Si les frères Guérini et leurs avocats s’imaginaient que la cour d’appel d’Aix serait plus clémente que le tribunal correctionnel de Marseille qui avait condamné le 28 mai dernier les deux magouilleurs socialistes à des peines de six ans ferme pour Alexandre et trois ans dont dix-huit mois ferme à l’encontre de Jean-Noël, ancien président du Conseil général et toujours sénateur grâce à l’intercession du Conseil constitutionnel, ils se sont légèrement trompés. Au terme d’un réquisitoire lumineux et implacable, l’avocat général Pierre-Jean Gaury a en effet proposé aux magistrats de la cour une « louche supplémentaire » pour corser l’addition des frères Guérini.
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On ignore évidemment l’arrêt qui sera rendu dans cette affaire au début de 2022 par la présidente Gwenaelle Kéromes, mais d’ores et déjà on est frappé par les similitudes des observations des deux juridictions. « L’ancienneté des faits ne doit pas en atténuer la gravité, a expliqué M. Gaury, Jean-Noël Guérini se dit exemplaire mais il a refusé ici de s’exprimer et a choisi de garder le silence ».
« M. Guérini se dit victime d’une gaucherie malheureuse mais c’est un professionnel aguerri de la politique qui ne pouvait ignorer l’infraction caractérisée qu’il commettait au regard de la chose publique. » Et l’avocat général d’ironiser sur « les efforts considérables du Sénat pour adoucir le sort des élus fâchés avec la probité ». En effet, Jean-Noël Guérini a participé à la rédaction d’un amendement du Sénat visant à mitiger les peines qui frapperaient désormais les fonctionnaires coupables de prises illégales d’intérêt…
« Comment Jean-Noël Guérini peut-il se permettre de mettre en cause la probité des fonctionnaires alors qu’il a été lui-même rien moins que scrupuleux dans ce domaine et qu’il a usé et abusé de ses fonctions dans un intérêt personnel ! », s’est étranglé M. Gaury.
Le magistrat a requis une peine de quatre ans de prison à l’encontre de l’ancien ponte du parti socialiste, dont deux ans ferme, assortie d’une amende de 50 000 euros et de cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. L’avocat général n’a pas été plus indulgent envers « Monsieur Frère », le magouilleur en chef, Alexandre Guérini, coupable « d’une décennie de fraudes jalonnée d’infractions de grande ampleur répétées dans le temps », exigeant son maintien en détention à la prison de Luynes.
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Déjà condamné en mai à six ans de prison ferme, Alexandre Guérini a été interloqué d’entendre l’avocat général requérir une peine de huit ans ferme à son encontre ainsi qu’une amende de 300 000 euros et la confiscation des sommes saisies sur ses nombreux comptes off-shore, soit environ 20 millions d’euros !
Très en verve, le magistrat a dit sa conviction qu’Alexandre Guérini était bien l’épicentre de toutes les dérives et que « cet homme politique sans mandat insultait, vitupérait, donnait des ordres », comme si tout le monde devait être jour et nuit à sa dévotion. « Il a détourné par malice toute une collectivité et en a largement profité », a conclu M. Gaury.
Selon lui, le sud-est de la France est largement contaminé par les affaires de corruption et de favoritisme puisque la moitié des affaires déférées devant l’agence française anti-corruption dirigée par Charles Duchaine relèvent du pourtour méditerranéen et de la région grenobloise. M. Gaury a pimenté son réquisitoire avec une valse de millions qui laisse pantois le commun des mortels, effaré de constater les combines socialistes aux multiples facettes, mêlant l’hégémonie d’une fratrie, les amitiés politiques corses, les relations des petites mains liées au banditisme et la cupidité à tous les étages.
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On a l’impression d’une cascade de petits trafics d’influence destinés à ordonnancer politiquement le délit majeur d’initiés. L’objectif était clair : s’enrichir vite et fort, blanchir vite et fort, dissimuler les investissements et retraits par de multiples mouvements sur des comptes bancaires à Genève ou au Luxembourg. Cette fois, c’est raté.
Les montages financiers socialistes donnent le vertige. Ils résultent tous de « la capacité de chacun des deux frères Guérini à se servir de l’autre ». Les Guérini avaient fomenté tout un système parallèle qui contaminait l’intégralité de l’institution dans un affolement général et la crainte de représailles. « Je ne suis qu’un pion entre les mains de ces gens-là , on ne peut pas leur dire non », se sont défendus la plupart de leurs complices.
Oui, décidément, les frères Guérini risquent de regretter d’avoir fait appel de leur premier jugement. On ne badine plus avec la justice, élu ou pas, PS ou pas, clientéliste ou pas…
José D’Arrigo, rédacteur en chef du Méridional