Focus sur… – Kaliningrad, exclave en Europe et pivot stratégique pour la Russie

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Alain Bogé est spécialisé en Géopolitique, Relations Internationales et Commerce International. Il a notamment donné des cours à l’université de Lyon 3, à Lille et en Inde. Il enseigne actuellement à l’université de Prague et à l’European Business School de Paris.

La zone de la mer Baltique, sans être une zone-tampon (buffer zone), fait partie de l’ »étranger proche » de la Russie, a fortiori avec l’existence de l’exclave russe de Kaliningrad et la « menace » de pays membres de l’OTAN (pays baltes, Pologne, Allemagne, Danemark) et de pays « neutres » (Suède, Finlande), mais ayant des velléités de rejoindre l’alliance atlantique. La Norvège (membre de l’OTAN) est plus axée sur l’Arctique (autre zone stratégique importante). Par ailleurs, la mer Baltique a un intérêt économique non négligeable pour la Russie (gazoduc Nord Stream 1 et 2).

Alors que la guerre a commencé en Ukraine, ce focus sur l’exclave russe éclaire sur la présence et l’influence du géant dans la région.

Entre la Pologne et la Lituanie, l’exclave et district (« oblast » en russe) de Kaliningrad s’étend sur 15 100 km2 avec une population d’environ 500 000 habitants. Kaliningrad représente la deuxième « fenêtre russe » sur l’Europe après Saint-Pétersbourg et Kronstadt, mais surtout, se trouve au cœur du nord de l’Union européenne et du dispositif nord de l’OTAN. L’ »oblast » fait l’objet d’une remilitarisation croissante qui alimente les pressions sur les pays baltes et l’alliance atlantique. Kaliningrad revêt une importance stratégique car il permet un accès de la flotte russe à l’océan Atlantique, via les détroits danois du Skagerrak et du Karregat.                                                               

L’histoire de cette présence russe en Europe

Kaliningrad se trouve sur le site de l’ancienne Königsberg, fondée en 1255 par les Chevaliers teutoniques autour d’un château devant les protéger contre les Prussiens qui entouraient le site. Ce sera le point de départ du « Drang nach Osten », le mouvement de colonisation-christianisation mené par les Allemands en Europe centrale et orientale. Königsberg deviendra ensuite la capitale du duché de Prusse.

Kaliningrad représente une fenêtre russe sur l’Europe

La ville deviendra vice-capitale du royaume de Prusse avec Berlin. Et fera partie de l’Empire allemand en 1871. Les accords de Yalta (février 1945) et de Potsdam (juillet-août 1945) attribuent le nord de la Prusse orientale allemande, avec Königsberg, aux Russes, le sud revenant à la Pologne. Staline avait demandé (exigé ?) ce territoire en contrepartie des destructions et des pertes humaines subies par les Soviétiques pendant la guerre. Il comprend bien l’intérêt stratégique considérable du territoire. L’URSS accède aux ports de Pillau (rebaptisé « Baltiisk ») et Königsberg qui devient « Kaliningrad » en l’honneur du président du Præsidium du Soviet suprême et membre du Comité central du Parti de l’époque, Mikhaïl Kalinine. Intérêt supplémentaire : ces deux ports sont libres de glace toute l’année.

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Les intérêts stratégiques de cette exclave

La situation géographique de Kaliningrad est exceptionnelle pour les Russes et peut représenter l’ambivalence constante de la Russie, tournée à la fois vers l’ouest et vers l’est, à l’image de l’aigle bicéphale que l’on retrouve de plus en plus aujourd’hui sur le drapeau russe à trois bandes horizontales, blanc, bleu, rouge (V. Poutine l’avait derrière lui lors de son discours solennel du 21 février).

Comme au temps de la guerre froide…

L’oblast devient le lieu où Russes et Occidentaux sont face à face, comme au temps de la guerre froide. Kaliningrad se trouve à 350 km de Vilnius (Lituanie), 390 km de Riga (Lettonie), 400 km de Varsovie, 600 km de Berlin et 700 km de Tallinn (Estonie).

le lieu où russes et occidentaux sont face à face

Tous ces pays sont membres de l’Union européenne et de l’OTAN et sont à portée de missiles, en particulier Iskander M (SS 26) à capacité nucléaire. Car Kaliningrad est surtout une base militaire russe avec troupes au sol, aviation et marine, constituée, selon les statistiques, de 15 000 à 25 000 soldats, marins et aviateurs. La base navale de Baltiisk abrite le quartier général de la flotte de la Baltique, une des cinq flottes de la marine russe.

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Kaliningrad constitue donc un pivot stratégique permettant à Moscou de peser sur l’évolution stratégique dans la région. Reste aussi une sorte de paranoïa russe concernant l’ « avancée rampante » d’un Occident visant à marginaliser la Russie.