Jean-Jacques Fiorito est depuis plus de trente ans une des meilleures plumes de Marseille. Une des plus libres aussi, ce qui lui a valu des censures retentissantes. Comme il ne pouvait quasiment plus s’exprimer par écrit dans son journal « La Provence », il a décidé de s’exprimer à l’oral et son spectacle s’intitule : « La farce cachée de l’info ». Nous avons pu apprécier son one man show au théâtre du Tétard rue Ferrari à Marseille et le moins qu’on puisse dire c’est que son numéro est sacrément gratiné. Rire garanti.
« Mon journal, c’est pas un journal, c’est une maison de retraite : nos lecteurs ne lisent que la page décès. A seize ans, on se retrouve entre amis au concert. Là, à soixante seize ans, on suit les convois ».
D’emblée, le ton est donné. Fiorito se moque gentiment des titres désopilants ou burlesques qui ornent les pages du quotidien socialiste de Marseille : « Accident de la route à Marseille : trois morts dont deux graves », « accident mortel à Aix : plus de peur que de mal », « un cadavre sans tête découvert dans les calanques : la thèse du suicide n’est pas écartée », « tous à la randonnée clito-tourisme », « La préfecture annonce l’ouverture des commissariats vingt-quatre heures sur vingt-quatre, même la nuit », « Le médecin légiste confirme la mort de la victime » etc. Un tel florilège sent vraiment l’anis à deux lieues à la ronde, non ?
Fiorito est à la fois un humoriste et un « humeuriste », c’est-à-dire un poète de l’absurde, un révolté du Bounty et un prince du sarcasme. Il évoque une inversion de légende illustrant des photos : celle concernant une réunion d’amoureux de la bonne viande autour d’un gigot bien saignant était placée sous l’article relatant un triple meurtre par arme à feu et vice-versa ! Les femmes, elles, sont invitées à faire attention lors de leurs sorties nocturnes à Marseille car elles peuvent fort bien croiser la route d’une panthère ou d’un sanglier : « s’agit-il de Dominique Strauss-Kahn en peignoir ? » se demande Fiorito avec une fausse ingénuité.
Il se moque de la complaisance de certains articles, par exemple ceux qui louent le succès « indéniable » de « l’Artplexe Canebière », en face des Réformés : « vous connaissez son bilan d’un an ? Cent films projetés et une centaine de spectateurs…Y a dégun ! Avant, on avait le Capitole sur l’autre côté de la Canebière et ça marchait bien. Un coup à gauche, un coup à droite, quand va-t-on construire une salle sur la voie des trams au centre ? » Le tram ? Parlons-en : « il va à 12 km/h sur la Canebière, ironise Fiorito, c’est la vitesse moyenne d’un âne corse sous somnifère. Il doit faire gaffe aux clodos, aux alcoolos, aux vélos, aux chômeurs et aux bergers qui traversent avec leurs troupeaux. C’est plus un tram, c’est un transat ! Si ta femme accouche, ne va pas à la maternité en tram, sinon quand t’arrives le petit est déjà à la maternelle ! »
Fiorito égratigne sans méchanceté certaines actrices ou chanteurs de renom qui viennent faire la promotion d’un film ou d’un récital à Marseille et n’ont strictement rien à dire. Il se souvient même d’une certaine Camille qui était mécontente, à la louche, de son article sur sa prestation au Silo et a téléphoné au directeur de la rédaction du journal pour lui demander l’éviction de Fiorito. Ben voyons !
Il a été épaté par le show de Julio (Iglesias) qui a réussi à lui parler de sexe durant deux heures sans aborder une seule fois sa musique languissante de crooner fatigué : « dans l’hôtel où je l’ai interviewé, il y avait une foule de femmes qui se pâmaient, PPDA et Hulot auraient fait un carnage, lui Julio, son plus gros tube, c’est dans son slip qu’il est dissimulé ! »
Evidemment, il parle de l’OM, une équipe « essentielle à la santé mentale de la ville » : « Nous, ici, on a un milliard d’arabes et on n’a pas un centime, eux, à Paris, ils ont un arabe qui a versé un milliard d’euros et caracole en tête du championnat depuis dix ans ! » Fiorito ironise sur une « météorite de la politique » (Michèle Rubirola) qui est venue « camper l’été à la mairie avant de regagner son domicile l’hiver ».
Il se gausse du nouveau restaurant des Baumettes « où ceux qui en ont pris pour trente ans servent ceux qui prennent des lasagnes », il fustige les recruteurs ou « casteurs » de « Plus belle la vie » incapables d’embaucher un vrai Marseillais au Mistral ! Fiorito est un esthète du sarcasme rigolard. A la fin de l’envoi, il touche !
Le spectacle de Fiorito est, certes, encore perfectible car l’ancien journaliste doit se souvenir que le rire est contagieux et qu’il doit lui-même se marrer le premier de ses vannes pour entraîner en cascade celui des spectateurs. Il serait judicieux aussi qu’il sache mieux ménager ses effets en bâtissant un crescendo spectaculaire qui amène le public à rire à gorges déployées au fur et à mesure qu’il décline ses galéjades, ses couillonnades ou ses gaudrioles. On sourit, on rit, puis on s’esclaffe : tel est le bon tempo. Patrick Bosso a longtemps galéré avant de montrer l’exemple dans ce domaine et d’être reconnu comme le « blagueur » marseillais numéro un, celui du fou rire permanent mais aussi du faux-rire de ricochet.
Fiorito, lui, maîtrise parfaitement son dosage d’exagération et ses textes sont ciselés à la perfection, ce qui fait le charme de sa gouaille marseillaise. Mais il doit encore se « Galtiériser », comme l’entraîneur du PSG Christophe Galtier, qui a su faire oublier son accent par la persistance de son bon sens et la pertinence de ses choix. Ou si vous préférez le rugby, se « Galthiériser », comme Fabien Galthié, le sélectionneur de l’équipe de France, dont les conférences de presse et la résilience sont des modèles du genre bien au-delà de son Lot natal.
Lorsque l’ami Jean-Jacques aura acquis cette science théâtrale de la progression dans l’hilarité et dans le déroulement de la dramaturgie, il dépassera Bosso et pourra devenir une vedette du show-biz sans jamais se prendre la tête car ce n’est pas le genre de la maison Fiorito.
José D’Arrigo
Rédacteur en Chef du Méridional
- Prochains spectacles de Jean Jacques Fiorito en duo avec Kamel à Paris pour la présentation de leur comédie intitulée : « Corona Bar ».