Le Méridional a rencontré Jean-François Suhas, pilote maritime, élu à la Chambre de Commerce d’Aix-Marseille Provence, et président du club de la croisière, pour comprendre les enjeux de l’électrification des quais du Port de Marseille, et la manière dont l’administration Payan a traité les croisières et le port.
Le Méridional – L’électrification des quais est-elle une nécessité aujourd’hui ?
Jean-François Suhas : Oui ! Même si la mairie l’a remise en cause. Quand on branche un bateau à quai, au niveau émission il n’y a plus rien. Quand on connecte électriquement un bateau, il y a du confort, les personnes présentes dessus peuvent faire la maintenance, et ne provoquent plus de nuisance : ni bruit, ni émission, et si on ne les fait pas payer trop cher, ils font même des économies, parce que le moteur gagne en espérance de vie. C’est littéralement du gagnant-gagnant. La seule vraie problématique aujourd’hui c’est le prix de l’électricité. Par rapport au prix du gasoil il va du simple au double, mais le prix de l’essence ne fera qu’augmenter. En termes de consommation de gasoil à quai, un bateau va payer 3 000, 4 000 € de gasoil, pendant son escale, en électricité il va être à 7 000, 10 000 €.
Tout le monde est pour l’électricité. Au début, les armateurs étaient un peu réticents, mais aujourd’hui ils sont à fond, parce qu’il faut y aller, mais aussi parce qu’économiquement, ça va revenir moins cher.
Le Méridional – Cette innovation vient principalement d’une règle de l’Union européenne, qui oblige les navires de plus de 5 000 tonnes à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, qu’est-ce que risque les compagnies maritimes à ne pas respecter cette nouvelle norme ?
Jean-François Suhas : Principalement des amendes. L’Union européenne demande une réduction des émissions de CO2 de 90% pour 3 types de navires : les paquebots, les porte-conteneurs, et les ro-pax, ça fait beaucoup de bateaux, qui sont en général les plus consommateurs en termes de l’électricité, et des gros émetteurs de CO2 et de particules. Avec ce choix l’UE copie la Californie. Elle impose des standards dont elle sait qu’à des moments, les compagnies ne vont pas pouvoir s’équiper, et où il y a aura pas l’électricité. Elle n’interdira pas un bateau de rentrer mais il y aura des sanctions. D’ailleurs c’est la politique l’UE, en matière d’émission, sauf pour les avions, mais ils seront rattrapés en 2027-2028. Elle fait payer la tonne de CO2, impose des réductions de consommations. Les armateurs n’ont pas le choix, ils doivent emprunter une voie vertueuse.
Le Méridional – Donc ça devient une nécessité pour Marseille, et son attractivité ?
Jean-François Suhas – Absolument. Quand je suis arrivé aux commandes du club de la croisière, en 2015, c’était avec ce désir de tout favoriser, et d’être l’interface entre le port et les armateurs. Seuls, les armateurs font face au port qui ressemble un peu à un rideau administratif, pas souple. Dans le même sens, le port ne connaît pas tous les armateurs. Donc l’idée du club de la croisière, c’était d’avoir un parcours, et le maximum d’informations sur ce qui se faisait ailleurs, et de mettre des gens autour de la table pour favoriser ce à quoi on est arrivé : trouver un modèle économique et financier qui fonctionne pour connecter les bateaux.
Le Méridional – À l’échelle 2030 le port sera-t-il capable de brancher les navires en réparation ?
Jean-François Suhas : On progresse très bien, donc on peut être y arriver avant. Pour les paquebots ce sera, pour 2026, on attend les premiers tests pour fin 2025 début 2026. La réparation navale, avec tout l’argent qui a été donné avec, « France 2030 », et aujourd’hui « Marseille en grand », au total l’enveloppe pour électrifier les quais sera de 140 millions euros ça permettrait d’aller beaucoup plus vite.
Le Méridional – Donc Marseille est en avance sur l’électrification des quais ?
Jean-François Suhas : Complètement ! Aujourd’hui nous sommes le seul port de Méditerranée qui propose des connexions électriques à quai. L’autre seul port méditerranéen qui fait une tentative, c’est Livourne, mais c’était une connexion à quai pour de petits paquebots, ceux de 200 mètres de long, que nous devrions recevoir nous au Mucem. Il n’y a que 17 ports qui ont une connexion pour les paquebots dans le monde. En France, il y a Toulon qui a un projet, Le Havre et Sète… Mais il faut 500, 600 escales par an pour pouvoir installer cette électrification. Et cette décision d’installation, vient aussi des discussions avec MSC Costa qui représente quasi 60-70% voir 80% des escales à Marseille, et qui veut absolument se connecter à quai.
Et ce qui m’étonne le plus du côté des gens de chez Benoît Payan, c’est qu’ils ne travaillent pas beaucoup, et ils le font seuls… Je n’ai jamais rencontré des gens, que ça soit à la Chambre de Commerces ou des chefs d’entreprises qui ont ce type de comportement. Dans tous les systèmes, et on le voit avec le départ des directeurs de la mairie, personne ne réussit à travailler avec eux… Au bout de 3 ans, à part demander ma tête à Hervé Martel et à Jean-Luc Chauvin, qui sont les trois partenaires fondateurs du club de la croisière avec la mairie. Mais la municipalité s’est retirée, et ça n’a rien changé, hormis le fait qu’ils n’ont plus aucune information. Alors qu’ils avaient juste une cotisation de 20 000 €, et encore on aurait pu trouver un terrain d’entente, sans argent. Parce qu’en plus cet argent servait à l’accueil, à payer des anciens de la BAC à la retraite qui organisent la sécurité, et l’organisation des bus. Donc ça servait à ça, la cotisation de la mairie, et pas à autre chose.
« j’assume de faire la politique, au sens noble du terme c’est-a-dire de peser sur la vie de la cité »
Jean-François Suhas
Le Méridional – Le maire Benoît Payan vous a rapidement évoqué lors du conseil municipal du 15 septembre dernier, en disant qu’à une époque où le conseil départemental votait une subvention pour le club de la croisière, ils ne vous connaissent pas et que vous ne faisiez pas de politique jusqu’à ce que vous entriez dans un comité de soutien… Qu’en pensez-vous ?
Jean-François Suhas : Je pense qu’il n’apprécie pas le fait que j’ai soutenu Martine Vassal. Pour lui, peut-être que faire de la politique c’est défendre les citoyens et ceux qui travaillent sur le port, donc à ce titre, je fais de la politique, et je le revendique. Comme je leur dis souvent, vous n’avez pas le monopole de la citoyenneté ni même de l’environnement, j’aime Marseille autant qu’eux, et je me suis battu pour l’environnement autant qu’eux.
Ils te disent qu’ils veulent la croisière Ponant, donc la croisière de luxe avec 200 passagers donc qui ne rapporte rien. C’est tout le paradoxe de ces gens-là qui veulent une croisière élitiste. Ils ne veulent pas d’une croisière de « pauvre ». Moi je veux de tout, on a 25% d’escales de « luxe »… Mais ce qui fait vivre les 4 000 emplois, ce sont les croisiéristes qui prennent le taxi, qui rentrent dans la ville et qui créent de la richesse.
J’assume de faire la politique, au sens noble du terme c’est-a-dire de peser sur la vie de la cité, de ne pas laisser le port dans les mains de gens totalement incompétents, et qui n’ont aucune connaissance en matière portuaire, du système et encore moins des hommes qui y travaillent, parce qu’ils ne les rencontrent jamais. Nous on travaille, on travaille collectivement, la région, le grand port. Eux, ils ne travaillent pas, mais heureusement ils le font seuls. C’est une très belle idée politique, félicitons-les, qu’ils continuent à faire ce qu’ils font mais seuls. Parce qu’ils n’ont aucune influence sur rien.
Personnellement je travaille avec tout le monde, l’État, la Région, la métropole, sauf avec eux, mais ce n’est pas très gênant parce que les bateaux viennent, rentrent les passagers avec eux, et on se débrouille pour les accueillir…
Le Méridional – Pourquoi la municipalité donne-t-elle accordée une subvention de 10 millions d’euros le 15 septembre dernier en conseil municipal ?
Jean-François Suhas : Parce que la mairie, les a déjà donnés l’an dernier sous pression. Quand Benoît Payan a commencé à faire sa pétition, la Région a demandé qu’au lieu de faire des vidéos contre la pollution, ils se mettent à agir.
Le Méridional – Donc la mairie a été « obligée » de verser cette subvention ?
Jean-François Suhas : Oui. Parce que les autres collectivités participent. Le port a deux manières de financier ses activités, par fonds propres d’abord, et les gens l’oublient, le port est une entreprise comme les autres, sauf que l’État ou les collectivités locales ont la possibilité d’investir dedans à un certain montant, ils ne peuvent pas prendre 100% des investissements. Mais chacun peut prendre une petite partie… D’ailleurs la Région a mis beaucoup plus, puisqu’elle a mis 30 millions d’euros.
Mais les 10 millions d’euros n’iront pas à la connexion l’électrique à quai ils iront dans les 6 points dont ils ont parlé : Port-center etc. À mon avis une bonne partie partira dans l’équipement ou des navires…
Le Méridional – Qu’est-ce que vous pensez des propos de Benoît Payan sur la pollution liée aux croisières ?
Jean-François Suhas : Le problème, c’est que quand vous racontez n’importe quoi, ça finit par vous rattraper, mais ça prend du temps. Cet été, il y a eu plus de pollutions n’importe où en France qu’ici à Marseille, on a eu moins de jours de dépassement parce qu’on a moins de pollution ici, par rapport à Paris ou à Lyon qui ont plus de voitures et d’industrie.
Il a encore dit une phrase la semaine dernière à la radio, comme quoi 1 paquebot est égal à 1 million de voitures en circulation. Ça renforce la parole politique ça ? Si y avait 1 million de voitures qui tournaient, donc qu’avec 5 millions de voitures, avec les 3 paquebots qu’il y aujourd’hui dans le port, mais aucun capteur ne les détectent ? Ces gens par leurs propos sur la croisière et le port, galvaudent la parole politique, c’est tellement dans l’exagération et dans la radicalité… Évidemment, tout le monde ne fait pas de la science donc ce sont des sujets difficiles, mais évidemment que bruler un litre de gasoil c’est mauvais pour la santé où que ça soit. En revanche, quand on est derrière une voiture, à vélo ou à pied, ou que l’on soit à 400 mètres d’un bateau qui n’a pas encore accosté, ce n’est pas du tout la même chose. À 2 kilomètres autour des navires, on peut trouver quelques traces, mais là où nous avons de la chance, c’est qu’il s’agit d’expulsion chaude et que ça ne retombe pas là où respirent les hommes.
Propos recueillis par Léopold Aubin