La dette publique, un levier ou une impasse ?

Avec une dette publique qui dépasse les 110 % du PIB, la France joue un jeu risqué. La question n’est plus de savoir si elle pourra la soutenir, mais jusqu’à quand elle pourra éviter un choc budgétaire qui fragiliserait son économie. Retour sur une bombe à retardement.

La dette publique française atteint un sommet de 3 159 milliards d’euros au premier semestre 2024, soit 110 % du PIB. Si cette dette a initialement été perçue comme un outil de gestion budgétaire et de relance de l’économie, elle est rapidement devenue un boulet qui freine la croissance et suscite des interrogations quant à sa soutenabilité à long terme.

Contrairement aux pays qui utilisent l’endettement pour financer des infrastructures ou soutenir des investissements porteurs, la France continue de s’enliser dans une dette « de fonctionnement ».

Elle sert à couvrir des dépenses courantes, comme les salaires des fonctionnaires, plutôt qu’à stimuler des projets créateurs de valeur économique. En cela, elle s’oppose à la logique d’un endettement productif, qui pourrait relancer une économie en difficulté.

Un écart grandissant avec les standards européens

Le Pacte de Stabilité et de Croissance européen fixe une limite de 60 % du PIB pour la dette publique. Avec 110 %, la France fait figure de mauvais élève, loin derrière des pays comme l’Allemagne.

Si l’Italie (134 %) et la Grèce (160 %) affichent des ratios plus élevés, ces pays ont entrepris des réformes visant à stabiliser voire réduire leur endettement, ce qui n’est pas encore le cas de la France.

À titre de comparaison, la moyenne européenne se situe à 81 %, ce qui laisse la France près de 30 points au-dessus.

Pire encore, la dette française représente aujourd’hui 25 % de l’ensemble de la dette publique de la zone euro. Une responsabilité lourde à porter, surtout en période d’incertitude macroéconomique.

La croissance, un atout en panne

Un des principaux défis que pose ce niveau d’endettement réside dans la faible croissance économique française. Une économie stagnante réduit mécaniquement les capacités de remboursement de l’État, notamment parce qu’elle limite les recettes fiscales.

En pratique, la France se voit contrainte de « rouler » sa dette, c’est-à-dire emprunter de nouveaux fonds pour rembourser ses créanciers. Cela alimente un cercle vicieux où la dette se nourrit d’elle-même, sans réelle marge de manœuvre pour freiner l’emballement.

De plus, le poids excessif de la dépense publique, qui représente 58 % du PIB, handicape d’autant plus le potentiel de relance. L’intervention étatique est devenue si omniprésente que le secteur privé, qui devrait dynamiser l’économie, voit son rôle réduit. L’endettement public, au lieu de stimuler la croissance, finit par l’asphyxier.

Le coût des intérêts, une épée de Damoclès

Un autre danger de cet endettement massif est le poids des intérêts à rembourser. Aujourd’hui, le service de la dette s’élève à 55 milliards d’euros par an, soit presque autant que le budget de l’Éducation nationale (63 milliards).

Ce montant, loin d’être anodin, représente un véritable coût d’opportunité : chaque euro consacré à rembourser les créanciers est un euro de moins pour financer les services publics essentiels ou investir dans l’avenir.

Si, jusqu’en 2022, les taux d’intérêt proches de zéro rendaient cette dette « tolérable », la situation a radicalement changé avec la remontée des taux. Désormais, la France emprunte à un taux autour de 3 % sur 10 ans.

Cette hausse, due à la politique monétaire resserrée de la Banque centrale européenne (BCE), alourdit le fardeau de la dette et réduit encore plus les marges de manœuvre budgétaires. Une éventuelle dégradation de la note souveraine de la France pourrait encore aggraver la situation.

Dépendance aux créanciers étrangers : un risque sous-estimé

Plus de 53 % de la dette publique française est détenue par des créanciers étrangers. Cette dépendance pose un risque considérable : la confiance des investisseurs est volatile et peut s’éroder rapidement, surtout dans un contexte de tensions politiques internes et de faibles perspectives économiques. Un retrait brutal des investisseurs entraînant une hausse des taux d’emprunt pourrait précipiter la France dans une crise financière majeure.

Le poids de la France au sein de la zone euro rend ce scénario particulièrement dangereux, non seulement pour l’Hexagone mais pour l’ensemble de la monnaie unique. Si la France vacille, c’est tout le projet européen qui serait ébranlé.

La dette, un piège politique et démocratique

Enfin, la dette publique soulève une question fondamentale : celle de la transparence démocratique. Financer les dépenses publiques par l’impôt implique un contrôle citoyen : les électeurs voient clairement l’impact de la fiscalité et peuvent demander des comptes à leurs dirigeants.

En revanche, le recours à la dette reporte le coût sur les générations futures et dilue la responsabilité des décideurs. C’est « l’illusion fiscale ». Le lien entre gouvernants et gouvernés s’affaiblit, laissant place à une forme de populisme budgétaire où les promesses de dépenses se multiplient sans considération pour les conséquences à long terme.

Le risque est double : d’un côté, des dirigeants enclins à dépenser sans compter, et de l’autre, des citoyens de moins en moins conscients du coût réel de ces dépenses, faute de ressentir immédiatement le poids de la fiscalité.

Face à cette situation, le statu quo n’est plus une option. Si la France veut éviter une crise budgétaire majeure, elle doit prendre des mesures drastiques pour réduire son endettement. Cela passe nécessairement par une réforme de ses dépenses publiques, mais aussi par une refonte de son modèle démocratique afin de redonner aux citoyens le pouvoir de contrôler et prioriser efficacement l’utilisation des deniers publics.

👁️ En un coup d’oeil.

La dette, c’est quoi ? La dette publique représente l’accumulation des déficits annuels des administrations publiques (État, collectivités locales, sécurité sociale). Autrement dit, c’est le montant que l’État emprunte pour financer la différence entre les prélèvements et les dépenses des administrations. Au premier semestre 2024, la dette publique française s’élève à 3 159 milliards d’euros, soit plus de 110 % du PIB. Ce chiffre ne prend pas en compte certaines dépenses futures, comme les retraites des fonctionnaires, qui alourdissent encore l’addition.

Par Emmanuel Martin –
Economiste à la Faculté de Droit et de Science Politique,
Aix-Marseille Université