Affaires Guérini : paroles de procureurs

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Les deux procureurs de la République qui ont requis mercredi 31 mars 2021 à Marseille des peines de prison et d’amendes contre Jean-Noël Guérini, 70 ans, ancien président socialiste du Conseil général 13, et son frère Alexandre, dit « Monsieur Frère », homme « d’affaires » dans tous les sens du terme, ont eu des propos très durs à l’encontre de ce duo prévenu d’abus de biens sociaux, trucages des marchés publics, favoritisme, clientélisme, duplicité, destruction volontaire de preuves, prise illégale d’intérêt, intimidations, affairisme, pressions, usage d’une collectivité à des fins personnelles. Voici quelques échantillons ou « verbatim » de ces deux morceaux d’anthologie judiciaire signés Dominique Perrin et Patrice Ollivier-Maurel. Le procès doit se tenir jusqu’au 9 avril.

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  •  » Le dossier des frères Guérini est d’une ampleur extraordinaire puisqu’il aura rassemblé 58 tomes de papier, 48 000 pièces de procédure, et abouti à l’audition de 150 personnes et nécessité de nombreuses commissions rogatoires internationales par les six juges d’instruction successifs commis dans cette affaire tentaculaire. Les histoires marseillaises font rire ou pleurer, mais elles ne laissent personne indifférent. Elles suscitent la fascination, l’indignation ou le fatalisme : c’est ça Marseille… « 
  •  » On n’a pas donné aux juges les moyens de faire face à la complexité et au volume des investigations, d’où la longueur de la procédure. Seule notre foi en la justice nous a permis de rédiger finalement une ordonnance de renvoi de 295 pages. Dommage que cette audience  ne soit pas filmée car l’image aujourd’hui est au-dessus de tout et nous devons faire face aux abus des faiseurs d’opinion qui tentent de façonner le monde à leur façon. On mobilise ses comités de soutien, on crie au complot, il est plus facile de se présenter en victimes que de rendre des comptes… « 
  •  » Le propre de l’homme est de privilégier son intérêt personnel : le mandat électif est une simple délégation, ce n’est pas un titre de propriété. « 
  •  » Ce dossier affiche judiciairement ce que l’on subodorait par la rumeur publique : clientélisme, entrisme, affairisme, favoritisme, opportunisme, immobilisme, le duo fraternel était surtout un duo d’intérêts. « 
  •  » Si Alexandre Guérini a besoin de la caution de son frère Jean-Noël, le président du conseil général, lui, bénéficie de l’entrisme de son frère. Si  Alexandre est  omniprésent et traverse tout le champ de la procédure, il ne serait pas ici s’il n’avait pas eu le soutien permanent de son  frère. Leur duo forme une habile entreprise privée avec la Métropole Marseille-Provence et le conseil général dont ils abusent en fonction de leurs intérêts…« 
  •  » Leur mode de gouvernance repose sur le principe du service-service, du crédit-débit, de la carotte et du bâton. L’essentiel est de se constituer un réseau d’affidés liés par un pacte de reconnaissance : tels sont les germes du favoritisme, de la corruption, de la prise illégale d’intérêt et du trafic d’influence.« 
  •  » Comment un directeur du service de la propreté à MPM de la stature de M. Michel Karabadjakian peut-il se laisser insulter et manipuler par un homme qui n’a aucune autorité sur lui ? Tout simplement parce qu’on ne peut pas dire non à “Monsieur Alexandre”… Alexandre Guérini est-il le cabotin sympathique qui s’affiche ici ou bien le voyou qui téléphone à M. Karabadjakian au nom d’un militantisme socialiste qui ferait se retourner dans sa tombe Jean Jaurès ? « 
  •  » Comment Alexandre Guérini peut-il imaginer promouvoir, sanctionner, favoriser ou accorder une subvention sans l’appui de son frère ? Je n’ose pas concevoir qu’on ait pu avoir à la tête du conseil général un président fantôme…« 
  •  » La mise en place du discret Caselli qu’on a propulsé à la tête de MPM est un coup de maître en vue d’une prise de contrôle totale du traitement des déchets sur les Bouches-du-Rhône. »
  •  » Au sein du cabinet présidentiel, il fallait toujours tenir compte des avis de Monsieur Alexandre. Alexandre parlait au nom de Jean-Noël et vice-versa. La parole de l’un valait la parole de l’autre, il n’y avait pas le moindre hiatus entre les deux. »
  •  » Ce système d’engrenage fraternel ne peut marcher que parce que Jean-Noël est derrière Alexandre avec son pouvoir de nomination et d’éviction. Il a ses entrées dans tous les bastions socialistes et fait la pluie et le beau temps au sein de son parti… L’essentiel pour leurs interlocuteurs est de ne jamais braquer la famille Guérini. »
  •  » Comment peut-on oser solliciter d’un général de gendarmerie le déplacement d’un gendarme trop zélé ? Jean-Noël répond à toutes les demandes de son frère Alexandre. Il nous raconte des salades. Il vient ici en parangon de vertu et de probité mais je me demande s’il n’a pas la maladie du mensonge et de la dissimulation. »
  •  » Ce dossier dégorge d’interventions de la part d’Alexandre pour obtenir un prix de vente maximal de sa société et une clause variable très importante assurant à l’acheteur l’obtention de marchés publics. »
  •  » Pour suivre le chemin du blanchiment de 20 millions d’euros, il faut passer par les arcanes des virements de compte à compte en Suisse, au Luxembourg et en Israël. On découvre 5,8 millions sur un compte Kawaï, 4,5 millions sur le compte Ulfalo,  8 millions sur le compte Farman et Tareo, 1,5 million sur le compte Boyle, soit un total de 19 837 718 millions d’euros évaporés… « 
  •  » On court-circuite l’élu en charge de l’Environnement, puis la directrice du Patrimoine pour préempter un terrain à La Ciotat en devançant la ville de La Ciotat au titre de la sauvegarde du liseron duveteux… Quant aux faits de favoritisme, ils sont caractérisés par la communication d’informations secrètes concernant les adjudications. Les frères Guérini étaient au courant des offres émises par tous les concurrents avant même leur transmission à la commission des marchés. Ces infractions aux règles de l’égalité entre tous les candidats est un vrai scandale car de nombreux entrepreneurs ont été ruinés suite à ces agissements. »

Propos recueillis par José D’Arrigo, rédacteur en chef du Méridional