Le docteur Hubert Tesson est médecin-chef à la clinique Sainte-Elisabeth de Marseille (13004), et particulièrement chargé de l’une des unités de soins palliatifs. Alors que la question de l’euthanasie est régulièrement évoquée dans le domaine politique et social, Le Méridional l’interroge sur les soins palliatifs, qui accompagnent le malade incurable patiemment, jusqu’à la fin.
Le Méridional : Docteur Hubert Tesson, comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux soins palliatifs ?
Docteur Hubert Tesson : J’ai fait des études de médecine générale, puis j’ai été assistant pendant quatre ans dans un service d’onco-radio-pédiatrie, dans un service où l’on faisait de la chimiothérapie et de la radiothérapie. Je me suis beaucoup intéressé aux traitements de la douleur et des inconforts liés au cancer.
au début des années 90, les soins palliatifs étaient très peu développés
Au début des années 90, les soins palliatifs étaient très peu développés, les malades avaient tendance à mourir avec beaucoup d’inconfort physique – parfois, après acharnement thérapeutique même. Il y avait aussi la question des euthanasies déguisées, où le malade était endormi sans avoir rien demandé. C’étaient des pratiques assez répandues.
L.M : Qu’est-ce qui a changé depuis ces années-là ?
Dr H.T : A l’époque déjà, un mouvement commençait à se structurer autour des soins palliatifs. Nous étions parmi les pionniers dans le domaine.
Aujourd’hui, on ne laisse plus les gens mourir dans la souffrance, et de gros progrès ont été faits pour calmer la douleur et tout ce qui va avec (symptômes digestifs, respiratoires…)
de gros progrès ont été faits pour calmer la douleur
Je ne sais pas si l’on peut parler de progrès quant à l’acharnement thérapeutique : il y a sans doute un meilleur questionnement, mais il y a toujours ce risque d’acharnement, en particulier dans la cancérologie – où parfois sont tentés de multiples traitements. Certains médecins ont des difficultés à expliquer au patient qu’il vaut mieux cesser les traitements inutiles. Les euthanasies déguisées, elles, ont presque complètement disparu.
L.M : Quelle est la « philosophie » de la clinique Sainte-Elisabeth ?
Dr H.T : La clinique a été créée en 1881 par une jeune femme de 25 ans, Jeanne Garnier, pour accueillir des femmes incurables. A partir des années 1990-2000, elle s’est inscrite dans le mouvement de modernité des soins palliatifs, avec une compétence médicale qui n’existait pas auparavant. C’est une médecine à part entière, qui nécessite une très grande rigueur, il est important de le souligner. Cela reste dans l’ADN de la clinique Sainte-Elisabeth de prendre soin des plus vulnérables. Nous avons aussi une profonde culture du questionnement éthique – en lien également avec l’héritage catholique de l’établissement : est-ce respectueux pour le malade ? Beaucoup de malades font l’expérience d’un regard aimant, dont ils n’ont parfois pas eu l’habitude.
une profonde culture du questionnement éthique
L.M : Comment accompagne-t-on une personne en fin de vie, dans ce moment de basculement, où l’on dit précisément qu’un humain se trouve « entre la vie et la mort » ?
Dr H.T : Dans la cancérologie notamment, il existe des soins curatifs – le fait de s’attaquer à la maladie. Les soins palliatifs, eux, s’attaquent aux conséquences difficiles de la maladie (conséquences psychologiques, sociales…) Les deux domaines ne sont pas antinomiques. Mais plus la maladie avance, plus le curatif doit se faire discret et le palliatif être présent.
plus la maladie avance, plus le curatif se fait discret
Il ne s’agit pas de parler systématiquement avec le patient du fait qu’il va mourir, mais plutôt de voir avec lui comment alléger les conséquences difficiles de la maladie. Lors de son arrivée à la clinique, on fait longuement connaissance avec lui, pour savoir quelle est son histoire. Le médecin essaie de résoudre avec lui les éléments qui lui pèsent : un problème de sommeil, de famille… Le malade est en fin de vie certes, mais il est en vie. Il n’y a pas de tabou sur la mort, mais on ne force pas le patient à en parler.
L.M : Comment les soignants font-ils face au fait de s’occuper de personnes dont les jours sont comptés ?
Dr H.T : Lorsque le patient se rapproche de la mort, l’épreuve s’intensifie. Quand il meurt, il y a presque un soulagement pour les soignants. Cela peut vous sembler étonnant, mais lorsque des soignants se sont bien occupés d’une personne, ils la voient partir avec apaisement.
comprendre le patient et son histoire
Ce qui est particulier, c’est d’assister à des décès répétés ; ça n’est anodin pour personne, même pour des médecins qui vivent cela depuis plus de 30 ans comme moi. On prend conscience de sa condition mortelle, de l’essentiel et de l’accessoire de la vie, aussi. Pour moi, on ne peut pas éviter ces questions pendant des années.
L.M : Pensez-vous que la société d’aujourd’hui fuit la mort ?
Dr H.T : Je le pense. La mort va à l’encontre des valeurs de notre société actuelle, qui sont tournées vers la maîtrise, la possession, la consommation. La mort est refusée. A l’inverse, quand le malade arrive en fin de vie, un dépouillement matériel notamment, s’opère souvent – mais même psychologique. Dans ce dépouillement, beaucoup de malades font pourtant des découvertes extraordinaires : joies, approfondissements relationnels…
la mort va à l’encontre des valeurs de notre société
L.M : Pourriez-vous évoquer une histoire émouvante qui s’est passée à Sainte-Elisabeth ?
Dr H.T : Je repense à une histoire récente. Un patient était rongé par l’anxiété, car il n’avait pas vu ses deux jeunes enfants plus de cinq minutes en l’espace de deux ans, en raison de tensions familiales. Le médecin lui a demandé s’il souhaitait que l’on prenne contact avec la mère de ses enfants pour parler de la situation. Pendant les vacances, les enfants sont venus. On a vu le patient se transformer, et il est parti en paix.
Propos recueillis par Jeanne RIVIERE