Rien d’étonnant à ce que l’on parle périodiquement du « pouvoir d’achat ». Le but de l’activité économique étant bien que les besoins de la population puissent être satisfaits grâce à l’activité productive de la partie active de cette même population. Simple arithmétique : si les prix augmentent davantage que les revenus, disons +5% face à +3%, le pouvoir d’achat d’un même revenu diminue de 2% et ainsi de suite.
Petite nuance : tous les prix ne varient pas au même taux. Certains prix baissent : biens industriels ménagers, matériels informatiques, téléphones portables etc. Les acheteurs bénéficient d’une hausse relative de leur pouvoir d’achat et ne viennent pas dire merci. D’autres prix montent, comme ceux des carburants, ou des produits alimentaires en ce moment. Tout le monde n’est donc pas « exposé » de la même façon.
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A la fin, il est question « d’inflation » quand la moyenne des prix à la consommation augmente et l’atteinte au pouvoir d’achat a lieu quand les prix augmentent davantage que les revenus.
Les revenus non plus n’évoluent pas de la même façon : certains actifs, salariés ou non, se protègent mieux, par leur talent individuel ou leur capacité revendicative par exemple. Les titulaires de pensions de retraite, ou les bénéficiaires d’aides sociales ont peut-être moins de capacités de résistance. Que dire des épargnants si les taux d’intérêt sont fixes ? De plus, la monnaie dans laquelle ils sont remboursés se sera dépréciée sauf indexation.
tous les prix ne varient pas au même taux
Remarquons d‘ailleurs que les endettés y gagnent de ce fait. Qui sont les agents les plus endettés ? Les collectivités publiques. On n’ose imaginer que l’Etat en France, endetté au-delà des limites admissibles, voie d’un bon œil la montée de l’inflation.
Et pourtant…
Le rapport « avantage-inconvénient » de l’inflation est finalement négatif, mais il serait faux de ne pas dire qu’il existe certains avantages : l’allègement des dettes en est un pour les endettés, mais on le paye du découragement des épargnants-investisseurs, ce qui à long terme nuit à la croissance et à l’emploi. Ce prix à payer est extrêmement lourd bien que souvent mal perçu.
La comparaison entre l’évolution de l’économie en France et en Allemagne depuis la Seconde Guerre mondiale est très éclairante. L’Allemagne a eu une croissance quasi sans inflation et la France, au contraire, s’est « dopée » à l’inflation, sans pour autant progresser davantage. En revanche les dommages ont été ceux que l’on pouvait attendre… Dans un tel contexte, le climat se tend à propos de la « répartition des revenus », et cela ajoute le conflit « social » au malaise économique.
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Un chiffre : en 1960 est institué le « Nouveau franc ». Le Deutsche mark valait un franc. A la création de l’euro en 1999, le DM valait 3,29FF. Cela reflète l’écart d’inflation et la perte de notre compétitivité. Au passage, pour un Allemand qui investit en France, le pouvoir d’achat de sa monnaie exprimé en franc a triplé ! Qu’en est-il du pouvoir d’achat des Allemands aujourd’hui ? Comparez ! Le PIB par tête en Allemagne est de 15% supérieur au nôtre.
Comme pour beaucoup de sujets économiques, les mauvaises réponses abondent… La pire est de continuer les inondations monétaires. L’inflation, c’est « trop de monnaie chassant après trop peu de biens ». Or la monnaie, à tort ou à raison, est produite par un monopole de plusieurs Etats, la Banque centrale européenne. Pour certains farceurs, ce serait une politique « ultra libérale ». Elle est surtout source d’inflation.
Il existe ensuite des « primes », des baisses temporaires de taxes sur les carburants, le temps des élections, des allègements divers de cotisations, des revenus exceptionnels accordés par les pouvoirs publics… Rions un peu – jaune – les propositions des candidats aux élections présidentielles 2022 se limitaient à ce type de mesurettes démagogiques et de très court terme.
Ces dispositifs ont en commun de ne pas toucher à l’essentiel : les empêchements à produire qui accablent l’économie française. Il est souvent prétendu que les gouvernements depuis 2013 auraient allégé la fiscalité et aidé davantage les entreprises.
D’abord, le point de départ est une fiscalité exceptionnellement lourde. Il est donc facile de l’alléger un tant soit peu et d’afficher les allègements comme des aides significatives.
Ensuite, c’est surtout de la communication : les impôts dits « de production », frappant les entreprises avant qu’elles aient produit, sont les plus lourds d’Europe. Il s’agit des taxes sur les salaires, du versement transport, du forfait social, des taxes sur le foncier bâti de la « Contribution foncière des entreprises »… Ces prélèvements, avant tout bénéfice, dépassaient en France 100 milliards d’euros en 2018, et représentaient autant que dans les 23 principales économies européennes réunies. De petits allègements ne suffisent pas !
si l’impôt sur les fortunes est mauvais, il faut en supprimer jusqu’à l’idée même
Les récents gouvernements se sont glorifiés d’avoir réduit aussi l’impôt sur les bénéfices des sociétés et d’avoir enlevé de l’assiette de l’impôt sur la fortune, les biens professionnels. Certes, tout allègement est bon à prendre et on peut ainsi acheter temporairement des électeurs. Cependant, finalement, on ne touche pas à l’esprit des prélèvements et cela se voit.
Si l’impôt sur les « fortunes » est mauvais, il faut en supprimer jusqu’à l’idée même. C’est la même chose pour l’impôt sur les bénéfices. Il est payé finalement par les acheteurs qui évidemment ne sont pas tous experts comptables et ne s’en rendent pas compte.
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Passons aux coûts d’embauche comparés au rapport de l’emploi de salariés : il est notablement plus faible en France qu’ailleurs sur le simple plan comptable et ne parlons pas de l’esprit « anti-patrons » qui anime toute la législation. Les salariés ne sont même pas gagnants en plus. Est-ce dû au « social » ? Les dépenses dites sociales par habitant sont du même ordre en France et en Allemagne, et moindres qu’aux Pays-Bas. Pourtant, la satisfaction et surtout le coût ne sont pas les mêmes.
Il faut donc revenir avec détermination sur tous ces mécanismes « fiscaux et sociaux » qui tuent littéralement la compétitivité des producteurs français. A terme, c’est l’intérêt de tous, sauf des parasites qui en vivent, naturellement.
La France est un pays potentiellement très riche de ses ingénieurs, entrepreneurs, techniciens ; – liste non exhaustive – quel gâchis que de pas les laisser épanouir leurs talents ! La bataille du pouvoir d’achat se gagnera en produisant. Fallait-il tant d’écrits économiques et de colloques savants pour découvrir cette évidence ?
Pierre DUSSOL
Pierre Dussol est professeur d’économie honoraire à Aix-Marseille-Université. Il a compris depuis belle lurette les méfaits de la torsion des mots sur la désorientation et le vide des esprits. En véritable « redresseur de tors », il a décidé de reprendre les définitions de base qui permettent de mieux décrypter les habillages et autres artifices du politiquement correct. Il livre son point de vue savoureux dans les colonnes du Méridional.