Des Républicains qui résistent, des écolos qui pavoisent, une égalité en sièges qui se profile (42 pour Rubirola contre 39 à Vassal), la République en marche totalement hors-jeu (zéro élu), une abstention record et un Gaudin qui peut se frotter les mains : c’est l’embrouillamini total à Marseille.
Marseille est beaucoup plus forte que Lyon ou Bordeaux car elle a réussi à contenir la vaguelette verte et rouge qui a inondé la France un peu partout. Elle y est parvenue précisément parce que les Républicains eux aussi reprennent des couleurs dans tout le pays et qu’ils ont conquis un nombre impressionnant de villes moyennes.
Donc tempérons d’emblée l’enthousiasme délirant des commentateurs socialistes toujours prompts à défendre la Gauche et les écologistes : nous avons assisté ce dimanche à une double vaguelette verte et bleue. La question principale n’est pas dans le calcul d’un savant dosage sur l’amplification de telle ou telle tendance mais dans l’incroyable grève civique qui semble frapper les Marseillais : comment peut-on accorder quelque crédit que ce soit à un scrutin qui ne recueille que 35 % de participation ?
Ce n’est pas nouveau : les Marseillais ont tendance à voter avec leurs pieds. Ils sont en grève citoyenne. Leur abstention est une forme de protestation froide, une insurrection pacifique visant à signifier aux élus : nous n’avons pas besoin de vous, nous n’avons plus confiance, continuez vos tambouilles entre vous, ce sera sans nous ». Le « dégagisme » engagé en 2017 a encore de beaux jours devant lui.
« Ce n’est pas de la passivité »
Ce n’est pas de la passivité, c’est une forme de rejet en bloc des méthodes politiciennes et des petits arrangements entre amis. Certains évoquent la peur du Coronavirus, d’autres l’absence de campagne, les interrogations pesantes sur des suspicions de fraudes, mais ce sont de faux alibis : les Marseillais, en vérité, affichent clairement leur dédain de la démocratie représentative qui ne prend jamais en compte leur avis. Et puis ils répugnent au devoir électoral car ils considèrent à juste titre que la plupart des partis politiques ont renoncé à leur mission première, celle d’éclairer les citoyens sur les problèmes de la société contemporaine.
« Le choix démocratique appartient à ceux qui se déplacent », a fait valoir Edouard Philippe. Certes. Mais à Marseille, le choix ultra-majoritaire est celui de s’abstenir et de ricaner en douce en voyant le résultat de leur petite espièglerie électorale : un coude à coude entre Michèle Rubirola (42 conseillers municipaux élus) et Martine Vassal (39 élus) et un triple arbitrage à venir entre Stéphane Ravier et ses neuf conseillers municipaux, Samia Ghali et ses huit conseillers, et Bruno Gilles et ses trois conseillers…
Comme il faut obtenir 51 élus pour obtenir la majorité absolue au sein du conseil municipal, c’est la porte ouverte à toutes les tractations d’arrières salles, d’un côté et de l’autre. Bruno Gilles acceptera-t-il de jeter la rancune à la rivière et de se ranger comme un seul homme derrière Martine Vassal pour égaliser à 42 partout ? Samia Ghali choisira-t-elle de renoncer à un coup de pouce éventuel de Martine Vassal pour être réélue sénatrice ou bien préfèrera-t-elle rentrer au bercail socialiste avec ses anciens amis ?
Peut-on imaginer le scénario du pire à Marseille, celui du blocage total, qui nous conduirait à un score de 51-50 ou de 50-51 ? Qu’on le veuille ou non Michèle Rubirola a raison de parler de « victoire relative » pour son cartel d’extrême gauche et Martine Vassal a beau jeu de répliquer que ce second tour n’a pas permis de dégager une majorité assez claire pour désigner la future mairesse de la ville.
« Faites vos jeux »
Rien n’est joué. Faites vos jeux. Passe, impair et manque. Je fais tapis sur le 8 de Ghali et toi sur le 3 de Gilles…Les Marseillais, eux, n’ont plus leur mot à dire. Ils ont installé l’imbroglio, débrouillez-vous ! C’est le choix du loto idéologique : pencheront-ils pour la promotion du soja, pour faire du vélo et planter trois géraniums cours Lieutaud, ou bien se décideront-ils pour le développement économique harmonieux de la ville ? La situation inextricable de blocage qui se profile me rappelle les municipales échevelées de 1983 : Deferre triche, bourre les urnes et gagne au nombre de sièges alors qu’il est minoritaire en voix…
A l’époque, ce sont les colistiers de Gaudin qui avaient crié au scandale et au déni démocratique. La loi PLM est la même. Chacun son tour. Il est vrai que cette fois Jean-Claude Gaudin a lui-même créé les conditions de l’incroyable embrouillamini qui s’annonce : il a d’abord désigné Bruno Gilles comme son dauphin attitré, puis il a fait volte-face et choisi Martine Vassal, ce qui a entraîné la guerre intestine préjudiciable à la Droite.
Gaston Defferre, mort en 1986 sur le fauteuil, avait lui aussi désigné deux dauphins putatifs : Michel Pezet et Philippe San Marco et aucun des deux n’est parvenu à lui succéder. C’est un médecin intègre, Robert-Paul Vigouroux, qui a raflé la mise, y compris dans le 6/8 comme feint de l’ignorer Olivia Fortin, la nièce de Pierre Rastoin, l’ancien adjoint socialiste de Defferre.
Match nul. Avantage Rubirola. Avantage détruit. La politique, c’est comme le tennis. On subit des revers et on se relève. On place des coups droits à la Djoko et des amortis à la Fédérer. Au foot, on appelle ça une prolongation. Mais les joueurs sont très fatigués par cet interminable entre-deux-tours. Ils n’en peuvent plus et nous non plus. Seuls les arbitres sont très fringants sur la touche et se frottent les mains…
Quelle que soit la gagnante en fin de semaine, c’est Marseille qui sera condamnée à un long statu quo de six ans, sous le regard badin des Marseillais, fort amusés de leur coup de maître en gélification.
José D’Arrigo
Rédacteur en Chef du Méridional