Mémoire – Alfred Jassaud, itinéraire d’un résistant marseillais mort pour la France à 24 ans

© Coll. Philippe Jassaud DR

Il aurait pu choisir de mener une vie normale en attendant la fin de la guerre. Refuser le danger et l’ombre de la mort. Il a choisi le risque en sachant pertinemment dans quelle aventure il s’engageait. Marseille peut être fier d’avoir vu naître un jeune homme comme Alfred Victor Jassaud. A l’occasion des célébrations du 8 mai 1945 et avec le concours des archives du Souvenir français des Bouches-du-Rhône, Le Méridional a voulu rendre hommage à une belle figure marseillaise de la Résistance.

La jeunesse

Alfred Jassaud naît le 30 janvier 1920, au sein d’une famille de la bourgeoisie marseillaise. Son père est un ancien cuisinier des fusiliers marins. Le jeune garçon est scout (chez les « Cœurs vaillants ») et il s’intéresse très jeune à l’histoire de France. Plus tard, il sera passionné de littérature, de théâtre et de poésie… au point de faire publier, à 17 ans, ses premiers textes dans le journal « Les Echos » ! Il était sans doute de la pâte des grands journalistes. Il obtient son baccalauréat à Marseille.

il est affecté à un régiment en algérie

Mais vient le moment où la guerre est déclarée entre l’Allemagne et la France. Engagé dans l’armée de l’air, Alfred Jassaud est affecté à un régiment de Méharis, en Algérie, jusqu’à l’automne 1942. Démobilisé à Toulouse, il rencontre le capitaine d’aviation Crémieux alias « Alligator », lié au réseau de renseignements militaires « Alliance ». C’est par ce dernier que le jeune homme rejoint l’organisation.

Des soldats français retranchés derrière une barricade à Paris, en 1940 © WKMC

Un « Bison » marseillais à Paris

Une fois validée son entrée dans ce qu’on appellera « l’armée des ombres », Alfred Jassaud a encore beaucoup à apprendre. En octobre 1942, il rallie la capitale pour rencontrer le chef de la zone de Paris. C’est là qu’il est formé à la reconnaissance précise de tous les uniformes, grades, unités de l’armée allemande. Notre Marseillais, baptisé « Bison » de son nom de code et « Robert Darsac » sur ses faux papiers, est d’abord chargé de missions de repérage autour de différentes casernes de la capitale.

il forme lui-même des agents

Repéré pour ses capacités, son champ d’action s’élargit : il commence à former lui-même des agents et à voyager dans toute la France, transportant aussi du matériel radio et des documents. C’est ainsi qu’il devient principal agent de renseignements de la région Normandie. Il rapporte de ses missions de multiples informations sur les unités, les fortifications, terrains d’aviation, et systèmes de défense des plages tenues par les Allemands. Renseignements ô combien précieux en ce temps où l’issue de la guerre reste incertaine !

L’arrestation et l’emprisonnement

En août 1943, Alfred Jassaud s’installe à Paris, tout en faisant de nombreux allers-retours à Lille. C’est en septembre 1943, au retour d’une mission, qu’il est arrêté : les services de contre-espionnage allemands ont réussi à infiltrer le bureau principal. La police allemande a tôt fait de découvrir sa fausse carte, mais ne parvient pas à établir sa véritable identité.

C’est donc sous le nom de Robert Darsac qu’Alfred Jassaud est déporté depuis Compiègne par convoi, le 16 septembre 1943. Direction : l’Allemagne. Il est incarcéré dans plusieurs prisons allemandes, avant d’être officiellement « condamné à mort pour espionnage au service d’une puissance ennemie », le 9 juin 1944, soit quelques jours après le débarquement des Alliés sur les plages normandes.

c’est sous le nom de robert darsac qu’il est déporté

Le 18 août, le directeur de la prison fait le tour des cellules pour prévenir les détenus qu’ils vont être transférés dans la nuit du 20 au 21 août et que leurs affaires personnelles doivent rester sur place… Jassaud, comme ses 23 compagnons de prison, remplit une étiquette pour les faire parvenir à leurs proches. Tous savent à présent que la mort approche.

Les troupes alliées débarquant sur les plages normandes en juin 1944 © WKMC

Le 21 août à l’aube, ils sont conduits en camionnette par groupes de huit, à la caserne Schlieffen, à Heilbronn (Bade-Wurtemberg). Les condamnés à mort peuvent recevoir l’assistance d’un prêtre, mais ils refusent qu’on leur bande les yeux : ils verront la mort en face. Selon les témoignages, Alfred Jassaud, comme beaucoup de ses compagnons, aura le temps, avant d’être fusillé, de crier « Vive la France ! » Leur dernier vœu est d’être enterrés en terre française : le réseau Alliance s’en charge en 1947. Alfred Jassaud repose aujourd’hui au carré 8 du cimetière de Marseille. Sa tombe porte la mention « Mort pour la France » et « Mort en déportation ».

La mémoire du Résistant

Sa mémoire, comme celles de nombreux autres hommes et femmes morts pour la France, continue d’être transmise, notamment par le Souvenir français des Bouches-du-Rhône. La mère d’Alfred n’a jamais voulu croire que son fils était mort. Philippe Jassaud, neveu d’Alfred, se souvient que sa grand-mère le faisait prier tous les soirs pour un retour qu’elle attendait toujours… Il a d’ailleurs écrit un livre intitulé « La victoire, c’est le sacrifice », l’une des phrases favorites de son jeune oncle disparu à 24 ans. Ce dernier a laissé à sa famille cinq « carnets de bord » (écrits entre ses 17 et 22 ans), où il livre ses réflexions intimes et son regard sur le monde.

la mère d’alfred n’a jamais voulu croire que son fils était mort

« Je n’en peux plus. Je suis à l’étroit. J’en ai assez de mener cette vie d’imbécile. Je suis foutu si je continue à vivre normalement. Il me faut du danger, la vie dure, âpre, difficile, la souffrance, vivre sauvagement pour un Idéal : Dieu – La France », écrivait-il. Des phrases qui sonnent encore aujourd’hui comme l’expression d’un idéal de jeunesse : une jeunesse refusant de « se contenter » d’une vie facile.

Le Méridional, avec le concours de Bernard Criscuolo (président délégué honoraire du Souvenir français des Bouches-du-Rhône)