Une analyse de la procrastination

Que ce serait-il passé si Emile Zola n’avait pas publié sa tribune « J’accuse » mais « J’accuserai demain » ? Si le héros de la mythologie grecque Sisyphe avait voulu rouler sa pierre plus tard ? Saviez-vous que Léonard de Vinci était certes un génie mais aussi un grand procrastinateur ? Cette « maladie » qui consiste à remettre au lendemain ce qu’on pourrait effectuer le jour même, Guillaume Podrovnik a voulu l’analyser dans un livre mi-drôle mi-sérieux.

On sourit devant un titre bien trouvé, « On verra demain. Excursion en Procrasti-Nation ». L’avantage de ce guide de voyage n’est pas négligeable : « sans test, ni quatorzaine, ni (surtout !) formalités administratives ». Le livre est issu de la série Arte à succès du même nom, sortie en 2019. A l’origine, nous explique l’auteur, il était question de tourner un épisode supplémentaire, autour du sujet bien d’actualité du confinement et de la procrastination. Finalement, c’est dans un livre que Guillaume Podrovnik aborde les thèmes qui n’ont pas pu être développés dans la série.

La Procrasti-Nation, c’est un pays imaginaire où l’on peut se promener (tout doucement) en se repérant « façon Tolkien » à l’aide de cartes. Le port de La Tâche, le littoral du Temps perdu… pas évident de se retrouver dans la forêt broussailleuse de l’Organisation ou au milieu de la jungle de la Souffrance. Chaque lieu, à la manière d’un guide Routard, commence par un tableau du coin et de ses habitants (région, sous-préfecture, population…) Des coutumes loufoques imaginées par l’auteur et accompagnées de dessins de sa main (Guillaume Podrovnik a aussi été dessinateur). Dans les textes eux-mêmes voisinent anecdotes et réflexions relevant de la philosophie, de l’histoire, de l’économie, de la sociologie et de la psychologie.

La procrastination est-elle une maladie de notre temps ou bien un réflexe salutaire face à la surenchère d’occupations dans la société actuelle ? Vaste question, qui mérite d’être creusée. Et sous le ton drôlatique (et sans doute un peu cynique) de l’ouvrage se cache en effet cette interrogation-là.

L’attitude de procrastination serait le symptôme représentatif d’un mal-être de la société actuelle. Le symbole d’un emprisonnement à demi-conscient, que le monde numérique contribue à accroître. La procrastination n’est-elle pas au fond un refuge pour certains ? Ce « cache-misère » pointe surtout le mal-être actuel vécu par beaucoup au travail. La procrastination n’est pas synonyme de décadence, mais plutôt d’un problème de fond de l’organisation de la société du travail. Sous cette fameuse attitude, les procrastinateurs recherchent un cadre de vie général qui ait du sens.

On verra demain. Excursion en Procrasti-Nation présente une vision désenchantée du monde actuel ; sans illusions, certes, mais heureusement pas sans enthousiasme ni drôlerie. Ce qui fait l’intérêt du livre.

Et comme la Journée mondiale de la procrastination est le 25 mars, vous êtes en retard… ou en avance sur l’année prochaine.

Jeanne RIVIERE

On verra demain. Excursion en Procrati-Nation, Guillaume Podrovnik, Hachette pratiques/Arte éditions, 240 pages, 17,90€, avril 2021.