Voile – Les Marseillais Jérémie Mion et Jean-Baptiste Bernaz se lancent le défi du 49er

Photo B.G.

Après plusieurs participations aux Jeux olympiques, respectivement en 470 et en laser, les deux skippers du pôle France voile de Marseille repartent de zéro, à bord du dériveur double 49er, avec les JO de Los Angeles 2028 dans le viseur.

Comme après chaque Olympiade, le mercato de la voile a été animé au sortir de Paris 2024. Ce fut le cas tout particulièrement sur les bords de la Méditerranée, avec Camille Lecointre qui s’engage comme tacticienne en SailGP ou Lou Berthomieu qui passe du Nacra 17 au 49er FX, avec Mathilde Lovadina.

Mais la palme de la plus grosse surprise revient à des « petits jeunes Â» toujours plein d’envie : Jean-Baptiste Bernaz, après cinq participations consécutives aux JO en laser (5e à Rio 2016), et Jérémie Mion, trois JO d’affilée en 470 (6e en 2024), ont décidé de tout chambouler et de s’associer. « C’est un projet un peu dingue ! Â», s’enthousiasme ce dernier.

Cela ne s’est pas fait sur un coup de tête. « Super potes Â» dixit Mion (ils sont même partis en vacances cet été en bateau en Corse avec leurs compagnes), les deux avaient émis cette folle idée dès 2016. « On en avait parlé en rigolant avant Rio, en disant qu’on essaierait après les JO, explique Bernaz. Le timing n’a pas fonctionné à l’époque, on n’avait pas fini d’accomplir ce qu’on avait à faire dans nos catégories respectives. Â»

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Un vrai « renouveau Â»

Revenus sans médaille d’une nouvelle campagne olympique, qui plus est disputée dans la rade de Marseille, l’heure de prendre la retraite sportive n’a pourtant pas encore sonné. A 37 et 35 ans, les deux skippeurs marseillais d’adoption changent également d’embarcation : les voilà sur 49er (prononcez Fortyniner). Un dériveur, olympique depuis 2000, long de 4,99 mètres et qui se navigue à deux.

« Ã‡a fait vachement de bien, il y a longtemps qu’on n’avait pas ressenti la motivation des débuts, de tout réapprendre, de sentir progresser tous les jours Â»

Malgré son immense expérience de la mer, le duo est reparti de zéro, fin septembre. « Ã‡a fait vachement de bien, il y a longtemps qu’on n’avait pas ressenti la motivation des débuts, de tout réapprendre, de sentir progresser tous les jours, décrit Jérémie Mion, qui n’avait connu que le 470 depuis 2007. C’est hyper gratifiant. Chacun de notre côté, on était arrivés un peu en haut du truc. Là, ça nous fait un renouveau. Â»

Comme des novices, ils ont évidemment dessalé (tombé à l’eau) au début, dû tout réapprendre sur ce bateau à trois voiles qui place les deux skippers au trapèze (sur les ailes latérales) et dû s’habituer à la coque plate, qui a vite fait de faire chavirer l’embarcation quand elle est vide. « C’est la particularité de ce support, il est instable, technique, très puissant, du coup la moindre erreur coûte cher Â», explique « Jer’ Â» Mion.

Dessaler, pour pousser les limites

« Au début, j’ai beaucoup dessalé, confie « Jibé Â» Bernaz en rigolant, mais c’est le cas sur tous les bateaux. C’est important, parce qu’on doit trouver les limites. Il faut chercher les sensations extrêmes. Aujourd’hui, on accélère un peu, on teste des choses un peu plus compliquées. Â»

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Si Mion avait l’habitude de naviguer à deux, Bernaz, lui, découvre les joies et les exigences du binôme : « Ce n’est pas évident, il faut avoir des timings bien réglés avec une autre personne, il faut que ça matche. Heureusement, on est de la même génération, au même moment de nos carrières, avec l’envie de faire la même chose. C’est une super occasion Â».

Les deux « anciens Â» de l’équipe de France de voile olympique vont pouvoir mettre à profit leur expérience de baroudeurs des mers. Ils peuvent également s’appuyer sur deux avantages importants. D’abord, leur corpulence.

Un gabarit idéal

« On a vraiment un super gabarit pour ce bateau Â», explique Jérémie Mion. Car, sans dire d’être lourd, il faut de la masse en appui constant pour faire contre-poids. « Je me battais depuis des années pour être le plus léger possible sur 470, ce qui allait à l’encontre de mon gabarit. Donc passer sur le forty, c’est un soulagement. Â»

L’autre point fort de leur aventure réside dans leur apprentissage : ils peuvent compter les conseils d’une paire experte en la matière, les Marseillais Julien D’Ortoli et Noé Delpech, qui avaient terminé cinquièmes à Rio en 2016 et leur ont vendu le bateau, grand-voile frappée du numéro 51.

« On sent qu’ils sont super à l’aise. Ce sont de très grands compétiteurs, ils connaissent le métier, constate Julien D’Ortoli, qui les suit régulièrement sur le zodiac.  Ils ne sont pas tout jeunes les pépères, alors c’est marrant de les voir apprendre un bateau. C’est une question de sensations, de feeling, de cohésion avec son coéquipier. Â»

Une formation accélérée auprès de D’Ortoli et Delpech

Membre du célèbre duo « JuNo Â», D’Ortoli professe une formation accélérée, « pour directement leur donner de bonnes habitudes Â». « On essaie d’amener tout ce qu’on a appris, détaille-t-il. Avec Noé, on a fait du Forty pendant au moins quinze ans, on connaît vraiment bien ce bateau, on en est toujours aussi fascinés. C’est un vrai concentré de technique, de tactique, de fins réglages, de sensations. On voit à quel point c’est cool de s’entraîner, même de tirer des bords tout seuls, de faire des manoeuvres. La technique n’est pas toujours parfaite et elle ne le sera jamais parce que c’est super exigeant. Même moi quand je navigue, j’apprends toujours des choses à leur contact, avec leur vision, leur point de vue, leur ressenti. Â»

« La route est longue, on part quasiment de zéro. Si ça passe tant mieux, sinon on aura vécu une expérience extraordinaire. En tout cas, l’objectif est clair. Le but est non seulement d’aller aux Jeux, mais aussi de ramener cette médaille qui nous manque toujours à tous les deux Â»

Compétiteurs dans l’âme, Jean-Baptiste Bernaz (le pilote, qui tient la barre à l’arrière) et Jérémie Mion (l’équipier) ne font pas mystère de leurs ambitions. Même s’ils sont lucides sur leur marge de progression et sur le fait que, parmi leurs concurrents en France, figurent les champions du monde 2024 Clément Péquin et Erwan Fischer (12es des JO) et les champions d’Europe 2023 Lucas Rual et Émile Amoros. Rien que ça…

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De l’ambition et une grosse concurrence

« On sait très bien que c’est un gros challenge que de changer de catégorie, à nos âges assez avancés, sur un bateau vraiment différent, assure Bernaz. On a envie de gagner ; on va attendre un petit peu pour retrouver le goût de la victoire, mais on met tout ce qu’il faut pour. Â»

Ils auront 41 et 39 ans au moment des JO de Los Angeles en 2028. Pas de quoi freiner leurs ardeurs. « Oui, la route est longue, on part quasiment de zéro, ajoute Jibé Bernaz. Si ça passe tant mieux, sinon on aura vécu une expérience extraordinaire. En tout cas, l’objectif est clair. Le fait d’avoir des compatriotes très forts est un avantage, le but est non seulement d’aller aux Jeux, mais aussi de ramener cette médaille qui nous manque toujours à tous les deux. Â»

L’exemple de Picon et Steyaert en 2024

« Pour l’instant on n’en est pas là, rappelle Jérémie Mion. On prend du plaisir à aller sur l’eau pour ne pas dessaler. On y croit à mort. C’est grisant. Charline (Picon) et Sarah (Steyaert) nous ont montré que c’était possible cet été ! Â»

En effet, il ne leur a pas échappé que les deux navigatrices de la « mama team Â» ont décroché la médaille de bronze aux JO 2024, à Marseille, en 49er FX, la version féminine et raccourcie. A 39 ans, Picon restait sur deux médailles en planche à voile (or en 2016, argent en 2021). Steyaert (36 ans), de son côté, comptait trois participations sur deux supports : laser (2008, 2012) et 49er FX (2016).

Un bel exemple à suivre, assurément, pour Bernaz et Mion.

Benoît GILLES