Jadis, les employés de la chambre de commerce de Marseille avaient la réputation de travailler peu pour lézarder plus : il n’était pas rare, disait-on, que ceux qui arrivent en retard le matin croisent ceux qui partent en avance pour déjeuner. Ce temps-là est bel et bien révolu. Les crises qui percutent l’économie française à intervalles réguliers obligent les élus de la chambre et leurs experts à s’adapter aux situations les plus imprévues et les plus rocambolesques. On vous aurait parlé de la guerre en Europe et de la crise actuelle de l’énergie il y a seulement un ou deux ans, vous auriez souri en doutant de la bonne santé mentale de votre interlocuteur. On vous aurait expliqué que l’économie et l’écologie sont des forces équivalentes et complémentaires et qu’elles ne s’opposent pas, vous auriez arboré une moue dubitative. Et pourtant…
Ce qui n’a guère changé en revanche, c’est le vocabulaire volontariste des présidents de chambres de commerce : à leur arrivée, ils veulent tout casser, y compris parfois leurs locaux ancestraux. Leur langage est truffé de formules puissantes : union, avenir, attractivité, co-construction, jeu collectif, agoras, forums, partenariat, accompagnement, ambition, innovation, expérimentation, mobilisation. Et en fin de compte, comme sœur Anne, on ne voit rien venir. Parce qu’à Marseille c’est souvent l’inertie qui sape les meilleures intentions de départ. Jean-Luc Chauvin, l’actuel président de la chambre Aix-Marseille-Provence, est conscient de ce passé un peu baltringue et il a décidé de corriger l’image indolente de la chambre de commerce en mettant tout le monde au travail et en s’astreignant lui-même à des résultats quantifiables et vérifiables. C’est une vraie révolution et on a envie, ici au Méridional, de lui dire : « allez, chiche, petit, fonce, prends les clés et montre-nous le chemin de l’excellence… » Jean-Luc Chauvin et Sandrine Motte, membre du bureau et chargée de la déclinaison de la feuille de route de la nouvelle mandature 2021-2026, ont clairement indiqué aux journalistes lors d’une conférence de presse au palais de la Bourse que leurs engagements de campagne n’étaient pas « bidons » et qu’ils veilleraient à leur application, quitte à en mesurer le suivi et l’efficacité dans le temps et à en présenter les résultats par étapes à la presse. Ce souci de « l’avancement des travaux en conformité avec le devis » est nouveau et très louable. Evidemment, les intervenants, qui ont présenté les six grands projets de la chambre Aix-Marseille-Provence n’ont pas le même sens de la synthèse que leur président et certains d’entre eux ont largement dépassé leur temps de parole, mais qui les blâmerait d’un excès d’enthousiasme ? Le premier d’entre eux, Philippe Zichert, s’est exprimé sur « l’accélération de la relance et des transitions ». Son objectif est de préparer les actifs aux changements de logiciel que nous réserve l’avenir et d’anticiper si possible la formation aux emplois de demain. Pour lui, former pour former, sans aucun débouché concret, ne sert à rien. Les maires de la métropole ont compris cet enjeu crucial de l’adéquation de l’apprentissage avec les besoins réels de leur territoire et ils participent à des actions cohérentes dans le respect de la responsabilité sociale des entreprises. La seconde priorité évoquée par Nicolas Chabert, Delphine de France et Valérie Segrétain concerne la compétitivité dans un monde en mutation perpétuelle et la nécessité d’innover pour « transformer la métropole en laboratoire à ciel ouvert de l’économie de demain ». La troisième priorité, développée par Fabrice Alimi et Karim Driouche, s’intéresse à la culture du « goût du risque » et à l’initiation à la création d’entreprises par des gens qui ne sont pas forcément destinés à ce métier de dirigeant (les jeunes des cités hostiles, par exemple). M. Driouche a révélé que le taux de pérennité des entreprises dans certains quartiers était très inférieur à la moyenne car les créateurs n’étaient pas suffisamment accompagnés et guidés. Comme le dit avec pertinence Jean-Luc Chauvin, « il faut faire en sorte que le micro-entrepreneur devienne entrepreneur et crée d’autres emplois que le sien ».
C’est Aurélie Midani, commerçante à Marignane, qui a présenté la quatrième priorité. Elle consiste à revitaliser les commerces de centre- ville sans porter atteinte pour autant aux grandes surfaces de la périphérie. Des « managers de centre-ville » vont être formés pour réanimer ces lieux de vie, naguère prospères, aujourd’hui en grande difficulté ». Mme Madani va ressortir le slogan : « commerçant, tu es l’amour de ma…ville ! » La cinquième priorité de la chambre métropolitaine, consiste selon M. Chauvin « à faire de Marseille le grand port de Lyon » : c’est-à -dire à transformer le territoire en un vaste « hub » qui valorise le savoir-faire des entrepreneurs locaux. M. Frédéric Ronal, porteur de cette ambition, a annoncé la création d’une vaste « agora » située sur 450 mètres carrés au trentième étage de la tour « Méditerranée », un lieu propice à la rencontre d’entrepreneurs africains et français. Quant à la sixième priorité, développée par M. Christophe Socia, elle a trait à l’amélioration de l’attractivité économique de la Provence : « nous voulons développer la fierté de vivre sur notre territoire », a-t-il déclaré en faisant allusion à l’image souvent galvaudée de Marseille au sein des grandes entreprises nationales ou étrangères. L’ennui, c’est que ce projet ambitieux se heurte à la pénurie de locaux et qu’il est impératif dans ce domaine de quantifier les besoins et les types de produits recherchés pour mieux répondre aux industriels intéressés. La conclusion a été apportée par le capitaine de l’équipe, Jean-Luc Chauvin qui injectera plus de trente millions d’euros dans la réalisation de ce plan de redressement : tout le monde est sur le pont mais l’argent public est de plus en plus rare et il faut éviter les « doublons » avec les agences de développement économique. L’économie locale devra tenir compte plus que jamais…des économies et des « synergies » possibles sur de nombreux sujets mais rarement mises en œuvre.
José D’Arrigo