Marseille, terre d’accueil et d’hybridation, ouvre grand les portes du Mucem à Hervé Di Rosa. L’artiste sétois enchâsse ses œuvres dans les collections du musée comme un bijoutier sertirait des pierres précieuses, jouant avec le populaire, le sacré et l’ordinaire. Une exposition joyeusement indisciplinée, à voir du 12 mars au 1er septembre 2025.
Hervé Di Rosa n’a jamais aimé les frontières. Ni celles qui balisent les territoires, ni celles qui bornent l’art en catégories étanches. Depuis la Figuration Libre des années 80 jusqu’à son Musée International des Arts Modestes (MIAM) à Sète, il creuse le sillon d’un art affranchi des chapelles, puisant autant dans la bande dessinée que dans l’artisanat du bout du monde. Au Mucem, il trouve un écrin à la hauteur de son appétit.
« Un air de famille », le titre de l’exposition présenté au Mucem, s’impose comme une évidence pour l’artiste : « C’est d’abord la grande famille de ceux qui s’intéressent aux choses marginales, aux objets de peu. Le Mucem a une collection extraordinaire d’art populaire, qui prolonge celle des Arts et Traditions Populaires, autrefois à Paris, et le MIAM, d’une manière plus modeste, est dans cette même lignée. »
Mais cette famille est immense. Hervé Di Rosa a eu accès aux trésors des réserves du Mucem, un bâtiment de 7 600 m² dans le quartier de la Belle de Mai, où dorment pas moins de 336 000 pièces, entre art populaire et objets du quotidien. Un véritable musée dans le musée, où s’entassent aussi un kilomètre linéaire d’archives, documents papier, sonores et audiovisuels. Un gisement infini dans lequel l’artiste a puisé pour construire son exposition, jouant avec la profusion, l’accumulation et les échos entre les époques.

Un parc d’attractions artistique
Dès l’entrée, une sculpture monumentale en papier mâché salue les visiteurs. Plus loin, des jougs de bœuf semblent s’échapper dans les airs, une moto de manège trône à côté d’une céramique vietnamienne et un fusil de trois mètres dialogue avec des appelants en bois sculptés par Marius Di Rosa, le père de l’artiste.
Le ton est donné. Cette exposition est « un parc d’attractions artistique », un lieu où l’art se joue des hiérarchies et se déploie comme une fête foraine où chaque objet, chaque œuvre, propose une nouvelle attraction. Ici, pas de distinction entre le noble et le modeste.
Tout ce qui vient du Mucem a une fonction : des objets d’usage, modestes ou précieux, qui racontent des gestes et des traditions. Ce qui n’en vient pas ? Une infinité de figurines, issues de tous les imaginaires, du jouet d’enfant au fétiche de bazar.

L’art du grand écart
Il ne s’agit pas d’un simple face-à -face entre ses œuvres et celles des anonymes du passé. Di Rosa préfère parler de mise en relation, d’un entrelacement où chaque pièce trouve un écho dans son univers. « Ce ne sont pas des dialogues, parce que les objets ne parlent pas, explique-t-il. C’est une question de proximité, de tension entre eux, de la façon dont ils s’agencent et interagissent dans l’espace. »
Le parcours prend des allures d’archipel, éclaté en quinze îlots (Sous l’eau, À table, Motos, Perles, Opéra, Robots, Canardières….) où se côtoient cabinets de curiosités, clins d’œil à Marseille et morceaux d’enfance, comme des Å“uvres de son père, qui n’est plus là aujourd’hui. « Il était chasseur, et la chasse occupe une place entière dans les collections du Mucem. J’ai pu sélectionner une canardière qui vient enrichir et compléter sa série d’oiseaux peints, réalisée entre la fin du XXe et le début du XXIe siècle. C’était une façon de prolonger son travail dans cet ensemble, en résonance avec l’univers de l’exposition. »
L’artiste a aussi réalisé une série de portraits de Marseillais, suspendus comme une résille métallique, hommage appuyé à Rudy Ricciotti, l’architecte du bâtiment J4. « Marseille, c’est le mouvement, la rencontre, l’énergie. C’était évident d’en faire une fresque vivante. J’ai même trouvé une entreprise marseillaise pour découper ces portraits au laser, un clin d’œil à la résille du Mucem. » Car toujours et où qu’il vive, Hervé Di Rosa travaille avec les artisans du lieu. Ceux qui partout dans le monde, savent actualiser leur savoir-faire à chaque génération, pour créer des oeuvres destinées aux lieux où elles apparaissent, aux gens qui y vivent.

De l’ombre à la lumière
Au Mucem, Di Rosa ne fait pas que résonner avec les collections, il s’y frotte, les chahute et les revitalise. Son art, faussement naïf, ne craint ni la surcharge ni le mauvais goût. Il puise dans l’art modeste une énergie brute, rappelant que les objets de la vie quotidienne peuvent aussi raconter nos histoires collectives.
« J’ai choisi des objets qui n’attirent pas l’œil au premier regard, comme des jougs de bœufs, des armoires, un vaisselier… Ce sont des objets un peu arides, que personne ne regarde vraiment. Mais pour moi, ils racontent des choses essentielles. »
Dans ce joyeux capharnaüm, chaque vitrine est un petit théâtre et chaque œuvre un prétexte à la narration. Le peintre joue aussi sur les effets de lumière et de mouvement, utilisant par exemple une boule lumineuse qui projette des ombres mouvantes sur les murs « Aujourd’hui, on est saturés d’expositions numériques, de projections immersives. Là , j’ai voulu revenir à quelque chose de simple : des objets réels, une lumière bien placée. Ça suffit pour faire vivre l’espace. »

L’atelier du regard
L’exposition, préparée depuis 2018 avec le conservateur en chef du Mucem Vincent Giovannoni et Jean Seisser, directeur artistique, complice de longue date de l’artiste a permis de restaurer certaines pièces majeures et de construire un parcours qui reflète les différentes facettes du travail de Hervé Di Rosa. Un travail d’assemblage, d’expérimentation, mais surtout de générosité, même si l’artiste s’en amuse.
Une chose est sûre : au Mucem, Hervé Di Rosa ne laisse personne indifférent. L’art populaire, souvent relégué au second plan, prend ici toute la lumière, porté par un artiste qui a toujours préféré les marges aux musées. Jusqu’au 1er septembre, il invite à un voyage sans hiérarchie, où chaque objet, du plus modeste au plus spectaculaire, retrouve sa place dans une grande et joyeuse famille.
Texte : Narjasse Kerboua – Reportage photo : Alain Robert

Ne manquez pas la soirée d’ouverture festive
Le mercredi 12 mars, le Mucem ouvre en grand les portes de l’exposition « Hervé Di Rosa, Un air de famille » avec une soirée spéciale, mêlant art et musique, à partir de 16 heures. Au programme :
– Visites commentées de l’exposition
– Prise de parole de Hervé Di Rosa et Vincent Giovannoni, commissaire de l’exposition
– Concerts live avec Théo Ould, accordéoniste virtuose et révélation des Victoires de la musique classique 2023, et Pleasures, groupe marseillais oscillant entre rock et power pop. Un rendez-vous incontournable pour plonger dans l’univers foisonnant d’Hervé Di Rosa.
Entrée libre.
