Un dernier adieu très émouvant à Bernard Tapie

© J D'A

A Marseille, dans des circonstances extraordinaires,  certaines vibrations mystérieuses font parfois trembler les murs de la ville, comme si des fils invisibles reliaient soudain les habitants entre eux. Ces petits séismes spirituels entraînent la population dans le délire d’une cause commune. Tel fut le cas le 26 mai 1993 avant même le coup de tête victorieux de Basile Boli contre le grand Milan. Ce jour-là, croyez-moi, à seize heures, j’ai touché les murs de la Canebière et j’ai senti un fluide puissant gagner de proche en proche tous les quartiers de la ville. Tout Marseille frissonnait, tout Marseille savait, tout Marseille avait déjà la tête dans les étoiles…

C’est un peu la même sensation que j’ai éprouvée ce matin dans la cathédrale de la Major où une foule impressionnante de Marseillais, natifs ou d’adoption, ont communié avec ferveur lors de la messe concélébrée par Mgr Jean-Marc Aveline, Mgr Jean-Pierre Ellul et le vicaire général Pierre Brunet, responsable de la basilique. Dans ces moments là, Marseille devient une ville bénie des dieux qui fait rêver le monde parce qu’elle se transforme en modèle universel d’humanité.

Un déluge de bouquets de roses blanches emplissait le chœur de la basilique. Le cercueil est arrivé dans la travée centrale et ce fut un tonnerre spontané d’applaudissements à l’intérieur et à l’extérieur de la nef. Explication immédiate de Renaud Muselier, le premier à prendre la parole, ami de longue date de Bernard Tapie : « Quand on voit l’émotion qu’a suscitée l’annonce de ta disparition, on comprend mieux la force de l’empreinte que tu laisses partout dans le pays. Et même si chacun d’entre nous essayait de se préparer à la terrible nouvelle, nous n’y avons jamais vraiment cru. Parce que tu te relevais toujours, inlassablement, parce que tu semblais invincible, comme la vie elle-même ! »

Une énergie phénoménale

« Depuis 2017, a ajouté le président du conseil de  la région Provence, tu te bats contre le cancer avec une énergie phénoménale, tu l’as repoussé, tu l’as fait reculer, tu nous a toujours donné le sentiment que tout était possible et même devant l’inéluctable, on pensait qu’une fois de plus tu y arriverais. Tu entres aujourd’hui dans le panthéon du cœur des Marseillais. En passant d’une vie terrestre à une vie céleste, tu rejoins les personnalités qui  ont été inhumées ici parce qu’elles ont aimé et servi Marseille : Jacques Saadé, Gaston Defferre, Mgr Bernard Panafieu. Comme eux, tu as fait briller Marseille par les hauts faits des Marseillais… »

Et Renaud Muselier de rappeler les entreprises audacieuses de « Nanar », du « Boss » du « Phénix », tour à tour cycliste, voileux, footeux, ministre, député,  l’homme qui risque sa mise tout le temps par besoin viscéral de se mettre en danger. « Bernard, tu disais souvent : ne cherchez pas à tout prix à réussir dans la vie, battez-vous pour réussir votre vie. Eh bien mon ami, tu as réussi la tienne et tu peux partir la tête haute ! »

Le second à saluer la mémoire de Bernard Tapie, fut l’ancien ministre Jean-Louis Borloo, ancien avocat de Bernard Tapie : « Bernard, tu es rentré chez toi, le gladiateur se repose enfin. Le chagrin partagé est tel ici autour de toi que je suis sûr que tu en ressens l’intensité. De tous tes exploits, le plus grand, le plus fort, c’est celui d’avoir mis Marseille sur le toit du monde. » M. Borloo, visiblement très ému, rappelle le combat titanesque de Tapie contre le cancer, son refus des antidouleurs, ses expérimentations médicales et « pendant que tu te battais comme un lion les battements de cœur des Marseillais  t’accompagnaient ».

« Ton carburant, conclut Borloo, c’était l’amour, la passion, l’enthousiasme, ton charisme était inspiré par la grâce divine, c’était la devise de l’OM « droit au but », tu étais le reflet de Marseille, ville éruptive, généreuse, rebelle, tendre, Bernard tu fus un bras d’honneur à toutes les hypocrisies. Tu as été un homme mon frère ».

Benoît Payan, maire de Marseille, et Samia Ghali, adjointe au maire, se sont ensuite exprimés pour saluer « cet homme aux mille vies ».

Les enfants et petits-enfants de Tapie ainsi que son médecin personnel ont également dit leur infinie tristesse et le courage exceptionnel de cet homme face à la maladie, avant que Mgr Jean-Marc Aveline ne prononce une homélie d’une sobriété  magistrale et d’un tact absolu :

« C’est donc à Marseille sa ville de cœur que Bernard Tapie a souhaité reposer après les  multiples combats qu’il a livrés tout au long de sa vie, a-t-il déclaré, et s’il a choisi Marseille, c’est parce qu’il aimait profondément cette ville. Et Marseille le lui rend bien : il aimait cette ville parce qu’elle lui ressemblait : populaire et libre, fière et rebelle, tendre et violente à la fois, accueillante à tous ceux que la vie a meurtris, exubérante, certes, mais pour mieux cacher sa pudeur. »

« Une secrète et fidèle complicité Â»

« Entre Marseille et lui s’est tissée une secrète et fidèle complicité qui éclate au grand jour depuis l’annonce de son décès. On pourrait dire de Marseille ce que Bernanos disait de la France : « Nous sommes un peuple que le malheur n’endurcit pas, nous ne sommes jamais plus humains que dans le malheur. Voilà le secret de la faiblesse inflexible qui nous fait survivre à tout ». Alors le peuple de Marseille est là, présent et recueilli, triste et fier à la fois ».

« Bernard Tapie n’était pas un saint, loin de là ! estime Mgr Aveline. A l’aune de ses fortunes diverses et de ses incontestables talents, dévoré d’un insatiable appétit de vie, il a tutoyé aussi bien les sommets que les abîmes, les salons du pouvoir que les cellules des prisons. Sa vie, a poursuivi Mgr Jean-Marc Aveline, ne peut se résumer à un simple trait de plume. Elle échappe aux étiquettes qui classent et qui condamnent. Pour lui comme pour nous la mise en garde du Seigneur s’avère des plus précieuses : « ne jugez pas et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés, pardonnez et vous serez pardonnés ».

« Derrière tous les masques et les théâtres de ce qu’on appelle « la réussite », derrière les vanités de la gloriole humaine et des honneurs éphémères, il y eut les épreuves et surtout la dernière, celle de la maladie. Le courage dont Bernard Tapie a fait preuve pour regarder la mort en face et continuer de croire en la vie a révélé l’homme de foi qu’il a toujours été. Il était né dans le « tiroir d’en bas » et avait voulu monter plus haut. Tout à la fin de sa vie, il a demandé pardon pour le mal qu’il avait commis et le bien qu’il aurait pu faire mais qu’il n’avait pas fait. »

« Ici à Marseille on sait que la force d’une équipe ne vient pas des milliards qu’on y injecte mais du peuple qui aime jouer au ballon et pousse son équipe vers la victoire. Prions pour le repos de l’âme de Bernard Tapie. « Mon premier geste en me levant le matin est de me mettre à genoux et de prier », confiait-il. La foi est un secret intime. Son désir d’en parler n’était pas une impudeur médiatique. Il traduisait simplement sa certitude que l’amour est éternel et que même la mort ne peut rien contre lui ».

José D’Arrigo, rédacteur en chef du Méridional