Alain Bogé est spécialisé en Géopolitique, Relations Internationales et Commerce International. Il a notamment donné des cours à l’université de Lyon 3, à Lille et en Inde. Il enseigne actuellement à l’université de Prague et à l’European Business School de Paris.
> Retrouvez le premier et le deuxième épisodes de notre dossier « Panorama des ambitions russes en Méditerranée »
La Russie est présente dans le conflit libyen et apporte un soutien au maréchal Khalifa Haftar, commandant de l’Armée nationale libyenne (ANL) et opposé au gouvernement provisoire de Tripoli. Cette présence russe est principalement le fait des Sociétés militaires privées (SMP), notamment le groupe Wagner. Néanmoins, Moscou semble avancer prudemment en Libye, où les Émirats arabes unis et la Turquie se confrontent de manière plus visible.
La Russie est active aujourd’hui à Chypre pour des raisons non commerciales. On compte aujourd’hui environ 40 000 résidents russes dans l’île. Membre de l’UE et de la zone euro, Chypre est attractive pour les capitaux russes qui se sont massivement investis dans les banques chypriotes, avant d’être recyclés dans l’économie européenne. Mais, en fait, Chypre pèse peu dans la stratégie du Kremlin en Méditerranée orientale, où les relations géopolitiques avec la Turquie jouent un rôle essentiel.
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La stratégie de la Russie en Méditerranée orientale s’inscrit dans un impératif de protection du flanc sud du pays face aux Etats-Unis et à l’OTAN et se définit comme une « projection de stabilité ». Le fait de détenir une influence dans la zone Méditerranée orientale est considéré par Moscou comme un marqueur de puissance et de reconnaissance. La Méditerranée est également perçue comme un espace pertinent pour contester la suprématie navale américaine dans la zone (sixième flotte de l’U.S Navy), qui s’est érodée du fait de la réorientation de la politique stratégique américaine vers la zone indo-Pacifique (« pivot asiatique »).
Compte tenu de ces raisons, l’intérêt du Kremlin pour la région méditerranéenne va vraisemblablement devenir plus important dans l’avenir. La Méditerranée représente une ouverture pour la Russie vers les Balkans, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient : autant de zones où Moscou entend accroître son influence politique et économique, plus particulièrement par ses ressources énergétiques.
Cette expansion pourrait-elle se traduire par l’acquisition de bases navales ailleurs en Méditerranée ? Aujourd’hui, il n’existe pas réellement de signes ou d’informations confirmant un éventuel développement de nouveaux points d’appui. Les accords existants avec l’Espagne (Ceuta), l’Algérie, Malte, Chypre et la Grèce offrent déjà à la marine russe des possibilités d’accueil logistique, en plus de s’appuyer sur Tartous. Moscou s’intéresse plus particulièrement à l’Algérie qui occupe une position stratégique près du détroit de Gibraltar, porte d’entrée ouest de la Méditerranée.
Mais il y a aussi des obstacles. Tout d’abord, le déploiement permanent d’une flotte russe en Méditerranée ne pourra être effective qu’en concentrant des moyens provenant des autres flottes russes (mer Noire, Baltique), ce qui limite fortement les capacités de projection.
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Ensuite, on a vu que les forces maritimes russes sur zone sont une émanation de la flotte de la mer Noire, donc de la Crimée. Le fait que les détroits sont contrôlés par la Turquie, membre de l’OTAN, est un paramètre très sensible à inclure dans la stratégie russe, car ils pourraient être fermés en cas d’hostilités. La flotte de la Baltique (Kaliningrad) et la flotte du Nord (Severomorsk dans l’oblast de Mourmansk) sont trop éloignées pour permettre des interventions rapides et il faut compter également sur la sixième flotte américaine et les marines de l’OTAN, la Marine française en particulier.
Néanmoins, il est indéniable que la Méditerranée demeure une orientation stratégique importante pour Moscou car Vladimir Poutine ne peut l’ignorer dans son « conflit » avec l’OTAN. Avec ces ambitions russes et la stratégie chinoise, la Méditerranée confirme bel et bien son statut de carrefour géopolitique.