Marc Touati : « La situation économique de la France est devenue incontrôlable »

Marc Touati. Economist Marc Touati at the 24th edition of the entrepreneurs forum organized by Upe 13 at the Orange Velodrome in Marseille, Southern France, on October 10, 2024. Marc Touati economiste pendant la 24eme edition du forum des entrepreneurs organisee par l Upe 13 a l Orange Velodrome a Marseille le jeudi 10 octobre 2024.
Marc Touati, au Forum des Entrepreneurs. © Alain Robert

À l’occasion du Forum des Entrepreneurs, l’économiste Marc Touati a livré une analyse sans concession de l’état de l’économie française. Entre un déficit public hors de contrôle et une hausse de la pression fiscale, il met en garde contre les conséquences d’une gestion qu’il juge catastrophique.

Le Méridional. Marc Touati, vous êtes l’un des économistes les plus actifs dans la vulgarisation des enjeux économiques auprès du grand public, notamment à travers vos interventions sur les plateaux TV et sur votre chaîne YouTube. Quelle est la réalité de l’activité économique aujourd’hui en France ? Est-ce aussi préoccupant que certains l’affirment ?

Marc Touati. Malheureusement, oui. L’activité économique en France va mal, mais ce qui est encore plus inquiétant, c’est l’état de nos finances publiques. C’est catastrophique, il faut dire les choses comme elles sont.

Le déficit public est totalement incontrôlable. L’an dernier, on nous avait promis une réduction du déficit, mais il a finalement augmenté. Et cette année, l’augmentation est énorme.

Bruno Le Maire avait annoncé un déficit public de l’ordre de 5 % du PIB, mais nous sommes déjà à 6,5 %, voire 7 %. Cela représente environ 200 milliards d’euros de déficit pour l’année, soit 100 milliards de plus que prévu. C’est énorme.

En quoi cela représente-t-il un danger pour l’économie ?

L’économie fonctionne sur la confiance. Sans confiance, il n’y a ni investissement, ni consommation, ni croissance.

Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où cette confiance est gravement mise à mal. Le problème ne date pas d’hier. Cela fait des années que je tire la sonnette d’alarme, mais les gouvernements successifs n’ont pas voulu écouter.

Depuis 1974, la France n’a pas connu d’excédent public. Chaque année, on accumule des déficits, et cela finit par peser sur la dynamique économique.

La situation actuelle est la conséquence d’années de mauvaise gestion. En effet, depuis 1980 la dépense publique a augmenté de 650 % en valeur, mais le PIB que de 530 % : 120 points d’écart !

Normalement quand on augmente la dépense publique, le PIB doit augmenter plus que celle-ci. Nous, c’est l’inverse ! Depuis les années 50 la dépense publique n’a jamais baissé en France : c’est un problème structurel. Mais l’heure de payer la facture est sans doute arrivée.

De g. à D. Christine Fabresse, présidente du directoire Caisse d’Epargne CEPAC / Christine Cabau Woehrel, CMA CGM / Laurence Bottero, rédactrice en chef Méditerranée Afrique
La Tribune, Marc Touati et Isabelle Patrier, directrice France TotalEnergies. © N.K.

Vous mentionnez l’impact des déficits sur la confiance et la croissance. Quels sont les autres indicateurs qui confirment cette dégradation ?

Tous les indicateurs avancés sont dans le rouge. Que ce soit dans l’industrie, les services, la consommation ou encore la construction, les signes sont mauvais. Nous assistons à une dégradation généralisée de l’activité.

Dans le secteur du bâtiment par exemple, les investissements ont fortement diminué. Tout cela montre que la confiance est en berne. Les ménages et les entreprises hésitent à investir ou à consommer.

Et pour ne rien arranger, la première mesure du nouveau gouvernement a été d’annoncer une augmentation des impôts. C’est totalement contre-productif. Nous sommes déjà le pays avec la pression fiscale la plus élevée au monde. Augmenter encore les impôts, c’est tuer définitivement toute dynamique économique.

Le budget de l’État pour 2025 est présenté aujourd’hui [hier, ndlr]. Quelles sont les prévisions pour le déficit public et les finances publiques ?

Comme on l’a vu, le déficit public pour cette année va probablement atteindre 7 % du PIB, soit 200 milliards d’euros. Et l’année prochaine, il sera très difficile de le réduire.

Les hausses d’impôts annoncées risquent d’avoir l’effet inverse de celui recherché. Lorsqu’on augmente les impôts, on freine l’activité économique. Cela réduit l’assiette fiscale, c’est-à-dire la base sur laquelle on prélève les impôts. On prélève donc plus, mais sur un gâteau qui devient de plus en plus petit.

Résultat : moins de recettes fiscales, plus de déficit, et encore plus de dette. À cela s’ajoute la hausse des taux d’intérêt, qui alourdit le poids de la dette publique. Cette année, les intérêts de la dette coûteront 60 milliards d’euros, et l’année prochaine, cela devrait grimper à 75 milliards. Juste pour payer les intérêts !

Pensez-vous qu’il y a un risque de dégradation de la note souveraine de la France par les agences de notation ?

Absolument. Pour être très honnête, la France aurait dû être dégradée il y a bien longtemps. Aujourd’hui, nous sommes toujours notés « double A – », mais c’est la dernière étape avant une dégradation vers le « simple A ».

Cela veut dire que la France est sur la sellette. Ce qui est paradoxal, c’est que des pays comme le Portugal, qui affichent un excédent public, sont notés « triple B », tandis que la France, avec ses déficits massifs, reste encore bien notée. Et d’ailleurs elle paie des taux d’intérêt plus élevés qu’eux sur sa dette ! À un moment, les agences de notation devront réagir.

Quels seraient les impacts d’une telle dégradation ?

Les conséquences seraient graves. Aujourd’hui, 54 % de la dette française est détenue par des non-résidents, et ce chiffre augmente chaque année.

En 2021, c’était 48 %. Si la France est dégradée, certains fonds d’investissement et caisses de retraite, qui ne peuvent acheter que des obligations notées « double A » ou plus, se détourneraient de notre dette.

Cela compliquerait le financement de l’État, d’autant que nous devons lever 300 milliards d’euros de nouvelle dette l’année prochaine.

Moins de demandes pour notre dette signifie des taux d’intérêt plus élevés, ce qui l’alourdirait encore notre dette et ralentirait davantage l’économie. Ce cercle vicieux pourrait mener à plus de récession, plus de chômage, et encore plus de déficit.

Vous décrivez un scénario sombre. Y a-t-il des solutions pour redresser la situation ?

Je veux rester optimiste, même si la situation est grave. Nous avons les moyens de sortir de cette crise, mais il faut avoir le courage de prendre les bonnes décisions. comme baisser les impôts et réduire drastiquement les dépenses publiques.

Cela fait des années que nous avons un problème de sur-dépenses publiques. Depuis les années 1950, la dépense publique en France n’a jamais baissé. Il est temps de réformer en profondeur. Tout cela demande une véritable pédagogie économique et, surtout, du courage politique, mais c’est la seule voie possible pour restaurer la confiance et relancer la croissance.

Emmanuel Martin

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