Sous les promesses russes de souveraineté et d’abondance, le Mali s’enfonce dans la peur, la faim et le mensonge d’État.
Un mirage russe vendu au peuple malien
En 2021, la junte malienne, portée par le colonel Assimi Goïta, signait un accord stratégique avec la Russie. À Bamako, l’ambassadeur russe au Mali promettait un tournant décisif : “la sécurité va revenir, l’indépendance énergétique est en marche”.
Quatre ans plus tard, les Maliens n’ont vu ni blé, ni carburant, ni électricité. Les fameuses 200 000 tonnes de produits pétroliers par jour destinées à “soutenir l’agriculture”, les centrales nucléaires clés en main, ou les panneaux solaires au lithium sont restés des slogans creux.
« Le blé promis par Moscou n’est jamais arrivé, témoigne un ancien cadre du ministère de l’Énergie en exil. Ce que nous avons reçu à la place, ce sont des villages brûlés et des civils décapités.» Loin d’avoir restauré la souveraineté, le partenariat avec Moscou a plongé le pays dans une dépendance militaire et un effondrement économique.
Le grand effondrement : Bamako paralysée, le pays asphyxié
Depuis 2024, la capitale vit sous un blocus invisible. Les stations-service sont à sec, les transports à l’arrêt, et les coupures d’électricité se multiplient. Le litre d’essence, vendu 1 850 francs CFA (moins de 1,40 €) en 2023, dépasse désormais 2 000 francs CFA (plus de 3 €) à Bamako tandis qu’il est un luxe à trouver. Dans les autres villes du Sud, il atteint 6 500 francs CFA (près de 10 €), quand on en trouve encore.
Conséquence immédiate : les écoles et universités ont été suspendues pour deux semaines. Le gouvernement invoque “une situation exceptionnelle liée à l’approvisionnement en carburant”.
La paralysie sociale gagne tous les métiers
Les boucheries ferment, faute de carburant pour acheter la viande chez les grossistes à l’abattoir. Les soudeurs et tailleurs ne peuvent plus travailler, privés d’énergie et de clients. Les marchés populaires se vident lentement, et le désespoir monte.
Même pour un kilo de sucre, il faut se battre
confie Hawa Traoré, vendeuse à Missira
« On nous disait que la Russie allait nous sauver. Aujourd’hui, on ne survit plus. » Le sac de riz de 50 kg dépasse désormais 50 000 francs CFA (près de 80 €), contre 24 000 à 32 500 avant la crise. Quant au sucre, il est devenu un produit de luxe depuis l’incendie, en août 2024, des deux principales usines nationales, Sukala et Dougabougou Seribala, par les combattants du JNIM.
Les blocus djihadistes : un État sous siège
Pendant que la population s’enfonce dans la faim et la peur, les groupes affiliés au JNIM (Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin) gagnent du terrain. Sous le commandement d’Amadou Koufa, de Bina Diarra et de Mahmoud Barry alias Abou Yehiya, ils contrôlent désormais plusieurs axes reliant Bamako à Ségou, Mopti et Tombouctou. Les routes sont minées, infiltrées ou fermées, les convois attaqués, les villages brûlés. Les zones rurales sont abandonnées à elles-mêmes.
Bamako est aujourd’hui encerclée, la junte vit dans le déni complet. On redoute un scénario à la Kaboul
analyse un expert en questions sécuritaires et humanitaires en poste à Dakar
Les services de renseignement américains et suédois ont déjà demandé à leurs ressortissants de quitter immédiatement, le Mali par voie aérienne uniquement. Ce qui est plus que jamais alarmant en ce qui concerne l’installation imminente d’un chaos jihadistes au Mali.
De la Syrie à l’Afghanistan : la spirale malienne
Le Mali n’est pas la Syrie, mais la comparaison avec Kaboul 2021 s’impose. Un pouvoir coupé de son peuple, assiégé, protégé par des forces étrangères, et en perte totale de contrôle.
En Syrie, certains rebelles avaient rompu avec l’islamisme avant leur insurrection. Au Mali, l’État s’est livré à une puissance étrangère sans stratégie nationale. Le modèle ici, c’est l’Afghanistan
souligne un chercheur sahélien depuis Dakar
Pendant que les colonels célèbrent de supposées “victoires” à la télévision, les drones russes et turcs pilonnent indistinctement villages nomades, civils et zones agricoles.
Des massacres dissimulés sous le prétexte du “terrorisme”
De Kidal (7 novembre 2023) à Amasrakad (mars 2024), de Zouéra (8 juillet 2025) à Émimalane (24 octobre 2025), les bilans humains sont insoutenables : des femmes, des enfants, des vieillards massacrés.Le régime parle de “neutralisation de terroristes”. Les témoins, eux, parlent de massacres ethniques ciblés.
Ces récits fabriquent un ennemi intérieur pour masquer la faillite militaire du régime
explique un ancien diplomate malien qui requiert l’anonymat
Dans les régions du Nord, les mercenaires de Wagner, désormais rebaptisés Africa Corps, agissent sans contrôle. Des villages comme Lougui, Ersane ou les alentours de Diabali ont été effacés de la carte.
Témoignage : “Je suis devenu dissident”
« Mon engagement contre le régime d’Assimi Goïta vient d’un choc moral. J’ai vu mourir des proches, des innocents, des enfants.
Mon ami Youssouf Ag Idrissa, connu de tous comme transporteur entre Niono et léré depuis 2010, a été décapité par Wagner près de Léré en octobre 2023. Le village Touareg de Lougui a été anéanti, un vieux marabout Amaloch et ses enfants ainsi que ses voisins ont été massacrés, par les mercenaires russes de Wagner, en Octobre 2023 non loin de la localité de Nampala appartenant au cercle de Niono de la région de Ségou.
À Ersane, seize personnes ont été exécutées le 17 octobre 2023. Le 7 novembre 2023, des drones ont frappé Kidal, tuant Askiw Ag Wanine et d’autres. Un jeune aliéné mental âgé de 16ans, fils du directeur de l’école du village d’Essakane, a été abattu à Essakane le 4 février 2024, Enaderfe Ag Hammama, humanitaire touareg en congé, a été décapité avec sa femme et son enfant de deux ans ainsi que 2 de ses neveux, le 2 janvier 2025 près de Diabali dans la région de Ségou par les mêmes mercenaires russes de Wagner. Mohamedoune AG ELMEHDI, berger nomade touareg de Raz Elma a été décapité lui et 20 autres personnes par une mission des Forces armées maliennes et leurs supplétifs de Wagner, à Gassi Djerma, une localité située entre la ville de léré et celle de Niafunke entre le 15 et le 17 Juin 2024.
Le 20 Octobre 2024 sur la localité d’inadjatafane avait tué 16 personnes civiles dont deux bébés dans une zone du Liptako Gourma appartenant à la région de Tombouctou.
Ces crimes, commis au nom de la lutte antiterroriste, sont des crimes d’État. Je continuerai à les dénoncer tant que ce régime illégal et illégitime restera en place. Mon espoir : un Mali nouveau, juste et progressiste, où toutes les communautés seront protégées, non persécutées. »
Bamako, capitale au bord de l’effondrement
Voici en somme ce que l’on sait des chiffres d’un désastre:
Carburant introuvable : plus de 80 % des stations-service fermées.
Électricité rationnée jusqu’à 18 heures de coupure par jour.
Inflation record : +130 % sur le riz, +200 % sur le sucre.
Écoles fermées : deux semaines de suspension nationale pour “crise énergétique”.
Fuite des capitaux : le secteur privé en exode vers Dakar et Abidjan.
Les ambassades sont réduites où les diplomates sont rappelés ou évacués temporairement.
Le “canard RIS” : la dernière arme d’un régime en décomposition
Le canard RIS, symbole du mensonge d’État autour des promesses russes, est devenu la vitrine de la faillite du régime Goïta. Mensonge sur la sécurité, sur la souveraineté, sur la réalité économique. Les colonels brandissent le discours de “la dignité retrouvée”, mais le pays vit désormais dans le noir, la faim et la peur. « Le mensonge est devenu la première ressource du pouvoir », ironise un économiste malien en exil.« C’est la seule chose qu’ils savent produire localement. »
Épilogue : Sous les décombres du mensonge
Bamako suffoque. Sous l’ombre du canard RIS, les Maliens cherchent du carburant, du pain et un peu d’espoir. Les routes sont coupées, les écoles fermées, les voix libres muselées. Mais dans cette obscurité, des consciences s’éveillent. Celles de la dissidence, de la vérité et de la mémoire. Car au-delà du chaos, une certitude demeure :
Le mensonge d’État ne construit jamais la paix, il ne fait que retarder la vérité.
Mohamed AG Ahmedou :journaliste et acteur de la société civile malienne et spécialiste des dynamiques politiques et sécuritaires sahelo-sahariennes.