Alain Bogé est spécialisé en Géopolitique, Relations Internationales et Commerce International. Il a notamment donné des cours à l’université de Lyon 3, à Lille et en Inde. Il enseigne actuellement à l’université de Prague et à l’European Business School de Paris.
La stratégie russe actuelle résulte bien entendu des épisodes des décennies précédentes. Mais il faut aussi prendre en compte la personnalité du président russe Vladimir Poutine. Ce dernier entend incarner celui qui restaurera l’image de la Grande Russie.
Dans la nuit du 9 novembre 1989, le mur de Berlin, symbole de la guerre froide, est abattu. Vladimir Poutine, colonel du KGB est alors en poste à Dresde, en République Démocratique Allemande. Il assiste à la « plus grande catastrophe du XXème siècle », comme il le dira par la suite. Il considère que la destruction du mur et de l’URSS comme une humiliation, un affront à effacer par tous les moyens. Depuis cette date, il semble qu’il ait un esprit de revanche très prononcé. Il le laisse entendre dans ses récents discours, celui du 21 février notamment, fondamental si on veut tenter de comprendre la pensée poutinienne. Il ne s’agir pas, à proprement parler, de la reconstitution de l’Empire impérial russe (quoique l’aigle bicéphale des Romanov apparaisse sur le drapeau russe lors du discours en question). C’est plutôt à une tentative de restauration de la grandeur russe, historique et « civilisationnelle ».
Créer un monde post-occidental
Le président russe considère que l’Occident est en décadence, en déclin et faible. Il s’est fait l’apôtre de la force. Il considère que le Droit est l’arme des faibles. Il ne comprend que le rapport de force et il méprise la civilisation occidentale et son « laisser-faire ». Selon Poutine, les Etats-Unis sont faibles et l’assaut contre le Capitole et le désastre afghan en sont les preuves. Au contraire, la Russie doit montrer une image de force, donc un culte du chef, l’apanage des régimes autoritaires.
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Historiquement, la Russie a toujours été dirigée par un régime autoritaire : sous les tsars et pendant la période de l’URSS. Poutine ne supporte pas qu’il y ait des velléités de démocratie dans son « étranger proche ». C’est l’une des raisons de son intervention en Ukraine.
Restaurer l’image de la Grande Russie
Incontestablement, la Russie est revenue dans le concert des nations. Vladimir Poutine traite d’égal à égal avec le président des Etats-Unis et le président actuel de l’Union européenne. Il dicte son agenda et le rapport de force est en sa faveur.
Par ailleurs, la présence de la Russie en Méditerranée, en Afrique (via l’armée privée Wagner) et l’alliance de circonstances avec la Chine confortent que la Russie est « de retour ».
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La volonté d’affirmer les zones-tampons (« buffer zones ») pour des pseudo-risques d’attaque de l’OTAN participe également de cet expansionnisme déguisé. Le besoin de sécurité est un alibi pour annexer des pays limitrophes et ex-membres de l’URSS. La Biélorussie et l’Ukraine doivent « rentrer à la maison ». Ce n’est pas une coïncidence : tout est lié.
Reprendre l’histoire de la Russie éternelle
La « Rus’de Kiev » (1015-1113) est un Etat qui a existé sur le territoire de l’actuelle Ukraine et est considéré comme le foyer originel de ce qui deviendra le grand-duché de Moscovie et ensuite la Russie (« Rossïïa »), reprenant le mot grec de Rus’.
la russie considère que l’ukraine doit « rentrer à la maison »
Le 1er décembre 1991, l’Ukraine organise un référendum sur son indépendance. Le « oui » l’emporte à 80 %. Pour la Russie de l’époque, c’est une perte d’un symbole politique et mémoriel. L’Ukraine devient un pays indépendant, avec des frontières, des institutions, un siège à l’ONU, une culture et une langue propres (que le pays a d’ailleurs toujours eues). C’est donc un pays souverain, pour lequel les lois internationales s’appliquent et où il ne peut y avoir d’ingérence. Ce principe a été bafoué par Vladimir Poutine au nom de la « realpolitik » et du droit du plus fort.
Inventer un nouvel ordre mondial ?
C’est une supposition. Fort de son autorité et de son audience nouvelle, Vladimir Poutine peut se considérer comme un acteur mondial majeur (ce qu’il est ponctuellement). De ce fait, et en raison des sanctions financières, il tente un rapprochement avec la Chine qui peut s’avérer périlleux.
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Nous sommes certes en présence de deux dirigeants pragmatiques, mais de culture différente. De plus, lors du vote de la résolution de l’ONU contre la Russie la semaine dernière, la Chine s’est abstenue. Il ne faut pas oublier que l’Union européenne représente le premier client de la Chine (devant les Etats-Unis) et que tout désordre en Europe pourrait nuire à l’économie chinoise. Un nouvel ordre mondial sur un axe Russie-Chine peut donc paraître prématuré pour le moment. Pour le moment.