Le 19 juin prochain, Ara Khatchadourian portera la flamme olympique au sommet du Mont Ventoux, une étape symbolique pour ce « citoyen du monde » qui enchaîne les exploits pour la paix. De l’Everest à Erevan, Le Méridional dresse le portrait de ce sportif et conférencier, à quelques jours de cet événement marquant.
Marseillais d’adoption, Ara Khatchadourian a toujours suivi une discipline rigoureuse, bien qu’il préfère parler de « pratique » plutôt que de travail.
Depuis l’ascension de l’Everest, sa traversée à la rame entre Marseille et Beyrouth, ou encore les marathons qu’il a courus, jusqu’à son incroyable périple entre Marseille et Erevan, ville de ses origines, il a constamment fait preuve d’une ténacité nourrie par son parcours de vie.
Le 19 juin, il aura l’honneur de porter la Flamme Olympique au sommet du Mont Ventoux, avant de relever un autre défi de taille : un gainage dynamique de 24 heures le 21 septembre au Cercle des Nageurs de Marseille, à l’occasion de la Journée mondiale de la Paix.
Parallèlement, Ara est un membre actif et parrain de l’association T’Cap 21, où il accompagne des jeunes atteints de trisomie 21 dans des activités sportives.
Un aventurier au grand cœur
Souriant, affable, Ara Khatchadourian n’a pas, au premier regard, l’apparence typique de l’aventurier qui a conquis l’Everest ou traversé la Méditerranée à la rame. Mais à mesure qu’on s’approche, son corps massif et tonique témoigne d’années de défis extrêmes.
Né au Liban dans une famille arménienne, Ara a trouvé refuge à Marseille à l’âge de 19 ans, fuyant une guerre dévastatrice. Accueilli par son oncle, il débute dans la joaillerie avant d’ouvrir sa propre boutique. C’est à 40 ans, tardivement, qu’il découvre la course à pied, sans se douter que cette passion changerait le cours de son existence.
Depuis, il enchaîne les exploits sportifs, tout en portant un message de paix et de dépassement de soi, qu’il partage aujourd’hui avec la jeunesse et tous ceux prêts à écouter.
Des montagnes du Liban à Marseille, itinéraire d’un joaillier
Des montagnes du Liban à Marseille, itinéraire d’un joaillier
L’enfance d’Ara Khatchadourian est marquée par l’alcoolisme de son père et la dépression de sa mère. Il trouve refuge auprès de sa grand-mère au Liban. « On ne nous parlait pas à l’époque, on pensait qu’on était juste des tubes digestifs », se souvient-il. A six ans, il commence le scoutisme. Une bouffée d’air.
À 9 ans, la guerre éclate et sa famille se retire à la montagne. « Je faisais des petits boulots pour gagner un peu d’argent, vendeur de journaux, réparateur de vélos… mais mon père me rabaissait constamment », raconte-t-il.
Elève plutôt dissipé, à 15 ans, après des études peu brillantes, en manque de confiance, ses professeurs conseillent une voie manuelle. Il entre alors en joaillerie, effectuant des tâches simples comme balayer et servir le patron. « Je faisais le café et apportais les sandwichs, mais rien de plus », se souvient Ara, au Cercle des Nageurs de Marseille où il se prépare pour son prochain défi.
« il faut que tu voles ton métier, tu regardes comment travaille ton patron et tu recopies »
Ara Khatchadourian revient sur les leçons de vie qu’il a appris.
Payé une misère, Ara voit ses 50 livres libanaises s’envoler rapidement. Mais il écoute et apprend. Un ami lui conseille : « Il faut que tu voles ton métier, regarde ton patron et reproduis. » Sa grand-mère, elle, lui apprend à économiser.
À 19 ans, alors que la guerre fait rage au Liban, ses parents l’envoient rejoindre son oncle à Marseille. Avec 500 francs en poche, il débarque en France et trouve rapidement du travail chez un joaillier, d’abord au Prado, puis sur la Canebière. « Mon oncle m’a demandé ce que je savais faire. Je lui ai dit que j’étais joaillier. J’ai eu la chance de pouvoir travailler sans parler la langue. Ce métier, c’est universel : tu soudes, tu limes, tu polis », explique-t-il.
Ara se souvient aussi de son enfance en temps de guerre. « Gamin, on fabriquait des pistolets en bois et on jouait à faire des barrages comme les soldats. Les voitures s’arrêtaient pour nous faire rigoler », raconte-t-il avec émotion. Plus tard, il défendrait le Club de l’Union Générale de Bienfaisance Arménienne, cette fois avec de vrais fusils en main, pour éviter que l’immeuble ne soit pris.
Le travail acharné pour tenir une promesse
À Marseille, Ara Khatchadourian travaille sans relâche pour tenir la promesse faite à sa grand-mère : ouvrir sa propre boutique. Installé dans un petit appartement de 15 m² rue Sainte Basile, son salaire lui permet à peine de couvrir les frais de base. Mais il s’accroche, économisant rigoureusement.
Peu à peu, les 100 euros se transforment en 1000, lui permettant d’acheter du matériel et de déménager pour installer son atelier chez lui. « De 5h à 9h, je bosse chez moi, puis chez mon patron jusqu’à 19h, et de 19h à 2h du matin chez moi. Je triplai mon salaire », raconte Ara, déterminé à atteindre son objectif.
Avec une petite aide de l’État, 30 000 francs sans intérêt, il lance sa propre boutique et vend immédiatement ses premiers bijoux. Pour ne pas perdre de temps, il achète l’appartement au-dessus de son atelier.
C’est à cette époque qu’il rencontre une cliente, « une jolie fille », avec qui il aura un enfant. Mais la relation ne dure pas, Ara plaçant son travail en priorité. « Les commandes arrivaient, et je ne pouvais pas dire non. Si quelqu’un me demande un bijou pour demain, je m’assois toute la nuit et je le fais. »
À 40 ans, sa compagne part à la Réunion avec leur fils. « Je voulais réussir, prouver à mon père que je n’étais pas un cancre et rendre fière ma grand-mère. C’était ça, mon but. »
Un défi sur la Diagonale des Fous
À 40 ans, la vie d’Ara Khatchadourian prend un tournant radical. N’ayant jamais vraiment couru, il se laisse convaincre par un ami de l’accompagner dans sa préparation pour le marathon du Liban. Aux entraînements, il rencontre « une jolie fille » qui l’encourage à courir la course. « Pourquoi pas », lui répond Ara, fidèle à sa philosophie de vie. « À chaque fois que quelqu’un me propose quelque chose, je dis ‘pourquoi pas’. J’ai toujours fonctionné comme ça », explique-t-il.
Après avoir couru le marathon du Liban, Ara rentre en France et rejoint le club Passion Course. Désormais, il court trois fois par semaine et travaille avec la même rigueur. Ses affaires prospèrent, lui permettant d’embaucher des salariés et de leur confier ses boutiques. « Les copains m’ont ensuite proposé le marathon de Marrakech, Paris, Barcelone, des courses tous les week-ends. Je levais le pied au travail, mais il m’arrivait d’y aller après des 10 km. »
« A chaque fois que quelqu’un me dit quelque chose je dis pourquoi pas, j’ai toujours fonctionné comme ça, des rencontres et pourquoi pas et vas-y essaye ! »
« Pourquoi pas » est l’un des mantras d’Ara Khatchadourian.
Un ami propose alors à Ara de participer à la Diagonale des Fous à La Réunion, où vit son fils de 7 ans. Entre 40 et 47 ans, tout en courant des marathons, Ara suit une psychanalyse pour surmonter son manque de confiance. Bien qu’il ait compris les racines de ses troubles, il reconnaît que la volonté de prouver sa valeur à son père a été un moteur pour ses exploits. « D’une certaine manière, je me dis que je ne dois pas me soigner complètement. Ce grain de folie me pousse à relever des défis, et ça m’amuse. »
Pour se préparer à la Diagonale des Fous, Ara part s’entraîner à Chamonix. « Et comme j’étais au pied du Mont-Blanc, je me suis dit : tiens, pourquoi ne pas le gravir ? Avec difficulté, car je n’avais jamais fait d’alpinisme, mais j’ai suivi un stage de trois jours. Au sommet, je me suis dit : Waouh ! et j’ai voulu faire d’autres sommets. » Entre-temps, il termine l’Ultra Trail du Mont-Blanc en 38 heures et la Diagonale des Fous en 58.
Du Mont-Blanc aux défis pour la paix
Le Mont Ararat en Turquie marque le début de l’engagement d’Ara Khatchadourian. Il y hisse les drapeaux de l’Arménie, de la France et de la Paix. « J’avais besoin d’une motivation plus grande que moi pour faire ces efforts », explique-t-il.
Après son ascension du Kilimandjaro, il est invité par une association arménienne en France pour parler de ses exploits. « Je ne pensais pas que c’était incroyable. Mais en arrivant, je vois une grande affiche avec mon nom, ‘sportif de l’extrême’. Ça m’a touché, c’était ma première reconnaissance. »
À la fin de la conférence, Ara déclare au président de l’association : « Pour les 100 ans du génocide arménien, je vais gravir l’Everest avec un message de paix. » Le président accepte et, avec l’aide de la communauté arménienne de Marseille, il commence à préparer l’expédition.
Le 25 avril 2015, alors qu’il est à 5200 mètres d’altitude, un tremblement de terre frappe le Népal. Il survit à la tragédie, devenant témoin pour les médias français. Un an plus tard, le 2 mai 2016, après 46 jours d’ascension, il atteint enfin le sommet de l’Everest. Il y prend une photo avec une Bible qu’il offrira plus tard au Pape François. Durant la descente, il perd une partie de ses orteils à cause du froid, nécessitant un an de guérison.
« Mes amis m’ont demandé quel serait mon prochain défi. À 5200 mètres, j’avais écrit une lettre à Erdogan pour qu’il reconnaisse le génocide arménien. » Ara décide alors de courir de Marseille à Erevan, soit un marathon par jour sur 4750 km, pour porter un message de paix.
« Je fais des promesses aux enfants malades qui sont atteints de cancer dans les hôpitaux, à Tcap 21 pour les jeunes atteints de trisomie, je n’ai pas le choix, je vais au bout »
Ara Khatchadourian sur son engagement.
Toujours aller au bout
Durant toutes ses aventures, Ara Khatchadourian garde un seul objectif : aller jusqu’au bout, malgré la douleur et la peur. « J’ai promis, alors je dois y aller. Je pleure de fatigue, mais je vais au bout pour les enfants malades et les jeunes de T’Cap 21″, explique-t-il.
Après son marathon pour la paix, Ara souhaite réaliser un exploit pour le Liban. Il se tourne d’abord vers le kayak, mais préfère finalement l’aviron. Il se lance alors dans un projet pour ramer de Marseille à Beyrouth, malgré les difficultés. « Le premier jour, j’ai fait le Vieux-Port – La Ciotat, et j’étais épuisé. Je me suis demandé comment continuer », raconte-t-il.
Il finit par ramer 60 km par jour, malgré la douleur. « Au bout de 30 jours, je n’avais plus mal aux cuisses et au dos, et après 80 jours, plus de cloques aux mains. » Soutenu par un bateau accompagnateur, son mental reste sa plus grande force, répétant sans cesse : « Il faut que j’avance. »
Aujourd’hui, Ara partage cette force mentale lors de conférences. Il apprend aux jeunes que la réussite demande du temps et des efforts. « Tu ne peux pas courir 4750 km du jour au lendemain. Il faut avancer pas à pas et ne jamais lâcher« , dit-il, mettant en parallèle sa vie et ses défis. Il conseille aux enseignants de partager leurs expériences avec les élèves pour créer du lien et les encourager à persévérer.
En reconnaissance de son engagement, Ara a été choisi par Renaud Muselier pour porter la flamme olympique le 19 juin prochain au Mont Ventoux. « C’est la cerise sur le gâteau, et cette flamme représente la paix », confie-t-il, ému.
Rudy Bourianne
Rudy Bourianne est journaliste sportif. Passionné par le club phocéen et le sport en général, il suit notamment l’actualité de l’OM, de la Voile et de l’équipe élite water-polo du Cercle des Nageurs de Marseille pour Le Méridional.