », nous confirme Marie. Elle poursuit les étapes : championnats de France, championnats universitaires, compétitions internationales…

« Last one, fast one »

Lorsque le confinement surprend l’Angleterre, puis la France, elle fait le choix de rentrer chez ses parents. « Ce temps de pause forcée m’a fait énormément de bien au niveau mental ; j’ai pu faire une pause sans culpabiliser, j’en avais un besoin urgent. » En septembre 2020, elle retourne en Angleterre, regonflée à bloc : « J’étais à 100% pour ma dernière année. Et comme on dit là-bas, « last one, fast one » ! »

« j’étais à 100% pour ma dernière année en Angleterre »

La nageuse ne s’imaginait pas, de toute façon, poursuivre son entraînement à Loughborough en n’étant plus étudiante. En parallèle, après le confinement, elle était venue un peu à Marseille pour voir si le club et la ville allaient lui plaire et rencontrer son coach. « J’ai su que je voulais m’entraîner à Marseille après les JO de Tokyo », conclut Marie.

Les performances s’enchaînent : elle devient championne d’Europe du 100 mètres papillon en mai 2021. Aux championnats de France de la fin juin, elle décroche trois titres. Aux JO de Tokyo, elle finit 6ème du 100 mètres papillon. Dans la foulée, elle obtient le record de France.

aux JO de Tokyo, elle finit 6ème du 100 mètres papillon

Les JO de Paris en ligne de mire

« Cela avait bien sûr du sens pour moi de m’entraîner en France pour les Jeux de Paris, observe notre interlocutrice. Je suis très bien à Marseille. Il y a une bonne ambiance, beaucoup de garçons dans l’équipe aussi, ce qui me pousse à élever mon niveau ! »

Celle qui a appris que la natation est un sport d’entraide, qui est amie avec pas mal de champions olympiques qui l’inspirent et l’encouragent à se construire, possède sans doute les mêmes qualités qu’elle tient à souligner chez eux : la simplicité, l’humilité. Marie Wattel, au Cercle, se prépare sereinement pour les JO. « Je sais pourquoi je m’entraîne… », nous lance-t-elle.

Jeanne RIVIERE