[Décryptage] Budget 2025, les défis inédits d’un État en crise

Après l’interminable saga de la nomination d’un Premier ministre et un gouvernement toujours en construction, un nouveau chapitre majeur s’ouvre pour la France : celui du budget 2025. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que l’exercice n’aura pas été aussi périlleux depuis des décennies. Un véritable numéro d’équilibriste pour Michel Barnier. Décryptage.

Le Premier ministre et son équipe devront proposer un budget sous des contraintes multiples. La première, et sans doute la plus pressante, est celle des finances publiques. Un budget doit pouvoir être financé… de manière réaliste.

La dépense publique reste à un niveau historiquement élevé. Si elle est augmentée pour répondre aux revendications sociales ou aux pressions venant de l’aile gauche, le déficit s’emballe encore plus.

D’ailleurs, l’ancien ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, alertait début septembre sur une déviation de 16 milliards supplémentaires pour 2024. Les experts de Bercy préconisent 110 milliards d’économies sur trois ans.

Baisser la dépense ?

Réduire les dépenses publiques de manière conséquente (« politique d’austérité ») pourrait provoquer, à court terme, une mini-récession (baisse de l’activité économique), entraînant une diminution des revenus fiscaux. Deux conséquences majeures se dessinent : un mécontentement social aux répercussions politiques, rappelant le feuilleton des Gilets Jaunes, et une baisse des recettes fiscales qui ne ferait qu’aggraver le déficit à court terme.

Pourtant, il est possible de réduire la dépense publique, notamment en ciblant les inefficiences, les gaspillages, et les subventions non justifiées. Le tout, sans créer d’injustices, ce qui requiert un débat démocratique.

De plus, le secteur privé doit être en mesure de prendre le relais en matière de création de valeur et d’emplois afin de compenser ces ajustements et stimuler la croissance.

Augmenter les impôts ?

Du côté des prélèvements, le gouvernement pourrait envisager une hausse des impôts pour combler les trous, mais cela risquerait de pénaliser l’activité économique. Souvenez-vous des augmentations sous François Hollande en 2012 (près de 100 milliards) et de la récession qui s’ensuivit. Bruno Le Maire a déjà écarté cette option.

Cependant, Michel Barnier a évoqué la possibilité de « justice fiscale ». Des propositions telles que l’augmentation de la tranche marginale de l’impôt sur les hauts revenus, une taxe sur les super-profits des énergéticiens, ou encore la surtaxation des dividendes sont sur la table. Toutefois, ces mesures sont loin de faire l’unanimité, notamment en raison de l’importance stratégique d’entreprises comme EDF.

Une baisse des impôts pourrait, sous certaines conditions, relancer l’activité économique à moyen terme, surtout au vu du niveau de pression fiscale en France (46% du PIB !), mais elle creuserait le déficit à court terme. Pour l’instant, cette voie semble écartée.

Sous surveillance

Les questions de « mécanique financière » doivent également composer avec deux autres contraintes cruciales : Bruxelles et les investisseurs internationaux. La France affiche la dépense publique la plus élevée au monde (58 % du PIB) et une dette publique vertigineuse (110 % du PIB) – seules la Grèce et l’Italie sont dernière nous !

Les déficits se succèdent depuis 1974, et le « pacte de stabilité et de croissance » européen n’a été respecté que trois fois depuis le lancement de l’euro en 2002.

En juillet 2024, la Commission européenne a ouvert une procédure pour déficit excessif contre la France. Résultat : Michel Barnier a dû demander à Bruxelles un report pour la présentation du plan de redressement des comptes publics, initialement prévue le 20 septembre.

Pire encore, une demande de report du rétablissement du déficit à 3 % de 2027 à 2029 est également en cours. Les investisseurs pourraient perdre confiance face à cette incapacité à freiner les dérives budgétaires. Si les taux d’intérêt flambaient, le spectre de la faillite financière deviendrait une réalité.

Tensions politiques

Sur le plan économique, les choses sont déjà délicates, mais l’équation politique complique encore davantage la situation pour le Premier ministre. L’Assemblée nationale est fragmentée et sans majorité claire, et Monsieur Barnier vient d’un parti qui a réuni moins de 5 % des voix avec 39 sièges sur 577 aux législatives. La gauche pousse pour encore plus de dépenses publiques et de taxation des hauts revenus, tandis que la droite s’oppose fermement à toute hausse d’impôt.

La France Insoumise envisage déjà de déposer une motion de censure, et une alliance temporaire avec le Rassemblement National pourrait menacer de renverser le gouvernement. Le recours au 49.3, qui permettrait d’éviter les blocages parlementaires, semble politiquement risqué pour Barnier.

Les anciens ministres ont anticipé en travaillant sur le budget durant l’été, mais Michel Barnier a promis « écoute et respect ». Cela laisse penser que ce budget initial sera sujet à des ajustements, générant des débats parlementaires animés.

Le temps presse, et même si un gouvernement est formé cette semaine, il semble difficile de débuter les discussions à l’Assemblée dès le premier mardi d’octobre, comme en dispose la loi.

Le spectre d’un budget non voté d’ici le 31 décembre plane également. Bien que certains juristes assurent qu’un « shutdown » de l’État est peu probable, le principe de continuité de la nation pourrait en souffrir, avec un risque de perte de confiance des investisseurs. Bref, ce budget 2025 s’annonce comme l’un des plus complexes à élaborer depuis des décennies.

Par Emmanuel Martin –
Economiste à la Faculté de Droit et de Science Politique,
Aix-Marseille Université

👁️ En un coup d’oeil.

Le budget, c’est quoi ? Cette semaine nous avons choisi d’évoquer le budget. Il s’agit essentiellement de l’État, (et non, par exemple, celui de la Sécurité sociale, qui fait l’objet d’une autre loi de finances). Comme pour un ménage, le budget de l’État se compose annuellement de recettes, provenant des prélèvements (impôts comme la TVA*, l’impôt sur les sociétés, ou l’impôt sur le revenu), et de dépenses (éducation nationale, police, défense, justice, etc.). Si les dépenses dépassent les recettes, il y a un déficit, généralement exprimé en milliards d’euros (155,3 milliards d’euros en 2023).

Il est important de distinguer ce déficit de l’État du « déficit public », qui regroupe toutes les administrations publiques (État, collectivités locales, Sécurité sociale) et qui est exprimé en pourcentage du PIB (5,5 % du PIB). Les deux montants sont souvent proches en raison de compensations entre administrations (154 milliards de déficit public en 2023). La dette correspond à l’accumulation des déficits annuels.

*Note : La TVA, bien que nommée « taxe », est en réalité un impôt. Un impôt n’est pas affecté à une dépense spécifique, contrairement à une taxe. La TVA est d’ailleurs la principale source de recettes fiscales (176 milliards en 2023), loin devant l’impôt sur le revenu (113 milliards).

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