Edouard de Praron vient de publier un premier roman aux Presses de la Délivrance. Son héros, Jean, est un « jeune cadre dynamique » qui prend conscience d’un profond sentiment de « dépossession ». L’auteur entend questionner le rapport des jeunes Français avec leur culture et leur façon de vivre.
Le Méridional : Edouard de Praron, qu’est-ce qui se cache derrière ce mot de « dépossession », dont vous avez fait le titre de votre livre ?
Edouard de Praron : Derrière ce mot se cache le sentiment de plus en plus de Français d’être dépossédés de leur culture et de leurs modes de vie. J’ai voulu le montrer à travers une fiction. Mon personnage principal a une vie confortable mais il ressent cette « dépossession ». La journée, il exerce un métier, dans le secteur bancaire, de plus en plus déconnecté du réel. Il y constate l’effondrement de la culture générale à travers les conversations avec ses collègues.
l’effondrement de la culture générale
Le soir, son immeuble se divise pour une simple crèche de Noël installée dans le hall. Le week-end, ses loisirs, comme la chasse, sont attaqués par des lobbies. Dans les médias se développent des discours remettant en cause ses idéaux. Les revendications communautaires dans la société se multiplient. Etc. Dans ce contexte surviennent plusieurs événements, dont les attentats islamistes, qui vont le décider à reprendre sa vie en main et à réfléchir à la manière de s’engager pour défendre ce à quoi il croit.
L.M : Quel tableau de la société française dressez-vous ?
E. de P : Une société française qui est en crise identitaire. Les liens familiaux se désagrègent. De plus en plus de métiers n’ont pas de sens. Nous sommes déconnectés de la nature… Une dépossession généralisée. Un autre titre de mon livre aurait pu être « Déracinement ». Or, pour citer la philosophe Simone Weil, « l’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine ». Il ne faut pas forcément chercher de responsables extérieurs : nous sommes tous responsables en partie de cela quand nous ne transmettons plus à nos enfants la culture que nous avons reçue de nos ancêtres. Ou quand nous nous plions aux injonctions progressistes.
un sentiment de déracinement
Une partie des Français se lève parfois contre certaines facettes de cette dépossession, mais ils sont peu écoutés. Les institutions œuvrent à un modèle de société qui va dans le « sens de l’histoire » même quand leurs politiques sont rejetées par les Français. Comme si certaines orientations étaient indépassables. Cette perte de prise sur le réel, cette impression de ne pas pouvoir changer le cours des choses participent à ce sentiment de dépossession. Mon livre est l’occasion, à travers les pérégrinations et discussions du personnage, de réfléchir à cette crise identitaire que traverse la France.
L.M : Le héros doit-il beaucoup à l’auteur ?
E. de P : Effectivement, j’ai moi-même été consultant dans le secteur bancaire et ai ressenti cette absence de sens dans mon métier. Et quand je suis l’actualité, j’ai parfois cette impression d’être dépossédé de ma culture. Jamais je n’aurai pu penser qu’un jour on aurait un débat sur le burkini en France, qu’un chanteur à forte notoriété, Maître Gims, inviterait les musulmans à ne pas souhaiter « bon anniversaire » ou « bonne année », que le Tour de France serait contesté par des écolos, que la question de commémorer Napoléon serait posée, que l’écriture inclusive serait employée par des institutions, que Disney censurerait ses anciens dessins animés, etc. Aujourd’hui toutes ces remises en cause de notre culture s’imposent aussi à nous dans la sphère privée même si on cherche à s’en éloigner : publicités, programmes scolaires…
renouer les « liens dénoués »
L.M : Pensez-vous qu’il reste encore en France des jeunes prêts à s’engager ?
E. de P : De nombreux jeunes s’engagent. Les marches pour le climat, par exemple, le montrent. Mais souvent avec un discours culpabilisateur teinté d’extrême gauche. Moins nombreux sont ceux qui s’engagent de manière plus humble : des maraudes pour les SDF, des visites aux personnes âgées en Ehpad, etc. Mon personnage principal, lui, évolue au long du livre et va réfléchir à la manière de s’engager pour renouer les « liens dénoués », c’est-à -dire aider les Français à retisser leurs liens avec leurs familles, leur entourage, mais aussi avec leur histoire, leurs paysages, leur pays. Ce qui nous enracine, les liens noués, donnent un sens à notre vie. Comme le Petit Prince et le renard qui, s’il l’apprivoise, sera pour lui « unique au monde » même s’il est « semblable à cent mille renards ».
Propos recueillis par Raphaëlle PAOLI