Economie – INPP : Vers une reprise en main de l’expertise hyperbare par l’Etat ?

Crédit photo : Rudy Bourianne

Après la liquidation judiciaire de l’INPP le 18 juin dernier, la question aujourd’hui est de savoir ce qui va rester de l’association marseillaise. Notamment, la poursuite des missions de service public dont l’INPP avait la charge comme s’en inquiète le Groupement des Acteurs de l’Hyperbare (GAH) réunit en urgence. Projet dans les tuyaux depuis plus d’un an, le centre national d’expertise hyperbare se profile.

Dès le lendemain de la décision judiciaire de liquider l’Institut national de plongée professionnelle (INPP), la député sortante Claire Pitollat s’engageait sur son profil LinkedIn, en campagne pour sa réélection dans la circonscription des 7e et 8e arrondissements de Marseille, non pas à sauver l’INPP, mais à poursuivre le travail entamé avec le Secrétariat Général de la Mer (SGmer). L’objectif : la création d’un centre nationale d’expertise hyperbare (CNEH). Cette prise de position rapide interroge tant sur le timing que sur les contours du projet encore flou à ce jour et pourtant nécessaire. Tant pour la profession de hyperbare que pour le rayonnement de la France et de Marseille par l’histoire et l’héritage que porte l’association depuis cinquante ans. Dans un dossier où les responsabilités sont multiples, du côté des institutions, chacun défend sa position sans en savoir forcément plus sur la suite à venir après la liquidation de l’Institut national de plongée professionnel.

Une bouteille à la mer

« Avant le dépôt de bilan de l’INPP, il y a eu tout un travail du service de l’Etat que j’ai appuyé pour savoir quelle nouvelle structure pouvait émerger en partant du constat qu’il y avait de réelles difficultés de gouvernance au sein de l’INPP, un déficit budgétaire et des investissements à avoir pour rénover tout l’ensemble en étant conscient que l’INPP est une expertise en terme de plongée professionnelle inégalée en France et un héritage, » nous déclare Claire Pitollat, candidate Renaissance dans la 2e circonscription.

Lors de la conférence de presse donnée par le président de l’INPP, Frédéric Ronal, pour annoncer la liquidation inévitable de l’Institut, le 14 juin dernier, ce dernier était revenu sur le projet étatique de créer ce fameux CNEH. Initialement, en intégrant l’INPP puis en dissolvant ses compétences à terme au sein de la nouvelle infrastructure.

Hors le manque temps et de soutiens n’ont pas permis à l’INPP de passer au-delà des écueils. Sous plan de sauvegarde depuis 2017, il manquait selon son président près de 300 000 euros à l’Institut pour survivre aux nombreuses vagues subies, dont le retrait de certification à faire des formations par BCS, première source de revenu de l’association et dont le tribunal administratif de Marseille avait annulé la décision le 10 juin dernier en imposant un retour de la certification à pouvoir exercer. Le dernier coup de butoir. Après le deuxième retrait de certification par BCS, l’alerte était donnée par la direction de l’association. « Si vous ne nous aidez pas, on ne va pas tenir, il faut nous aider financièrement pour ne pas se retrouver en cessation de paiement et donner le temps que la procédure judiciaire aille à son terme » avait alerté Fréderic Ronal aux administrateurs de l’institut national. Une bouteille à la mer.

Compétence stratégique pour l’Etat, la France grâce à Marseille à sa proue est pionnière en terme d’hyperbarie. « Ce n’est pas l’Etat qui a fait défaut. J’ai sollicité toutes les collectivités pour qu’elles soient actives, le préfet a été mobilisé pour faire en sorte que ça s’active pour trouver une solution. On est dans un pays décentralisées, les collectivités territoriales ont leur mot à dire. Quand on parle de formation professionnels, c’est le champ de la région, quand on parle d’un espace sur un port, c’est le champ de la métropole et d’attractivité d’un territoire et de patrimoine, c’est le champ de la Mairie », ajoute la député sortante Claire Pitollat.

Contacté sur les questions de gouvernance et de soutien, Hervé Menchon, adjoint au Maire de Marseille en charge de la biodiversité marine, de la gestion, de la préservation et de l’aménagement des espaces marins littoraux et insulaires, des plages et des équipements balnéaires, du nautisme, de la voile et de la plongée, du développement de la tradition de la mer et du large est étonné de voir la Mairie ainsi citée. Il insiste sur sa présence aux diverses réunions organisées pour trouver des solutions aux problèmes que rencontraient l’INPP. « Nous restons encore à dispositions des acteurs de l’INPP pour voir comment on peut rebondir parce que la ville de Marseille n’accepte pas qu’un pôle d’excellence mondial comme l’INPP coule par absence de soutien des autres collectivités. » L’adjoint au Maire ajoute en revanche n’avoir jamais vu Claire Pitollat aux réunions de l’INPP. « Ça a été la grande absente », déplore t-il. « Les soutiens d’une structure comme l’INPP aurait dû être nationaux et c’est de ce que côté là ça a pêché. Il y a même eu des bâtons dans les roues. » « Comment peut-on travailler quand Macron passe son temps à dissoudre ses ministres ? C’est comme ça que des gros dossiers comme l’INPP finissent pas foirer. Là haut, il n’y a personne qui suit les dossiers. Ils passent leur temps à se demander s’il sont ministre ou pas ministre. Il y a eu un vrai manque de suivi au niveau de l’Etat », se défend l’adjoint marseillais.

Les fautes se renvoient de l’un à l’autre. Ici, l’Etat, là, les collectivités. Interrogés sur les raisons, les blocages de cette disparition, un dénominateur commun semble émerger, les erreurs manifestes de gestion de l’association depuis l’ouverture à la concurrence il y a une dizaine d’années.

Autre collectivités à se défendre, la Région. « La position de la Région était très claire depuis le début. J’ai sollicité des rencontres avec le Préfet qui a joué le jeu et l’ensemble, mais la situation était bloquée du côté de la Métropole puisque la Métropole voulait récupérer les locaux, » nous explique Christophe Madrolle, Conseiller Regional Sud, président de la commission biodiversité, mer ,littoral, parcs régionaux. Il était alors prévu que l’INPP puisse déménager du côté de l’Estaque si l’association avait tenu ou que la direction ait pris le problème à bras le corps en anticipant le déménagement sur un autre site. « Quand il y a eu des grosses difficultés financières, on a demandé l’audit qu’on a eu. A partir de là, on accompagné l’Etat dans l’INPP. Si l’Etat ne mettait pas un euro, la Région ne mettait pas un euro dans l’INPP« , ajoute le conseiller régional.

Face à la disparition de l’INPP, un Groupement des Acteurs de l’Hyperbare (GAH) s’est réuni en urgence pour trouver des solutions tant pour les 28 salariés que pour le suivi et la poursuite des missions de service public dont l’INPP était en charge sous la tutelle de cinq ministères (Mer, Travail, Armées, Intérieur, Culture).« Si il y avait eu des acteurs de la profession au Conseil d’administration, premièrement, on aurait fait une alerte publique au moment de la demande de signature en liquidation. Deuxièmement, dans des décisions stratégiques d’investissements qui auraient été non fructueuses, on aurait émis une énorme réserve. Troisièmement, dans l’implantation du « refresh » des scaphandriers, on aurait mis une condition de temps de travail« , détaille le GAH sur une infime partie des erreurs constatées dans la gestion de l’INPP. Erreur ciblée par exemple par les professionnels du secteurs, certaines décisions de la Direction Générale du Travail DGT) défavorables aux travailleurs français sur le marché international.

Face à ces interrogations, dont celle de savoir ce qu’il adviendra des données régaliennes que détient l’INPP et de leurs importances pour les professionnels, si l’élue sortante déplore et comprend l’urgence à agir, aucune solution n’est proposée dans l’immédiat. « C’est au directeur et le président de l’INPP de faire en sorte que ces données soient consultable au besoin », nous déclare la député sortante des 7e et 8e arrondissement de Marseille.

Au sujet des salariés, Hervé Menchon affirme la volonté « que les talents et l’excellence des acteurs de l’INPP soient à nouveau réinvestis dans le nouveau projet. Les gens qui sont à l’INPP, qui ont travaillé pour l’INPP ont du mérite. Ce sont des stars de la plongée hyperbare. Ce sont des talents, un savoir-faire qu’il ne faut pas laisser partir ailleurs, qu’on doit préserver. C’est même une question de stratégie. Une stratégie économique, une stratégie pour les fonds marins. Cette expertise ne doit pas disparaître ». Et d’ajouter aux différentes inquiétudes et éventuelles sollicitations par rapport aux datas : « Je reste à disposition tout l’été. Je n’attendrai pas l’automne pour rencontrer tout ceux qui désirent me rencontrer et avoir le soutien du Maire de Marseille et des réponses ou des soutiens quand la Mairie n’est pas compétente sur les problèmes qui sont posées. On va veiller à faire en sorte que tout se passe avec le moins de dégâts possibles même si le pire est arrivé. »

Avec la disparition de l’INPP, l’IMCA, association internationale qui valide les certificats sur le marché du travail industriel maritime à l’étranger, n’a plus d’interlocuteur reconnu par elle en France. Face à cette situation, les stagiaires qui font aujourd’hui des formations de scaphandrier en France ne pourront plus voir leur Certificat d’Aptitude Hyperbare reconnu à hors-Hexagone.

La création CNEH sur les cendres de l’INPP ? Où, quand, comment ?

Sollicité et averti par Claire Pitollat de la situation de l’association, le Secrétariat Général de la Mer a pris acte et répondu par une lettre en date du 12 juin 2024 se concluant par la volonté d’avancer vers la création d’un CNEH : « Dans ces conditions, et sur proposition de la préfecture de région Provence-Alpes-Côte d’Azur, j’envisage donc de confier la préfiguration d’un projet de centre national d’expertise hyperbare à un établissement public local situé sur le territoire de la métropole Aix-Marseille. Ce projet de centre national aura pour vocation d’assurer la continuité des missions de service public relatives à l’encadrement du travail hyperbare, indépendamment des activités de formation professionnelle relevant, elles, du marché concurrentiel. La préfiguration de cette nouvelle organisation devrait être aboutie pour la fin de cette année. »

La question des modalités de la création du CNEH sont désormais au cœur de l’héritage que laissera l’INPP. Symbole dans le monde de la plongée, le trou d’air laissé au sujet des questions régaliennes de certifications et de stockages de datas stratégiques relatives aux diplômés de l’INPP, aux contrôles de qualités d’équipements par exemple, sont autant d’interrogations en suspens qui font planer des risques pour les professions de l’hyperbare.

« On se réjouit même si c’est un petit tard et on attend la main tendue pour être assis autour de la table afin de ne pas refaire les mêmes erreurs que lors de l’administration et la gestion de l’INPP c’est à dire l’absence de membre actif de la profession au sein du comité de pilotage, » répond le GAH à la volonté d’activer le plan CNEH dans les tuyaux depuis des années.

Pour les collectivités locales, aucun détail concernant le futur projet n’est encore acté. Où sera le futur projet ? Qui en sera à la gouvernance et sous quelle forme ?

« Je veux que ce soit à Marseille. C’est un pôle d’excellence. Marseille est la première ville côtière de France, c’est une capitale de la plongée. La disparition de l’INPP est un scandale et si le CNEH n’arrivait pas sur Marseille, ça serait un véritable scandale et un véritable casus belli, » insiste l’adjoint au Maire en charge du dossier, Hervé Menchon.

« L’INPP dans son fonctionnement actuel est enterré mais je continue à penser que l’outil INPP s’inscrit durablement dans l’histoire de la plongée à Marseille. J’espère que ce n’est qu’un au revoir. Il y a eu une gestion un peu compliqué. Je pense qu’on va réussir à recréer un centre national de plongée du niveau de l’INPP« , espère quand à la suite, le conseiller régional en charge de ces question Christophe Madrolle.

Si à l’heure actuelle, rien est précisé sur la marche à suivre pour les professionnels quant aux datas détenues par l’INPP, ni si le futur CNEH sera bien à Marseille, le sort de l’association marseillaise se dessine à traits fins en pleine campagne des élections législatives anticipées.

Rudy Bourianne

Rudy Bourianne est journaliste.